Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

dimanche 29 décembre 2013

Hernie Discale

Le problème quand ça fait longtemps qu’on se traine une pathologie lourde, c’est qu’au bout d’un moment les gens autour de vous en ont assez de vous voir constamment malade, et petit à petit, vous cessez d’être le centre du monde.

Comme d’être le centre du monde, c’est quand même plutôt cool, je me demandais depuis un moment qu’est ce que je pouvais imaginer pour me renouveler un peu et tirer une larmichette à madame Michu. Il me fallait un truc bien pénible et bien douloureux, qui suscite bien la commisération de mes congénères, tout en me permettant de continuer à pratiquer mes trois occupations préférées : écrire, jouer de la guitare et jouer à l’ordinateur.

J’ai testé pendant un moment le fait de vomir pendant la nuit, mais c’est un truc éculé, tous les enfants du monde vomissent tout le temps, un vieux schnoque de 34 piges qui passe ses nuits à vomir, ça ne fait pas pleurer dans les chaumières.

C’est là que j’ai eu une idée : et si je me faisais une petite hernie discale ? C’est super douloureux, certaines positions sont insupportables, mais normalement, couché, cela ne fait pas mal, la pathologie parfaite pour moi ! En plus, en me débrouillant bien j’allais peut-être pouvoir m’arranger pour faire ma crise aiguë le jour de Noël, histoire de rendre toute l’histoire encore plus poignante.

À peine le plan imaginé que j’ai commencé à le mettre à exécution. Il y a deux semaines, j’ai commencé par avoir mal dans la fesse, une espèce de vague crampe, désagréable, mais pas suffisamment gênante pour être inquiétante. Puis, j’ai commencé à avoir extrêmement mal au dos : je suis donc allé chez mon chiropracteur, plusieurs fois. La dernière fois, elle m’a manipulé un peu violemment. Le lendemain, jour de Noël, je n’avais plus mal au dos, par contre la douleur dans ma fesse avait empiré de façon tout à fait satisfaisante pour la mise en place de mon plan : m’assoir plus de quelques minutes était absolument intolérable. Le soir du réveillon, pour nous rendre chez nos amis, j’ai dû m’allonger sur le dos sur la banquette arrière de la voiture. En mon for intérieur, je me suis autocongratulé : quelle image, que ce réveillon passé sur le dos ! Opération j’arrache des larmes aux portes de prison réussie !

Le lendemain, au réveil, j’ai commencé à avoir des fourmillements dans les orteils du pied gauche, à boiter et à avoir le mollet gauche douloureux. Ce sont des signes inquiétants faisant penser à une atteinte aux nerfs. Ah, je vous disais bien, j’ai bien choisi ma pathologie, elle est pleine de mots bien flippants !

Jeudi, comme les fourmillements avaient empiré jusqu’à me faire perdre une partie de la mobilité de mon pied et de ma jambe, nous nous sommes décidés à aller à l’hôpital, où j’ai passé une IRM et des radios (et accessoirement où nous avons passé 9 h aux urgences, de 17 h à 3 h du matin). Résultat des courses, sans surprise : hernie discale ! Et voilà, j’ai encore trouvé le moyen de me distinguer, youpi !

Normalement, pas besoin de chirurgie, on essaie juste de diminuer l’inflammation, donc le traitement c’est repos (youpi, je vais pouvoir jouer comme prévu) et anti-inflammatoires à haute dose. Et tenez-vous bien, c’est là qu’est le paradoxe ultime : si j’ai une hernie discale c’est à cause d’un vieillissement prématuré de ma colonne vertébrale causé par les stéroïdes. Donc pour guérir cette hernie, on me file des stéroïdes à plus haute dose. Normal, tout va bien madame la Marquise.

Bon, vous aurez bien compris que tout ceci n’était pas prévu au programme. Franchement, je suis plutôt soulagé, je m’attendais à pire, du genre fracture de vertèbre. Il n’empêche que tout d’abord, tout cet épisode m’a sérieusement claqué, surtout nerveusement d’ailleurs, je suis épuisé par la douleur et le stress. Mais surtout, cela remet beaucoup de choses en perspectives. J’hésitais à arrêter dasatinib, parce que ce médicament a peut-être un effet protecteur anti-leucémie... Mais je ne peux plus me cacher la tête dans le sable et ignorer les dommages que tous ces médicaments font à mon corps. Pour l’instant, c’est juste une hernie discale bégnine, mais qui va me garder au lit pendant une bonne semaine. La prochaine fois ça sera quoi ?

Il y a clairement un risque de rechute de la leucémie, mais l’on commence à arriver à un stade où il y a un risque de plus en plus sérieux à me garder sous autant de médicaments. Si cela continue, je garderai des séquelles à vie. Pour l’instant, la plupart de mes séquelles sont réversibles, il ne faut pas que je gâche cette chance. D’un autre côté, vous ne pouvez pas savoir ce que cela me fait peur de laisser ce filet de sécurité qu’est la dasatinib. C’est un plongeon dans l’inconnu, probablement pour le meilleur, mais je vous avoue que je suis terrifié.

Ah, au fait, Joyeux Noël à tous! Cet incident mis à part, nous avons passé un très bon Noël grâce à la prévenance de nos amis français à Seattle et nous avons pu parler longuement avec nos familles sur Skype, j'espère que vous tous avez aussi passé de très bonnes fêtes. 

lundi 23 décembre 2013

Maisons en pain d'épice, le retour

Pour rester dans l'ambiance des fêtes de faim d'année, hier nous sommes allés voir une exposition de maisons en pain d'épice :).

Je vous laisse regarder quelques photos ci-dessous, et vous retrouverez plus de photos sur la page Facebook.

Sinon, une petite anecdote pour rigoler: suite à mon dernier post, Celia nous a cuisiné un excellent pain d'épice (c'est quand même cool, de découvrir des talents cachés à sa femme après 5 ans de mariage). Pain d'épice que nous avons laissé traîner sur le comptoir de la cuisine.

Comme vous le savez peut-être, nous avons deux chats, qui ont à peu près tous les droits sauf 3: interdiction de rentrer dans notre chambre, interdiction de monter sur mon bureau, interdiction de monter sur les meubles de la cuisine. Cette dernière interdiction est la plus strictement appliquée, pour des raisons d'hygiène évidente, et depuis 4 ans que nous les avons, j'ai du les surprendre une ou deux fois maximum sur un meuble de la cuisine (ce qui se termine en grand verre d'eau dans la tronche, je vous assure que c'est pas subtil mais que cela a des vertus éducatives certaines, en tout cas avec des félins).

Bon et bien la semaine dernière, devinez qui j'ai retrouvé sur le plan de travail de la cuisine en train de boulotter des miettes de pain d'épice?

This girl!

ma loulou

gros calin

Et rien n'y a fait: chaque fois que j'ai laissé traîner un peu de pain d'épice, elle s'est jeté dessus comme une vorace, interdiction ou pas. C'est incroyable, elle est complètement dingue de pain d'épice au point de commettre la pire transgression possible dans notre maison, complètement sciemment et à répétition. C'est d'autant plus étrange que nous ne leur donnons jamais rien à manger d'autre que de la nourriture pour chat, et qu'elle n'a jamais éprouvé d'envies particulières pour de la nourriture humaine: on peut laisser traîner une salade au thon sans aucun problème, mais pas du pain d'épice. C'est assez bizarre. Bref.







mardi 17 décembre 2013

Une maison en pain d'épice

Bon faut pas croire qu'on fait qu'en chier ici à Seattle, on s'amuse même plutôt bien la plupart du temps.

Ma dernière trouvaille en date, c'est la maison en pain d'épice. Les maisons en pains d'épices, apparemment c'est une tradition de Noël, c'est un truc que l'on fait en famille ici à cette période de l'année. Cela faisait longtemps que je voulais en fabriquer une, je vous avais prévenu, je suis un grand enfant! Mais à chaque fois que j'essayais d'en acheter une en magasin, je m'opposais à un refus catégorique de Celia, qui est bien trop fière pour admettre que ça la fait tripper de faire des trucs purement américains. Alors j'en ai profité d'être en mission courses en solo chez Costco pour en acheter une en douce, ni vu ni connu, hop. Me suis fait copieusement engueuler une fois rentré à la maison, et une fois la diatribe terminé, je me suis retrouvé face à une Celia ravie et enchantée qui n'avait qu'une hâte: décorer sa maison. Ce que nous avons fait ce week-end, et voilà le résultat!


Bon, ça vaut ce que ça vaut, mais je vous assure que c'est plus costaud à faire que ça en à l'air, le "frosting", le sucre blanc qui sert de colle, ça coule, ça colle, c'est gluant, on s'en met partout bref c'est marrant comme tout. Et puis c'est notre maison et on en est fier, voilà! D'ailleurs c'est bien plus dur que ça en à l'air, j'aime mieux vous le dire!

Au final, je n'ai qu'une déception, c'est que malgré l’appellation "maison en pain d'épice", qui faisait que j'avais la ferme intention de me la boulotter tranquillos après l'avoir décoré, en fait ce n'est pas du bon pain d'épice, c'est un espèce de biscuit très dur pas très mangeable. Du coup, ça m'a donné des envies de pain d'épice Papy Brossard, mais je n'ai rien trouvé au supermarché du coin. A croire que c'est inconnu au bataillon. Si des expats savent où en trouver je suis preneur, c'est pas le genre de truc que je mange d'habitude, mais j'ai des envies de femme enceinte, comme qui dirait.

Bon en fait on me dit dans l'oreillette qui lit par dessus mon épaule "Mais moi je sais faire du pain d'épice"... Et ben file en cuisine ma cocotte!! Moi, macho? Normalement non, mais là, il s'agit de pain d'épice, faut pas plaisanter avec ça, et m'avoir caché ça pendant 5 ans de mariage, c'est gravissime, vous ne trouvez pas?



samedi 14 décembre 2013

A propos de la douleur et où l'on reparle de la sur-médication

Rappelez-vous, j'avais déjà parlé du fait qu'en ce moment, une majorité de mes problèmes vient du fait que je prends trop de médicaments, en particulier une TKI pour essayer de diminuer le risque de retour de la leucémie et que ceux-ci ont des effets secondaires pénibles. Malheureusement, certains de ces médicaments sont indispensables, et donc on est obligé de faire avec.

Pour vous donner une idée du genre de situation à marcher sur la tête dans laquelle on peut arriver, il faut que je vous raconte la dernière addition au répertoire.

À cause de l’interaction entre l'antirejet de greffe et la TKI anti-leucémie susmentionnée, je souffre constamment de douleurs chroniques aux articulations qui sont très pénibles, à tel point que le soir, je suis parfois obligé de me mettre de la glace sur les mains.


Comme je suis à des doses assez massives de morphine et que l'on ne peut pas continuer à augmenter éternellement, la spécialiste de la douleur de la clinique a décidé d'essayer une nouvelle approche. En gros, sa théorie, c'est que comme j'ai mal en continu depuis à peu près trois ans, mon cerveau est constamment stimulé et irrité. C'est un peu comme si mon thermostat de détection de la douleur était déréglé à la baisse, ou comme si la douleur était un liquide que l'on verse dans un vase: chez moi le vase est plein depuis longtemps et le vase déborde constamment.

Le but du jeu c'est donc d'essayer de réajuster le thermostat de mon cerveau à un niveau normal, et pour cela on utilise des petites doses de certains antidépresseurs, la Venlafaxine pour ceux qui connaissent.

Petit problème, le lendemain après la première prise, je me suis réveillé à 6h du matin, en proie à une crise d'anxiété pas possible. Le temps de détendre le bas de mon corps, c'était le haut de mon corps qui était tendu comme pas permis. Le temps de détendre le haut, le bas était à nouveau crispé, contracté... Comme ça en boucle pendant plusieurs heures, avec en plus un poids sur la poitrine, une oppression, comme si quelque chose d'horrible allait arriver, avec une difficulté à respirer tellement j'étais terrorisé. Le pire, c'est que comme cette peur est d'origine chimique et qu'elle n'a en fait aucun objet, il n'y a même pas moyen de rationaliser, d'essayer de méditer, ou quoi que ce soit... Il faut juste attendre.

Dans les jours qui ont suivi, mon comportement a continue à changer... Je n'ai pas fait de crise d'anxiété aussi grave, mais j'ai eu des répliques assez sévères. Alors j'ai commencé à prendre un anxiolytique, le lorazepam, pour me calmer un peu les nerfs. Sauf que le lorazepam interagit avec la morphine, et que cela me fatigue encore plus que je ne le suis d'habitude. Vendredi dernier, je me suis installé dans mon fauteuil pour écrire en milieu d'après-midi, je me suis endormi sur mon portable sans même m'en rendre compte. Celia m'a réveillé en me téléphonant deux heures plus tard, nous sommes allés faire les courses, ensuite j'ai redormi sur le canapé de 7h du soir à 10h, j'ai diné légèrement, je me suis recouché direct, et j'ai dormi jusqu'à midi le lendemain. Alors, peut-être que cela vous fait rêver de pouvoir dormir autant, mais je vous assure que ce n’est pas une vie, que de la passer endormi.

Et donc, le comble, c'est que depuis que je prends cette saloperie d'antidépresseur, je suis déprimé comme pas permis, anxieux comme ce n’est pas possible, terrifié par l'avenir, par si mon invalidité va être renouvelée, par comment on va subsister l'année prochaine, par la possibilité du retour de la maladie (chose qui d'habitude ne m'inquiète pas)... Je suis malheureux comme les pierres, alors que d'habitude je suis plutôt heureux de vivre, malgré la douleur. Ce qui m'agace le plus c'est que cela affecte mon écriture et comme j'écris énormément en ce moment, c'est vraiment pénible.

Seul point positif, il semble que le traitement commence à marcher: la douleur ne disparait pas, mais les extrêmes sont lissés et j'avais parfois des épisodes avec des douleurs très aiguës qui me forçaient à prendre plus de morphine que ma dose normalement allouée par jour (ce qui me laissait avec moins les jours suivants). Ces épisodes sont plus rares. Aussi, ces effets secondaires sont apparemment temporaires et normalement ils disparaissent au bout de quelques semaines... Bref, il faut s'accrocher, en baver pendant quelques semaines avant que cela aille mieux.

Enfin, rendez-vous compte du paradoxe:

Dsatinib me donne des douleurs -> Morphine
Morphine pas suffisante -> Venlafaxine
Venlafaxine déclenche des crises d'anxiété -> Lorazepam
Le Lorazepam me rend quasi narcoleptique -> On me propose de l'Adderall (en gros, des amphétamines). J'ai dit non, faut pas déconner.

L'un de mes médecins appelle ce problème, quand les effets secondaires dépassent les bénéfices, un syndrome de "poly-pharmacy". En gros, le seul moyen que j'aille mieux, c'est de supprimer dasatinib. C'est un gros pas à faire que pour l'instant je n'arrive pas à faire dans ma tête. Il faut que je prenne le temps d'y réfléchir.

Je voulais finir ce post par une triste nouvelle: un élève de l'école taoïste que je pratique, qui était depuis longtemps malade d'un cancer et avec qui j'avais longtemps échangé en avril dernier, nous a quitté hier. Toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches, c'était quelqu'un d'intelligent, de curieux, qui lors de nos séminaires posait toujours des myriades de questions et qui m'avait beaucoup apporté pendant les brefs moments ou je l'ai connu. Repose en paix, l'ami.

lundi 9 décembre 2013

Leucémie: l'histoire du chromosome de Philadelphie.

Vous le savez peut-être, je collectionne les livres dédicacés ou rares, et je suis particulièrement fier de cette étagère de notre bibliothèque qui regroupe une partie de mes trésors.


Par conséquent, quand je vais dans une librairie, je me dirige en général dans les rayons réservés aux livres signés en plus de mes styles préférés, ce qui m’amène parfois à tomber sur des livres que je n’aurais pas découvert par ailleurs.

Il y a quelques semaines, je suis en l’occurrence tombé sur un exemplaire signé du livre "The Philadelphia Chromosome: a Mutant Gene and the Quest to Cure Cancer at the Genetic Level", en français: "Le chromosome de Philadelphie et la quête pour guérir le cancer au niveau génétique", de Jessica Wapner, une journaliste scientifique.

Je suis tombé en arrêt, car la leucémie qui m’a touché est justement.une leucémie aiguë lymphoblastique avec chromosome de Philadelphie.

le chromosome de Philadelphie, une mutation importante dans plusieurs leucémies

Alors, qu’est ce que c’est que ce fameux chromosome de Philadelphie?

En fait, cela désigne une translocation réciproque des bras des chromosomes 9 et 22. En français, cela veut dire que ces deux chromosomes ont muté et ont échangé des morceaux de leurs bras, comme si j’échangeais ma main gauche avec la main droite de mon voisin. Vous imaginez bien que cela ne fonctionne pas super bien.

C'est un peu plus compliqué que cela: tous les gènes présents sur les bras transloqués continuent de marcher correctement, même s'ils ne sont pas sur le bon chromosome, jusqu'ici, pas de surprise. Par contre, au point de jonction, il y a fusion de deux gènes, codant respectivement les protéines Bcr et Abl, d'où l'apparition d'un gène fusion, un onco-gène, qui code la protéine Bcr-Abl, d'où l'abus de langage où l'on parle souvent du gène Bcr-Abl, synonyme du chromosome de Philadelphie. Qu'est ce qui se passe exactement? Et bien Abl est une protéine qui est associé à une membrane, et ne nous intéresse pas vraiment. Bcr, en revanche, est une tyrosine kinase, et il se trouve que la protéine mutante résultante Bcr-Abl est aussi une tyrosine kinase. Sauf que normalement, l'activité des tyrosines kinases est régulée par d'autres protéines, mais que la mutante Bcr-Abl ne répond pas à ces régulations et est toujours activée, ce qui conduit à la dérégulation des divisions cellulaires.

Notons par ailleurs que ce gène très particuliers permet d'effectuer des tests très précis, de PCR quantitatives me souffle Celia, qui permettent de détecter une molécule d'ADN dans un sample donné, et de caractériser ainsi la maladie, mais aussi de suivre les patients et de suivre très finement pour voir s'il reste des cellules malades dans leur moelle osseuse ou dans leur sang.

C’est une mutation qui est caractéristique des leucémies chroniques, et qui arrive dans 20 à 30 % des leucémies aiguës lymphoblastiques. L’avantage de cette mutation c’est que cela rend la maladie traitable par des inhibiteurs de tyrosine kinase justement, qui vont réguler l'activité de Bcr-Abl (et c’est de la découverte de cette mutation et de cette classe de médicaments dont il est question dans le livre), l’inconvénient, c’est que dans le cas des leucémies aiguës, cela les rend beaucoup plus agressives et beaucoup plus prônes à rechuter, d’où la nécessité absolue d’une greffe allogénique. Il y a 30 ans, cette mutation, c’était une sentence de mort, plus moins, puis les greffes de moelles sont arrivées et maintenant le pronostic s’améliore chaque année grâce au progrès de la technique de greffe et aux nouvelles TKI qui sortent régulièrement.

Vous savez, lors de mon diagnostic, c’était un moment terrible... Au début, on savait que j’avais une leucémie, mais pas de quel type. Le médecin vous dit, "On attend la cytologie, si vous êtes Ph+ négatif, la chance de survie à 5 ans c’est 70 %, sinon, c’est 40 %..." Quelques jours plus tard, le résultat arrive, et paf, dans le c*l Lulu, t'es Ph+... C’est comme d’apprendre une deuxième fois que tu as un cancer... Heureusement ce jour-là, coïncidence incroyable, j’avais la visite d’un ami de ma femme qui a eu une ALL Ph+ juste comme moi. Il était dans la chambre lors de l’annonce du médecin (j’avais autorisé tout le monde à rester), et il m’a regardé, en me disant : "Regarde, moi aussi, j’étais Ph+ et 10 ans plus tard, je suis debout face à toi". Vous ne pouvez pas savoir ce que je suis reconnaissant de ce hasard incroyable du destin qui m’a permis d’y croire et de ne pas perdre espoir.

Bref, j’ai acheté ce livre, qui raconte en détail l’histoire de la découverte de cette mutation si particulière qui a ouvert le champ à une nouvelle catégorie de thérapie, les thérapies ciblées, dites géniques...

Et je n’arrive pas à le lire.

Un soir, dans mon lit, je l’ai pris, j’ai essayé de l’ouvrir, impossible. C’est comme s’il y avait quelque chose de noir et de néfaste à l’intérieur de ce livre. Oh, je suis conscient que c’est dans ma tête, hein... Mais pour moi, c’est comme si je lisais le journal intime de mon violeur ou de la personne qui a essayé de me tuer. Dans ces pages, il y a forcément l’histoire de gens qui sont morts, tués par la même maladie que moi, qui n’ont pas eu la chance de bénéficier des traitements modernes. C’est aussi l’histoire des héros des premiers protocoles de recherche, qui ont donné leur vie pour que des gens comme moi puissent vivre. Je suis sûr que c’est passionnant, c’est le genre de sujet qui m’intéresse, vous imaginez bien... Mais c’est tellement chargé émotionnellement pour moi, que je ne sais pas si j’arriverais un jour à le lire. On verra.

vendredi 6 décembre 2013

Ou l'on reparle de préparation

Si vous me suivez depuis un moment, vous savez que je suis avec intérêt le blog de VolWest, qui traite du "survivalisme", qui est un mot que je n'aime pas beaucoup, car il est trop vague et connoté. En gros, il s'agit de la préparation à des scénarios de catastrophes de degrés variés: VolWest parle d’événement "vert" (moins de 72 heures), "jaune", "orange", "rouge" (effondrement total de la civilisation).

Quand on dit que l'on est survivaliste, ou "prepper", comme on dit aux US, on est souvent un peu pris pour des tarés paranoïaques, et il faut bien dire que l'on n’est pas aidé par toute une frange du mouvement qui sont des espèces de guerriers du dimanche qui se préparent à une invasion de zombies en stockant des années de bouffe et des tonnes d'armes et de munition. C'est très dommageable, il y a beaucoup de survivalistes qui sont des gens comme moi, qui sont simplement prévoyants, intéressés par les concepts de résilience, par une forme d'indépendance face au système, par l'écologie aussi.

C'est à chacun de définir ses besoins en terme de préparation, et d'envisager les risques éventuels auxquels vous pouvez être confronté. Pour vous donner une idée du type de réflexion que l'on peut avoir, je vais vous expliquer en gros mon analyse de mes risques personnels.

Premièrement, une chose dont les survivalistes ne parlent à mon avis pas assez, c'est la "survie" au sein du système. Dans notre monde actuel, le risque le plus important, ce n'est pas l'effondrement de la société et la famine, comme certains paranos peuvent nous le faire croire, mais c'est la perte d'un emploi, ou un accident, une hospitalisation, ou celle d'un proche. La première chose à faire c'est de s'assurer d'avoir tous les filets de sécurité nécessaire au sein du "système". Pour la petite histoire, lorsque j'ai changé de boulot ici à Seattle, j'ai eu à choisir si je voulais prendre une assurance complémentaire santé en plus de mon assurance principale... Je me suis posé la question, en me disant, "A 30 ans, quel est le risque que j'aie un accident grave?"... Et puis finalement j'ai décidé qu'il serait stupide d'essayer d'économiser 10$ par mois sur un truc pareil... Pas besoin  de vous faire un dessin: si je ne l'avais pas fait, à l'heure actuelle, je serais sacrément dans le caca. Donc, avoir les assurances qui vont bien, avoir une réserve d'argent (ie, ne pas vivre à crédit, comme beaucoup de gens le font ici...) ...

Une fois ceci fait, pour moi, il faut s'intéresser au risque d'accidents de la vie: il est pour moi impératif de faire une formation aux premiers soins, et d'avoir en permanence sur soi une mini trousse de premiers secours. Je ne compte plus les fois où la petite pochette que j'ai en permanence dans ma sacoche a été mise à contribution pour moi ou mes amis. En tant que "grand malade", j'ai aussi dans mon sac un pilulier avec l'équivalent d'une journée de tous mes médicaments. L'idée, c'est que si pour une raison ou une autre, je suis coincé quelque part, j'ai toujours les essentiels sur moi.

Alors pourquoi est-ce que je pourrais me retrouver coincé quelque part, me direz-vous? Et bien, je vous propose deux scénarios. Première hypothèse: il arrive parfois à Seattle de se retrouver prise dans des tempêtes de neige ultras violentes qui paralysent la ville. Ne riez pas, une fois une de mes amies s'est retrouvée coincée pendant 10h sur l'autoroute à cause d'une tempête de neige soudaine.  Deuxième hypothèse, il faut rappeler que Seattle est une zone sismique. En 2006, la ville a été frappée par un tremblement de terre de magnitude 6, qui a fermé ma boite pendant une semaine le temps de nettoyer les dégâts. Il est donc parfaitement possible de se retrouver piégé hors de chez soi par un tremblement de terre. Dans ces deux cas, pour moi, pas de problème, j'ai toujours sur moi des médicaments, de quoi tenir le temps de regagner mon domicile, même si cela doit me prendre 24h.

En parlant de tremblement de terre, l'essentiel de notre préparation "catastrophe naturelle" est axée sur ceux-ci. Nous avons des sifflets sur nos portes-clés, nous avons des lampes torches dans l'appartement et dans la voiture, nous avons une caisse dans la voiture avec tout ce qu'il faut pour survivre pendant 72h (eau, nourriture, réchaud, couvertures..), et la même caisse dans notre appartement. Nous avons aussi un filtre à eau dans la voiture, et un stock d'eau d'une semaine pour deux dans l'appartement. Cela vous semble délirant? Lors du typhon Hayan, il y a eu énormément de morts... de soif, parce qu'il n'y avait plus d'eau courante et que les sources d'eau étaient contaminées par les cadavres, etc... Si chaque foyer avait eu un filtre à eau, même un petit filtre à 40$ qui peut alimenter 10  personnes par jour en eau pure, des centaines de morts auraient pu être évitées. S'il y a un tremblement de terre à Seattle et que l'eau courante est coupée pendant quelques jours, nous sommes autonomes en attendant les secours.

A l'heure actuelle, nous ne nous préparons pas à un scénario de type rouge, "effondrement de la civilisation", car avec nos ressources et la maladie, c'est pratiquement impossible. Nous nous informons et c'est déjà pas mal. Nous rêvons aussi de construire un jour une maison écologique, indépendante énergétiquement, mais c'est avant tout parce que le sujet nous passionne tous les deux et non pas parce que nous sommes dans une psychose "fin du mondiste".

Le plus amusant dans tout ceci c'est que toutes ces préparations qui semblent faites pour des événements exceptionnels comme des tremblements de terre  se révèlent utiles dans toutes sortes de petits accidents de la vie au quotidien. Par exemple, ce week-end, en revenant de Palouse Falls, Celia ouvre la fenêtre de la voiture pour prendre une photo du paysage magnifique, et là, la vitre tombe dans la portière. Blam. On se retrouve comme des quiches, à 1h30 de la ville la plus proche, en plein week-end de Thanksgiving, alors que tous les magasins sont fermés (chose extrêmement rare aux US, il faut l'avouer), par 0C, avec une vitre cassée. Galère?

Et ben, par vraiment en fait. Il se trouve que quand nous avons fait de la peinture dans notre appartement, j'ai gardé les feuilles de plastique que nous avions acheté, et que je les ai stockées juste au-dessus de la roue de secours, en me disant que ça pourrait servir de protection un jour. Il se trouve aussi que j'ai du Duct Tape dans mon kit voiture. Et hop, en quelques minutes, nous bricolons une fenêtre de fortune, qui non seulement nous permettra de rentrer chez nous ce soir-là, mais qui nous permettra de rentrer à Seattle le lendemain (5h de route). Ce qui aurait pu être une sacrée galère, surtout vu mon état de santé, ne s'est révélé être rien de plus qu'une aventure.







lundi 2 décembre 2013

Palouse Falls

Ce week-end, nous avons été, comme chaque année, passer quelques jours dans l'est de l'état de Washington pour Thanksgiving.

C'est un endroit que j'adore, très particulier, une espèce de steppe absolument magnifique... C'est aussi l'endroit où sont produits la majorité des vins de l'état. Je referais probablement plusieurs posts cette semaine à ce sujet, mais aujourd'hui, je souhaitais essentiellement vous parler de Palouse Falls.

En fait, dans ce cas précis, une image vaut mieux qu'un long discours, il est impossible de vous décrire ce paysage dantesque... Alors je vous laisse regarder la vidéo :).

petite carte pour situer :)



Palouse Falls




dimanche 24 novembre 2013

Lettre ouverte à Madame Bertinotti

Il y a quelques jours, la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, a annoncé qu'elle souffrait d'un cancer du sein depuis plusieurs mois, ce qui ne l'avait pas empêché d'assumer ses fonctions tout au long du traitement.

J'ai l'impression que comme beaucoup de malades (et de non malades), j'ai accueilli la nouvelle avec un mélange d'admiration pour son courage et sa force de volonté, de joie à l'idée qu'elle soit en voie de guérison, car c'est toujours une bonne nouvelle lorsque l'un d'entre nous s'en sort... Et en même temps cela m'a mis très mal à l'aise, et ce, je pense, comme nombre de patients. D'ailleurs, un article vient de paraître sur Rue89 ayant pour titre « J'ai un cancer, et je ne suis ni digne, ni courageuse », qui expose un discours très similaire à celui que je m'apprête à tenir.

Cela m'a donné envie d'écrire une lettre à la ministre.

Madame Bertinotti,

Je suis très heureux que votre traitement soit achevé, que vous alliez bien et que vous ayez pu continuer à travailler tout au long de cette épreuve...

Mais.

Vous avez certainement une voiture de chauffeur avec fonction, vous n'avez pas eu comme moi besoin de demander à vos amis d'organiser des roulements pour vous emmener à la clinique, vous n'êtes probablement jamais restée comme moi pendant 2 h en carafe à l’hôpital sans pouvoir rentrer chez vous parce qu’aucun taxi n'est disponible et parce que tous vos amis travaillent.

Je suppute, et vous m'excuserez si c'est inexact, que vous avez une secrétaire et une armée de subordonnés qui vous ont déchargé du poids de votre quotidien. Je ne connais pas votre train de vie, je ne sais pas si vous avez des enfants, mais j'imagine que vous avez du personnel qui vous décharge des tracasseries administratives, du ménage, des courses, etc. En temps normal, je ne vois déjà pas un ministre aller au Prisunic faire ses courses alors, une ministre en cours de chimio, encore moins.

Pendant mon traitement, alors que j'étais à l’hôpital, ma femme dormait sur un lit de camp à côté de moi, pendant que des amis se relayaient pour aller nourrir nos chats. Lorsque que je suis sorti de l'hosto, entre deux allez et retour à la clinique pour me faire une transfusion (car l'aplasie est bien plus sévère dans les chimiothérapies de cancers du sang que de cancer du sein), nous avons du me traîner chez un avocat pour régler un problème administratif concernant mon visa, qui aurait pu m'empêcher de recevoir des soins. J'ai failli vomir tripes et boyaux, dans une salle d'attente cossue au 56e étage d'un gratte-ciel du centre de Seattle, en attendant une signature sur un bout de papier me confirmant que j'avais le droit de recevoir des soins. Un stress dont je me serais bien passé.

Je pourrais continuer longtemps mais je crois, j'espère en tout cas, que vous m'aurez compris et que je n'ai pas besoin d’illustrer plus avant la différence considérable qu'il y a entre le quotidien d'un malade comme vous et celui d'un malade comme moi.

Autant je sais que la souffrance des corps et des esprits ne peut pas se mettre sur une échelle et se comparer, autant je sais que comme tous les malades, comme nous tous, vous avez certainement dû salement en baver, si vous me passez l'expression,  autant, vous, Madame la Ministre, n'avez jamais eu à vous demander si demain vous alliez pouvoir payer votre traitement ou si tout simplement vous pourriez vous rendre à l’hôpital.

Moi, si, comme beaucoup de gens en France.

D'autre part, comme le souligne la personne qui a écrit l'article de Rue89, il y a une variété énorme de cancers et une variété encore plus grande de corps subissant ces cancers. Prenons le cas des leucémies par exemple. Il est complètement impossible de continuer à travailler pendant les cycles de chimio de type HyperCVAD utilisés pour traiter les leucémies aiguës (comme celle qui m'a touché en 2011), d'ailleurs en France, la sanction c'est carrément un mois de chambre stérile. Une greffe de moelle pour une leucémie, c'est un mois minimum d'isolement, souvent plus, puis un an de convalescence, et plus si vous faites, comme dans mon cas, du rejet de greffe. Par contre, pour certaines chimios de consolidation de leucémies chroniques, il est tout à fait possible, voire même conseillé, de continuer à travailler entre les cycles d'entretien. Comme quoi, il n'y a pas de réponse unique.

Dans le cas des cancers du sein, je connais une infirmière qui se portait relativement bien tout au long de son traitement et qui a toujours continué à travailler... D'un autre côté, j'ai des amies qui toléraient extrêmement mal les médicaments, qui étaient au 36e dessous, et qui plusieurs mois après l'arrêt de la chimio ne sont toujours pas en état de travailler. Vous savez comme moi que c'est une loterie et que l'on ne peut pas savoir à l'avance comment on s'en sortira.

C'est l'un des problèmes de votre annonce: elle risque de donner l'impression que l'on peut travailler avec un cancer, ce qui dans le cas général n'est largement pas vrai, c'est plutôt une exception, il me semble... En tout cas cela dépend des cancers, et dans le monde des leucémies, c'est une exception. Cela a aussi un effet culpabilisant pour les femmes qui ne sont pas aussi fortes que vous, alors qu'elles n'y sont pour rien. Vous n'y êtes pour rien, d'ailleurs... Mais il faut que vous en ayez conscience.

Je comprends toutefois votre message et quelque part je le salue, vraiment, car je suis profondément d'accord avec vous, ce qui vous surprendra peut-être étant donné le ton du début de cet article. En effet, je pense vraiment qu'il faut changer les mentalités des entreprises afin qu'elles acceptent d'employer des malades à mi-temps, des malades qui peuvent (médicalement) et qui souhaitent travailler. Je regrette aussi le coté tout ou rien des assurances invalidités (en tout cas aux US, j'avoue qu'étant expatrié, je connais moins comment cela se passe en France) : souvent, si un malade reprend le travail et que cela ne fonctionne pas, il perd son invalidité, ce qui n'incite pas à prendre un risque, à se lancer en travaillant un tout petit peu pour voir si cela marche avant de monter en puissance. Il y a beaucoup à faire et à réfléchir, sur l'intégration des malades dans le monde du travail et dans la société en général.

Par contre, une de vos citations dans l'article du Monde m'a choqué :. « Pour que les employeurs comprennent que la mise en congé longue maladie n'est pas forcément la meilleure des solutions. »
Je ne vois pas ce que les employeurs ont à voir là-dedans, c'est avant tout une décision médicale, faite par les médecins, et ce n'est pas à l'employeur de décider si un malade doit continuer à travailler ou non. Je me demande si votre phrase n'aurait pas été sortie de son contexte, car elle n'a tout bonnement pas de sens.

D'ailleurs, il me semble que sont encore plus nombreux les gens qui sont dans une situation dramatique, avec des maladies terribles, qui ne peuvent pas reprendre le travail de quelque manière que ce soit. Nous ne sommes pas tous aussi fort que vous, nous n'avons pas tous autant de support, nous avons aussi parfois des pathologies bien plus lourdes et bien plus longues... Il me semble qu'il y a beaucoup plus de gens qui sont dans des situations dramatiques de fins de droits, de précarité, de perte d'emploi (j'ai moi-même perdu mon emploi et personne ne veut m'employer autrement qu'à temps plein, ce qui est médicalement hors de question) que de gens qui vivent leur cancer suffisamment bien pour travailler. J'espère juste que votre « coming-out » ne fera pas oublier encore un peu plus tout ces oubliés du système, qui ont parfois un peu l'impression qu'il ne leur reste plus qu'à crever, afin de ne plus être une charge pour une société qui ne veut plus d'eux.

Nous sommes encore une fois face à un problème très complexe. Il ne faut pas déresponsabiliser les gens. Il faut éduquer les entreprises pour faire accepter la maladie dans le monde du travail. Il ne faut pas tomber dans l'excès inverse : « et si lui travaille pendant sa maladie, pourquoi pas vous » ? Il ne faut pas oublier tous les malades qui ont des invalidités et des pathologies extrêmement longues, pour lesquels il y a bien trop peu de ressources et de structures en place, et bien garder en mémoire que pour les malades de cancer, souvent, pour peu qu'il y ai le malheur d'avoir une récidive ou quelque complication que ce soit, on parle d'années d'invalidité, pas de mois...

Bref.

Madame la Ministre, je suis très heureux que vous ayez terminé votre traitement, et je vous souhaite de passer toutes les prochaines étapes avec succès. Je suis le premier à savoir que ce n'est pas parce que la chimio est terminée que le combat est fini, croyez-moi. Mais j'espère que vous n'êtes pas victime du biais du survivant, « Si je l'ai fait, pourquoi pas les autres ». Peut-être avez-vous eu de la chance, peut-être êtes-vous plus coriace et courageuse que la moyenne, qui sait. Ne faites pas une règle de votre cas. Encore une fois, je pense qu'il y a beaucoup, beaucoup, plus de gens qui sont en fin de droits qui se demandent comment survivre à leur maladie, que de gens qui se demandent comment travailler pendant celle-ci.

Je vous souhaite, comme à tous les patients avec qui j'échange, tout le courage du monde.

jeudi 21 novembre 2013

Contre le chalutage en eaux profondes: oui, mais

Depuis quelques jours la bédé de Pénélope Bagieu contre le chalutage en eau profonde se repend sur Facebook  comme un feu de forêt, et c'est très bien. Si vous n'avez pas encore lu sa planche, je vous invite à le faire, et à signer la pétition, sans quoi vous ne comprendrez pas grand chose à cet article.

Comme beaucoup d'entre vous apparemment, j'ai été horrifié en découvrant l'inanité de cette pratique, et je me suis empressé de signer la pétition. Cependant, toute l'histoire me laissait une impression étrange, comme s'il manquait un morceau à toute cette histoire. Et puis hier soir j'ai percuté ce qui me gênait profondément.

Dans l'équation économique de Pénélope, il y a toute une démonstration mettant en lumière le fait que cette pêche opère complètement à perte, qu'elle n'est rentable que grâce aux subventions publiques. Sauf que l'on oublie un peu rapidement quelque chose: peut-être que cette industrie opère à pertes, mais si les supermarchés peuvent justifier de subventions c'est avant tout parce qu'ils arrivent à vendre leurs produits de merde à base de sous produit de poisson dont personne ne veut à quelqu'un.

En d'autre termes, certes, tout ceci ne fonctionne que grâce aux subventions publiques certes, ce qui est proprement scandaleux, mais avant tout, tout ceci ne fonctionne que parce que les gens achètent les barquettes de poisson industrielles, provenant donc du chalutage profond.

Ce qui me pose problème donc, ce n'est pas l'initiative de Pénélope, que je trouve tout à fait louable, mais bien vous, chers lecteurs, et je prend le risque de vous prendre à partie volontairement, car moi aussi cela me tient à cœur ce genre de sujet.

C'est bien joli de s'indigner et de faire du bien à sa conscience en signant cette pétition... Mais si c'est pour se précipiter le lendemain dans un Intermarché pour acheter une barquette de poisson surgelé provenant de l'industrie même que cette pétition condamne cela ne peut pas marcher.

De plus en plus, il est important de consommer consciemment. Nous vivons à une époque charnière du développement humain, et tout est encore possible: nous pouvons nous en sortir et créer des économies qui soient durables, ou nous pouvons continuer sur la tendance actuelle où nous dévorons la planète plus vite qu'elle ne se régénère. A nous, chaque jour, de faire les bons choix.

Vous allez me dire, oui, mais c'est compliqué, il faut avoir l'information, ce n'est pas clair... Je suis d'accord. Pour le poisson, c'est dur de savoir quoi consommer. Poissons sauvages? Ils sont menacés d'extinction à cause de pêche intensive. Poissons d'élevage? Dans une recherche de profit, la qualité de ces poissons est de plus en plus mauvaise: contamination aux métaux lourds, aux antibiotiques, aux pesticides...

Vous allez me dire, oui, mais cela coûte cher... Mais qu'est ce qui est le plus important? De mettre dans votre corps des produits de qualité, qui vont être transformé... en vous, je vous rappelle! Ou d'acheter la dernière TV écran plat 3D qui fait le café? A vous de voir... Perso, j'ai choisi.

Cette pétition, c'est vraiment super, mais si personne n'achetait ces produits de merde, le problème n'existerait pas. La balle est avant tout dans votre camp.

mercredi 20 novembre 2013

Un déjeuner à Snoqualmie Falls

Dimanche, pour changer un peu, nous avons décidé de sortir de Seattle pour déjeuner.

Une des choses qui rend cette ville si agréable à vivre c'est qu'en quelques dizaines de minutes vous êtes en pleine nature dans des paysages magnifiques. J'ai eu un jour une discussion avec quelqu'un qui ne trouvait pas que Seattle était une jolie ville, en jugeant uniquement d'après des photos de Downtown Seattle, mais en fait c'est mal comprendre l'écrin de beauté dans laquelle cette ville est enchâssée. De ma fenêtre, aujourd'hui, j'ai la vue sur les Olympics, c'est quand même un pied d'enfer.

Dimanche donc, nous sommes allés déjeuner à Snoqualmie Falls. C'est une cascade, comme son nom l'indique, qui est au premier col de la chaine de montagnes qui s'appelle les "Cascade Mountains" justement. Quelques kilomètres plus loin, il y a une station de ski, à 45 mins de route de Seattle donc. On est veinards, non? (Enfin, si je n'avais pas d'ostéoporose...). 

J'avais repéré depuis longtemps la "Lodge" dans laquelle je souhaitais emmener Celia, et j'avais repéré la table avec la vue que je souhaitais... Malheureusement pas moyen de réserver, donc il s'est agît de faire confiance à la chance... Or, quand nous somme arrivés, les places prêt de la fenêtre étaient prises, mais miracle, quelques minutes plus tard, elles se sont libérées... Je me suis alors jeté sur la table que je convoitais, agaçant un peu la serveuse au passage, car je me suis mis dans son chemin, l'empêchant de faire son travail... Mais cela faisait des mois que je rêvais d'emmener Celia déjeuner précisément à cette table, avec vue sur la Cascade, donc tant pis! Je me suis fendu de mon plus beau sourire pour me faire pardonner :).

Le reste se raconte en image et en vidéo!

Oh, et pour l’adresse sur la carte, ne cherchez pas, ce n'est pas notre adresse :).


Et deux photos depuis l'intérieur du restaurant, imaginez le déjeuner avec cette vue:

Snoqualmie Falls...

Imaginez ce que cela doit donner à la fonte des neiges...


Voilà!

mercredi 13 novembre 2013

Des orques accompagnent un ferry dans la baie de Seattle

Allez, changeons un peu d’air. Aujourd’hui, je vais vous raconter une histoire incroyable.

Il y a quelques semaines, il s’est passé quelque chose d’exceptionnel dans la baie de Seattle. En pleine journée, 3 douzaines d’orques ont entouré un ferry effectuant la traversée de Seattle vers Bainbridge Island, le forçant à ralentir et à presque s’arrêter. À bord de ce ferry, il y avait le chaman d’une tribu indienne qui accompagnait des reliques sacrées de sa tribu qui étaient déplacées pour être ramenées sur leurs terres ancestrales. Chose intéressante, cette tribu est une tribu de pécheurs qui vénère particulièrement l’orque comme animal totem.

Alors vous êtes peut-être amusés par la coïncidence, sans plus. Laissez-moi vous expliquer en quoi cet évènement est vraiment exceptionnel et magique.

Le Seattle Times (voir le lien ci-dessus) justement présente l’évènement comme une coïncidence, en expliquant que les orques étaient là depuis plusieurs jours pour se nourrir des saumons qui sont nombreux à cette période dans la baie (je ne sais plus si c’est les vieux qui remontent pour frayer ou les jeunes qui descendent à cette période). Sauf que ce que ne dit pas l’article c’est que saumons ou pas, il est extrêmement rare de voir des orques si bas dans l’estuaire. Il arrive exceptionnellement d’en voir un dans le port de Seattle, encore plus rarement quelques-uns... Mais pas une dizaine.

en gros les orques ont été vu en vue de ça... Étonnant.

Il faut bien se rendre compte qu’a cet endroit, nous sommes juste en face de l’entrée de l’un des plus gros ports marchands de la côte ouest des États-Unis, avec des dizaines de ferrys qui font l’aller-retour entre chaque bord de l’estuaire, des bateaux de plaisance, des bateaux de croisière, des cargos... Bref, vraiment pas un endroit propice à la rencontre de cétacés.

une petite carte pour que situer un peu notre histoire et l’échelle

Pour en voir une dizaine, il faut monter à une centaine de kilomètres au nord de l’estuaire, dans l’archipel des San Juans. C’est un amas d’îles qui est un lieu de reproduction privilégié des orques: ces mammifères sont habituellement solitaires, mais se retrouvent ponctuellement pour élever leurs jeunes. Nous avions d’ailleurs participé à une mini croisière pour aller voir des orques durant la période de reproduction, et nous avions eu la chance de voir une famille d’une dizaine d’orques, ce qui est déjà quelque chose de vraiment génial. Je ne dirais pas exceptionnel parce que si vous allez dans les San Juan à cette époque de l’année, vous avez de bonnes chances de voir des orques. Ce n’est toutefois pas garanti!

Une photo d’un orque prise par un ami il y a 3 ans dans les San Juans

Vous vous rendez bien compte donc que de voir un orque au niveau de Seattle c’est déjà rarissime, de voir une famille d’une dizaine carrément exceptionnel, mais d’en voir 3 douzaines, qui en plus entourent justement le ferry où est présent un chaman qui ramène les reliques sacrées d’une tribu vénérant les orques, c’est carrément... magique.

Cela me touche beaucoup, car depuis quelque temps j’ai aussi un lien avec les orques. Depuis que nous sommes arrivés ici, je m’intéresse aux Amérindiens (aux First Nations, comme on dit au Canada, ce qui a beaucoup plus de classe que le Native Americans des États-Unis qui suppose déjà une assimilation), et depuis longtemps je cherchais à me procurer de l’artisanat amérindien authentique, ce qui est plus difficile qu’il n’y parait, même quand on est dans une région aussi riche en tribus amérindiennes. C’est finalement à 500 kilomètres au nord de Seattle, sur l’île de Victoria, que j’ai trouvé une bague gravée de motifs de la tribu Kwakwaka' wakw, que m’a offerte Celia pour mon anniversaire. Parmi tous les motifs, j’ai justement choisi l’orque, qui dans cette tribu est symbole de longévité. Vous imaginez aisément les raisons de mon choix. J’ai par conséquent tous les jours le symbole de l’orque sur la main, et c’est quelque chose qui a une signification pour moi.



Vous savez, quand je vous ai fait mon laïus sur le sens de la vie, j’ai écarté assez fermement tout coté métaphysique et spirituel, car je crois profondément que l’on soit athée, agnostique, croyant ou juste mystique, il y a d’abord cette vérité simple du lâcher-prise et du bonheur dans l’instant, qui doit être décorrelé de toute tradition si l’on veut toucher le plus de gens possibles. Je crois aussi profondément qu'il ne faut pas dire n'importe quoi, surtout lorsque l'on parle de maladie.

Mais la vérité, et si vous me suivez depuis longtemps, vous le savez probablement, c’est que je suis moi-même une école taoïste, qui plonge ses racines dans le chamanisme ancien ... Du coup je m’intéresse aussi beaucoup aux pratiques chamaniques amérindiennes, c’est quelque chose qui me parle et qui me touche. C’est étrange, car je suis un enfant de l’âge du silicium, ingénieur, informaticien, scientifique... Pourtant j’ai envie de croire à la magie, aux esprits, aux totems, au sacré. Non seulement j’ai envie d’y croire, mais j’y crois, en fait, profondément. Alors vous comprendrez que cet évènement, cela me touche énormément, je trouve ça vraiment magnifique.

Bien sur, on peut dire que c’est une coïncidence, mais qu’est ce qu’il vous faut: 3 douzaines d’orques qui entourent un ferry où est présent un chaman d’une tribu qui vénère les orques dans une zone où il n’y a pratiquement jamais d’orques... Faut que le Monde écrive "La magie, ça existe!" en gros dans le New-York Times, pour convaincre les sceptiques? ;).

Au passage, je profite de cet article un peu mystique pour faire un peu de pub pour une amie: vous trouverez dans mes liens un lien vers une amie qui est voyante et qui est complètement surprenante... Je veux dire, elle prêche un convaincu, mais à chaque fois que je lui cause, elle arrive à me sidérer, donc si c’est votre délire, pourquoi pas! Sans garanties, mais dites-lui que vous venez de ma part.

En direct des Golden Blog Awards 2013

Et oui, la cérémonie c'est aujourd'hui!

Comme vous le savez peut-être, grâce à vous, j'ai été shortlisté dans la catégorie Science (qui regroupe aussi les blogs Santé etc...), et donc j'ai reçu deux pass pour la cérémonie qui se déroule en ce moment même à l'hôtel de Ville.

Forcément, 8000 km, ça fait un peu loin, surtout quand on est immunosupprimé, donc j'ai choisi de me faire représenter par un ami. Pas facile d'ailleurs, j'ai plein d'amis que ce genre d’événement ne branche pas du tout, mais finalement j'ai trouvé une bonne âme que cela enchantait, donc banco! Merci Nicolas!

Pour la petite anecdote, il y a 5 minutes, il m'envoie un message sur Facebook, "Oui, on est devant, il y a une queue de malade, on va mettre une heure à rentrer"... Puis quelques instants plus tard: "Mais au fait, tu es shortlisté, on peut passer devant tout le monde!" Et oui, traitement VIP ce soir, cher Nicolas... Et je ne suis pas là pour en profiter ,)

Du coup, je suis la cérémonie en live en streaming, et sur Twitter (et aussi ici #GBA13).

D'ailleurs voici une photo que j'ai volé sur Twitter, si cela vous ennuie, n'hésitez pas à me le dire, je l'enlève!


Et une petite photo de Nicolas!





Voilà, bon je suis collé à mon écran, j'ai une chance minime de gagner, mais bon, c'est toujours fun d'y croire!

A tout à l'heure pour les résultats :), et sinon, RDV sur Twitter si vous souhaitez tailler une bavette en live.

EDIT, ma catégorie vient de passer et je n'ai pas gagné, félicitation à Science Infuse qui a un super blog!

lundi 11 novembre 2013

Les infections de Hickman

Les différences entre le traitement des leucémies aux États-Unis et en France

Il y a parfois des différences importantes entre les soins pour les leucémies aux États-Unis et en France. Par exemple, vous savez peut-être qu'en France, toutes les chimiothérapies pour les cancers du sang se font en chambre stérile (à cause de l'aplasie plus profonde et plus longue que pour une chimio de cancer solide), alors qu'aux États-Unis, tout se fait dans des chambres normales. Le règlement sanitaire est draconien, certes, mais l'environnement n'est pas stérile. Ce genre de différence fait bondir les médecins français à qui j'en parle, pourtant, il faut se rendre à l'évidence: cela marche, et pas qu'un peu. Au Seattle Cancer Care Alliance, il y a 50 lits de transplantation, et on fait 500 transplantations par an... Avec un taux de réussite comparable ou meilleur aux meilleurs hôpitaux français. Pour comparer, le plus gros hôpital greffeur français doit faire un maximum de 50 greffes par an...

Une autre de ces différences de vues fondamentale concerne le changement des pansements couvrant le site d'insertion des Hickmans. Rappelez-vous, les Hickmans, ce sont ces voies centrales, des cathéters qui plongent directement dans la veine cave. L'endroit où le cathéter plonge dans le corps est couvert par un large pansement carré, qui empêche le site de se salir et de s'infecter. Bon, et bien en France, ces pansements sont changés par des professionnels, c’est-à-dire des infirmières à l'hôpital, alors qu'à Seattle, ce sont les patients (et leurs soignants) qui changent le pansement à domicile.

Votre serviteur, son Hickman, et le pansement dont il est question dans cet article

"Quoi? Mais vous êtes fous?"

Quand je raconte cela à des médecins (ou des patients élevés dans le moule) français, la réaction est toujours la même: "Quoi? Mais ce n'est pas super dangereux? Comment vous faites pour que cela soit parfaitement stérile, le risque d'infection doit être énorme, non?".

Et bien figurez-vous que non, c'est même l'inverse, et ce que je vais vous raconter m'a longtemps laissé perplexe.

Je suis en contact, via le blog, avec une dizaine de patients français, et je connais l'histoire d'une dizaine d'autre. Via le groupe de support du Seattle Cancer Care Alliance, je connais plus ou moins bien une vingtaine de patients ayant eu divers cancers du sang (leucémies, lymphomes). Bref, des proportions à peu près égales.

Un résultat sans appel

Tous les Français que je connais ont eu une infection de ligne.

Aucun patient de Seattle que je connais n'a eu d'infection de ligne.

Je vous rappelle: France: pansement changé par des pros, US, pansements changés par les malades.

Alors, ok. Ces échantillons ne sont absolument pas statistiques, et l'on ne peut pas établir de vérité à partir d'eux. Je trouve néanmoins étonnant que je n'arrive pas à trouve d'infections dans mon coin alors que je n'ai qu'a me baisser quand je parle à des patients français.

Mais pourquoi est-ce aussi important?

Petite digression: vous ne comprenez peut-être pas pourquoi c'est un sujet important. Il faut bien comprendre que lorsque l'on parle de leucémie et de greffe de moelle osseuse, une proportion importante de la mortalité de la procédure n'est pas due à la maladie en elle-même, mais aux effets secondaires de la thérapie. Parmi eux, le plus important est l'immunosuppression: on risque d’attraper plus facilement des infections et surtout, quand on attrape une infection, on risque d'en mourir. La plupart des morts lors d'une transplantation dans ma tranche d'âge surviennent à cause d'une infection... C'est donc un sujet d'une importance cruciale.

Alors pourquoi cette dichotomie entre la France et les US? Et bien cela m'a longtemps laissé perplexe, mais c'est l'entretien avec Katy, atteinte d'une leucémie en décembre 2012 qui m'a apporté les réponses que je cherchais (je vous invite à aller directement écouter cette partie où elle raconte son infection de ligne).

À mon sens, il y a trois facteurs qui mis ensemble font que l'on s'en sort mieux ici qu'en France.

Moins on en fait, mieux on se porte!

Apparemment, en France, le pansement est changé une fois par jour lorsque le patient est à l'hôpital. À mon sens c'est une hérésie que rien ne justifie. Ces pansements sont prévus pour pouvoir rester en place une semaine, cela ne sert à rien de les changer tous les jours. Rappelez-vous ma vidéo sur la préparation des médicaments: quand vous faites une tache où il y a un risque d'erreur incompressible, vous ferez forcément des erreurs... Alors réduire le nombre de fois où vous faites la manœuvre permet de réduire le nombre d'erreurs total sur une période de temps. Si vous changez le pansement 50 fois par an au lieu de 365 fois, vous prenez 7 fois moins de risques... Car à chaque fois que l'on expose le site d'insertion à l'air libre on prend un risque non négligeable.

L'hôpital, un faux sens de sécurité

L'hôpital, cela donne un faux sens de sécurité. Il faut bien comprendre quelque chose de fondamental: toutes les bactéries résistantes aux antibiotiques, elles se trouvent à l'hôpital, pas chez vous. Chez vous, si vous nettoyez votre plan de travail avec soin et que vous mettez des gants et un masque, il n'y a pas de raison qu'il y ai des tas de bactéries mutantes, résistantes à toutes les saloperies chimiques diverses et variées que l'on trouve dans les hôpitaux. À l'hosto, si. Il y a une étude qui a été faite sur les blouses des médecins: ce sont de véritables boites de Petri ambulantes, avec des bactéries toutes plus dangereuses les unes que les autres. C'est du bon sens: si vous êtes un être humain normalement constitué qui ne vit pas dans un dépotoir, votre maison est moins contaminée de saloperies en tout genre que l'hôpital, et vous y êtes plus en sécurité. Réfléchissez voyons! À l'hôpital on amène les gens malades. Vous croyez que les gens malades ils trimballent quoi avec eux en cadeau hein? Et les infirmières, toute la journée, elles sont en contact avec quoi? Avec des malades. Votre femme, ou votre conjoint, s'il se lave les mains, est bien moins à même d'être porteur de toute une panoplie de batéries et de virus. C'est du bon sens.

Une question de responsabilité

Le dernier point, et à mon sens le plus important, c'est la responsabilisation personnelle. En apprenant au malade à s'occuper de son pansement et de sa ligne, on le responsabilise, au lieu de l'infantiliser et c'est à mon avis suprêmement important. Pour vous donner une idée, quand j'avais mon Hickman, tous les soirs, j'avais mon rituel où je prenais un tampon d'alcool et je nettoyais avec soin chaque ligne, du site d'insertion aux lumens, puis je nettoyais chaque lumen, je les emballais dans du film plastique, et enfin je pouvais aller me coucher, une fois ma ligne complètement propre. Quel que soit mon état de fatigue, c'est un rituel auquel je n'ai jamais dérogé. Quand on m'a enlevé ma ligne, mon médecin était surpris d'ailleurs: elle était comme neuve, apparemment ce n'est pas toujours le cas, certaines sont sales. Mais comment peut-on laisser s'encrasser un truc qui vous plonge dans le corps? Je ne comprends pas. À un moment, si l'on tient à la vie, il faut se prendre en main, m*rde!

Pour moi, ce point est le plus important: apprendre au patient à  se prendre en main, à effectuer les bons gestes, à être autonome. Il y aura toujours des cas où une infirmière n'est pas disponible: dans ces cas, comment faites-vous? Il est indispensable, pour moi, d'avoir un peu de verni, d'être un peu formé, d'être capable de se prendre en main. C'est excessivement important, et vous avez moins tendance à avoir des comportements à risque quand vous vous sentez responsable de quelque chose, à mon avis.

EDIT

Suite à quelques commentaires (n'hésitez pas à y jeter un œil d'ailleurs), je voudrais préciser que mon but n'est pas de taper sur le système Français, loin de là. Je suis bien conscient des faiblesses du système Américain, croyez moi, mais il a aussi des forces, et c'est intéressant justement d'analyser ces différences afin de faire évoluer ces deux systèmes de manière positive.

mercredi 6 novembre 2013

Revue de presse leucémie et cancer, semaine du 6 novembre

Après un long silence (comme d’habitude, silence = Loïc cassé en deux par un truc, en l’occurrence ici le vaccin de la grippe qui m’a méchamment amoché), revoici la revue de presse leucémie et cancer!

Leucémie

— Une femme de l’Indiana enceinte se bat contre une forme extrêmement rare de leucémie

Bon, cet article a peu d’intérêt scientifique, mais il résume très bien en quelques lignes le diagnostic, les dilemmes terribles auxquels on a à faire face, etc. De plus, cette femme est dans une situation particulièrement rare et compliquée: elle est enceinte de 5 mois... Imaginez le problème! Comment la soigner sans mettre en danger le bébé? C’est un vrai cauchemar, j’en ai froid dans le dos. 

— Des recherches sur les interactions entre plusieurs médicaments anti-leucémie progressent

Rappelez-vous, je vous parle souvent des TKI... Le problème c’est qu’environ 5 % des leucémies sont résistantes à toutes TKI existantes. Des chercheurs commencent à étudier la possibilité de combiner plusieurs TKI pour « briser » cette résistance. Une piste prometteuse, apparemment. 

Les parents d’une petite fille atteinte de leucémie transforment ses trajets à l’hôpital en aventure

J’adore ce genre d’histoire. Je me demande toujours comment les enfants, sans une fondation psychologique solide, peuvent encaisser ce genre d’épreuve (peut-être justement que leur malléabilité leur permet d’être plus adaptable, qui sait), et ce genre d’histoire me fait toujours vraiment chaud au cœur. Voilà des gens qui mettent de l’énergie dans quelque chose qui à un sens, plutôt que de la gaspiller dans de la haine ou quoi que ce soit d’autre. 

— La LLS lance un partenariat avec Evotec AG

Rappelez-vous, la LLS, pour laquelle nous récoltons des fonds, est une association très active aux US contre la leucémie. Voilà par exemple le genre de projet que finance la LLS, des collaborations de projets de recherche très intéressantes. 

— Ponatinib déclaré efficace dans certaines formes résistantes de leucémies

La saga des TKI continue: une étude vient de confirmer que ponatinib est efficace contre certaines formes de leucémies résistantes aux autres TKI... Parallèlement, on a appris récemment que ponatinib allait être retiré du marché sauf utilisation dans les cas extrêmes (de résistance à d’autres médicaments justement) car les effets secondaires sont trop importants... Ah, rien n’est simple dans notre petit monde!

Cancer

— Une petite fille chinoise de 8 ans devient la plus jeune malade d’un cancer du poumon de l’humanité

La pollution est mise en avant comme coupable. Il va bien falloir qu’un jour on se rende compte que notre mode de vie est toxique, non?

— Les effets de l’acuponcture en adjuvant des traitements contre le cancer: résumé des recherches

J’ai trouvé cette page qui résume un peu toutes les recherches faites dans le domaine. En gros, les applications sont multiples, principalement dans le domaine de la réduction de la douleur, dans la réduction des mucites (fréquentes aussi dans les traitements des leucémies), dans le traitement des nausées (avec moins d’effets secondaires que les médicaments... Rappelez-vous mon article sur les médecines complémentaires! L’acuponcture est un outil formidable qui devrait être utilisé en complément autant que possible... 

— Merck va commercialiser un vaccin protégeant des effets cancérigènes du papillomavirus

Alors Celia me dit que ce n’est pas nouveau que le premier vaccin date de 2006, donc je ne comprends pas bien. Apparemment, ce nouveau vaccin serait plus efficace. Sinon, c'est plutôt cool, non?

— Une fiche récapitulative sur les cancers métastatiques

Cela ne m’intéresse pas spécialement comme les leucémies sont des cancers sans tumeurs solides, donc sans métastases, mais vous trouverez peut-être cette fiche résumant tout ce qu’il y a à savoir sur les métastases intéressantes.

Le mécanisme de la fonte musculaire chez les malades de cancer commence à être élucidé

Ce qui va permettre de trouver des traitements... Pour info cette fonte musculaire est responsable d’environ 20 à 30 % des décès de cancer; donc ce n’est pas rien!

Santé

— Une équipe roumaine est en bonne voie pour arriver à fabriquer du sang artificiel

Alors là, ça serait vraiment une avancée absolument géniale.. Vous savez que le sang, c’est vraiment le nerf de la guerre dans notre combat contre la leucémie... Moi j’ai eu une trentaine de transfusions, certains patients en ont beaucoup plus, le sang est une ressource rare et précieuse... Ça serait vraiment formidable que l’on ait du sang artificiel! 

Un robot chirurgical de l’Université de Washington est mis en scène dans le film « Ender's Game »

Forcément, on est un peu fiers :).

La santé aux US

Actuellement, nous sommes en pleine mise en place d’Obamacare, la réforme du système de santé US. Si la réforme est vraiment nécessaire et plutôt positive (et très loin du cauchemar socialiste que font miroiter les républicains), l’accouchement ne se fait pas sans douleur (normal, créer un site web qui fait fonctionner ensemble les dizaines de compagnies d’assurances et de législations toutes différentes par état, c’est juste un cauchemar. 

Donc, il y a des histoires qui sortent de gens qui perdent leur assurance santé « à cause d’Obamacare », genre, on vous l’avait dit, c’est la fin des haricots. Le truc qui m’irrite c’est qu’on se sert de nous, les malades de cancer, pour toucher les émotions du public. 

— Le problème, c’est que comme souvent, il se trouve que c’est surtout beaucoup d’intox.



lundi 4 novembre 2013

De la cupidité

Celia et moi regardons de temps en temps une émission de TV réalité qui s'appelle "Shark Tank". Si vous ne connaissez pas, je vous explique rapidement le concept.

En gros, des entrepreneurs viennent présenter un produit, une invention, où une entreprise, devant un panel d'investisseur composé de millionnaires et de milliardaires, qui vont décider d'investir ou non dans le produit en question. D'où le titre de l'émission, les Sharks (requins) étant les investisseurs, et le "Tank", l'aquarium, l'émission.

Cette émission a un succès fou aux US pour tout un tas de raisons. Elle est passionnante à énormément de niveaux: il y a un côté concours Lépine, ou chaque semaine on découvre de nouveaux produits innovants (avec parfois de vraies bonnes idées, et parfois des produits complètements débiles), il y a tout l'aspect négociation qui est intéressant, pour les Américains c'est fascinant, car c'est souvent l'American Dream en marche, avec des gens qui arrivent avec une super bonne idée qui repartent avec une montagne de billets (c'est un peu plus compliqué que cela, mais vous voyez où je veux en venir), et pour nous expatriés, c'est une fenêtre très intéressante sur comment les Américains voient entrepreneuriat et le business.

Bref, c'est un "guilty pleasure", comme on dit.

Samedi dernier, pourtant, il s'est passé un truc dans un épisode qui m'a donné envie d'écrire cet article pour parler de quelque chose qui me travaille depuis longtemps. Je suis très mal à l'aise depuis un certain temps de voir le rapport malsain que notre société a vis-à-vis de l'argent, et je suis très mal à l'aise de constater que partout, que cela soit aux US ou en France, on parle de crise et on fait payer les pots cassés aux gens du commun (c'est à dire, vous et moi) alors que les super-riches s'enrichissent et s'enrichissent toujours plus vite. Alors je ne veux surtout pas rentrer dans un débat politique, surtout pas, car cela ne va jamais nulle part sur internet, mais je veux juste vous raconter ce qui s'est passé dans cet épisode pour vous expliquer via un cas pratique la nature de mon malaise.

Donc, dans cet épisode, un gars, un ex-fermier, arrive avec une invention géniale permettant de diminuer la quantité d'eau nécessaire pour arroser les arbres fruitiers. Il s'agit du Tree T Pee:

C'est un système super simple, mais super ingénieux qui empêche l'eau des sprinklers de gicler trop loin, de s'évaporer, et qui agit aussi comme protection contre le gel. En gros, cela permet d'économiser 80% de l'eau d'arrosage, c'est juste ÉNORME.

Donc, au moment de la négociation, on lui demande combien il vend son produit  et combien il fait de marge. Réponse: 1$.

Et la Kevin O'Leary, qui est l'un des investisseurs, et qui au passage est tristement célèbre pour avoir conclu la pire vente de la bulle internet en vendant sa compagnie 4 milliards à Mattel, compagnie qui coulera 6 mois plus tard, pour vous donner une idée du niveau d'éthique du gars, entame la négociation en disant:

"Ok, moi je veux bien faire un deal, mais il me faut une marge de 2$".

Le fermier, (je ne suis pas croyant, mais que Dieu le bénisse), ne se démonte pas, le regarde et lui dit: "Mais je vends ce produit à des fermiers, la marge honnête c'est 1$, je ne peux pas faire 2$ de marge, ce n'est pas honnête!".

Et la O'Leary se lance dans une diatribe comme quoi il faut bien qu'il rentre dans ses frais, qu'il fasse de l'argent, que maintenant ils sont deux, donc c'est normal de monter la marge... Un discours à vomir.

Le fermier ne s'est pas laissé démonter, et là un autre investisseur s'est avancé en disant "Ok, moi ça me plait, on va faire de l'argent en en vendant plein, je vous suis avec 1$ de marge".

Comme quoi c'est POSSIBLE.

Cela me rappelle l'histoire de Master Lock. Master Lock, c'est une compagnie américaine qui fabrique des cadenas. Récemment, ils étaient vraiment mal financièrement, alors les investisseurs leur ont demandé de délocaliser la production en Chine pour gagner sur les marges. La direction de Master Lock a refusé, car ils font en gros vivre une petite ville des US avec leur usine.

À la place, ils se sont mis à se positionner sur le créneau de la qualité. Ils se sont concentrés sur le fait de produire les meilleurs cadenas du marché. Ok, les Master Lock sont plus chers que la moyenne, mais ils sont aussi nettement plus résistants. Et ça a marché, Master Lock va à présent extrêmement bien!

Comprenez moi bien, je n'ai rien contre le fait de faire de l'argent, voir même beaucoup d'argent, quand vend un produit ou un service de qualité. Mais cette espèce de cupidité généralisée, de toujours plus, de vouloir toujours plus de marge, toujours plus d'argent, toujours plus de croissance, plus de succès, plus de tout, je ne comprend pas, cela me dépasse. Ce sont ces gens, comme Kevin O'Leary, qui sont tout à fait honnêtes (encore que... mais bon laissons leur le bénéfice du doute) mais qui part leur comportement, par leur avidité, par leur cupidité, impriment au monde cette espèce de course effrénée au résultat, au profit, au succès qui perverti le monde et qui le ronge comme un cancer...  Je trouve cela extrêmement triste.

Et encore une fois, ne vous méprenez pas, si vous relisez tous mes posts de nouvel an, vous verrez que j'ai peu de considérations pour les gens qui ne se bougent pas les fesses... Mais d'un autre coté je ne comprend pas cette avidité qui anime certaines personnes, surtout ceux qui ont déjà tout, en fait. Moi, je veux gagner de l'argent juste pour avoir une vie correcte, voyager un peu, mettre ma famille à l'abri du besoin et surtout continuer à faire ce qui me passionne... Ce n'est pas un but en soi. J'ai l'impression que pour beaucoup de gens, c'est un but en soi, et cela me met extrêmement mal à l'aise.

Cela m'a extrêmement ému, de voir cet homme, avec ce produit génial, refuser de le vendre à des conditions qu'il estimait malhonnête, refuser de devenir riche sur le dos d'autres personnes. C'est un peu comme ce gars qui à inventé je ne sais plus quel vaccin et qui a refusé de le breveter: s'il l'avait fait, il serait riche à milliards... Il a choisi de donner son vaccin à l'humanité à la place.

On a besoin de plus de gens comme eux, en ce moment.

mardi 29 octobre 2013

Malade du cancer: être heureux ne vous sauvera pas la vie... mais!

Préambule


Souvent, lorsque j'écris des articles un peu longs, je me demande si j'arrive à tenir l'attention des gens jusqu'au bout, car parfois pour bien comprendre ce que je veux dire, il faut vraiment lire tout jusqu'à la dernière ligne. Cet article fait partie de ceux-là... En lisant le titre, qui est tellement aux antipodes de ce que je me tue à dire en général, vous avez dû vous demander ce que j'ai encore fumé... Plus encore que d'habitude, il va falloir lire jusqu'au bout pour vraiment bien comprendre où je veux en venir. Je prends le temps de le préciser, car c'est peut-être l'un des messages les plus importants que j'ai à faire passer que je vais tenter de partager dans ce post.

L'illusion du positivisme


Cet été, j'ai eu l'occasion de dîner plusieurs fois avec Victoria, une Américaine qui vit en France depuis plus de 20 ans et qui était de passage à Seattle pour rendre visite à sa famille. Forcément, quand deux expatriés se retrouvent ensemble, ils comparent leur ressenti de leurs pays d’accueil respectifs. Ce qui est notable c'est que nous avons des perceptions très similaires sur les Américains et les Français. En exagérant un peu, le français a tendance à être pragmatique et prudent, ce qui se traduit dans l'excès par une espèce de morosité et de peur pathologique de la prise de risque, tandis que l'américain a tendance à toujours être très volontaire et dynamique, ce qui se traduit dans l'excès par une tendance à la prise de risque qui frôle parfois la bêtise et par une mentalité qui célèbre les forts et ne fait pas de place aux faibles.

Ce dynamisme et ce positivisme permanent sont très agréables en première approche, surtout dans le travail, mais il peuvent devenir pénibles à la longue. Rappelez-vous ce que je vous disais sur la facilité de contact des Américains: au jour le jour, c'est plutôt agréable, mais dans l'excès cela se traduit par des gens qui vous adressent la parole sans vous regarder, sans même vraiment prêter attention à votre existence. C'est vite agaçant.

L'éternel optimisme américain, c'est un peu la même chose. Vous rencontrez quelqu'un à un dîner, malgré tous vos efforts pour éviter le sujet, à un moment vous êtes obligé d'expliquer que vous avez subi une greffe de moelle osseuse pour guérir d'une leucémie, et là votre interlocutrice vous regarde et vous dit "Ça va bien se passer, il faut y croire, si on y croit, cela va bien se passer".

Oui, mais non.

Il y a cette croyance, très américaine et popularisée par la méthode new-ageuse "Le Secret" et sa "Loi de l'Attraction" que si notre volonté est suffisamment forte, on peut réaliser n'importe quel but que l'on s'est fixé, que l'on peut plier le monde à notre volonté, que l'on peut guérir de tout. Il y a aussi dans l'inconscient américain un rejet profond de la mort: un Américain ne meurt pas, un américain n'échoue pas, un Américain se tend tout entier vers son but et plie le monde à sa volonté, quoi qu'il advienne. C'est une chouette philosophie, c'est mieux que de geindre comme une loque, soyons clairs... Mais il y a une erreur fondamentale dans cette façon de penser et c'est un truc qui m'énerve, et qui énerve aussi Victoria, qui est aussi survivante d'un cancer du sein, parce que ce n'est pas comme cela que ça marche.

Le monde (et la leucémie) se fout de ton désir brûlant


Il faut bien comprendre une chose. Le cancer, la leucémie, elle s'en fout que tu croies dur comme fer à ta guérison. Il reviendra ou pas, c'est un phénomène naturel, comme une tornade, qui te balayera ou pas. J'ai presque envie de dire, il faut le respecter en tant que tel et ne pas lui faire l'injure de croire que vous pourrez le guérir en chantant "kumbaya" et en invoquant le pouvoir des Bisounours. L'image qui me vient à l'esprit, c'est un naufragé dans un radeau, sur un océan déchaîné... On a affaire à quelque chose d'une force qui nous dépasse, il faut bien s'en persuader. Croire que l'on va pouvoir contrôler sa vie, c'est s'illusionner gravement.

Et puis si le cancer revient, malgré votre optimisme débordant, malgré votre courage, malgré votre volonté de fer, qu'est ce que cela veut dire? Que vous avez échoué? Que vous n'êtes pas assez fort? Que c'est de votre faute si le cancer gagne la bataille? La limite du positivisme simpliste, elle est là... Et quand cela ne marche pas, qu’est-ce qui se passe, qui paie les pots cassés? Est-ce que cela veut dire que vous êtes faible? Que vous manquez de détermination? Que vous manquez de volonté? Que vous n'avez pas su y croire? Que vous méritez votre sort?

Ou juste que vous êtes humain et que vous avez ployé face à une force qui dépasse notre compréhension?

Face à la mer déchaînée, il y a un sentiment de respect, d'abandon qui s'installe. On s'en remet à la volonté de forces plus grandes que nous... Nous n'aimons pas trop faire la même chose dans le cas du cancer, car c'est un tueur, que l'on a envie de haïr, de combattre, de maîtriser, pourtant c'est la même chose: un phénomène naturel, rien de plus. Le détester ne sert à rien, c'est une perte d'énergie. Et faire comme certains, l'ignorer, penser que cela va bien se passer sans que l'on n'ai à y mettre du sien, c'est le piège inverse, c'est la même chose en fait, une forme de déni.

L’intérêt du positivisme est ailleurs


Il ne faut pas penser que l'on va pouvoir guérir simplement en y croyant dur comme du bois. L'intérêt de ce que j’appelle le positivisme, faute d'un meilleur mot, ce n'est pas de se dire, si j'y crois, je vais guérir, pas du tout.

L'intérêt c'est que, quelle que soit l'issue, quelle que soit l'évolution de la maladie, je serais heureux.

Vous savez, dans le chamanisme taoïste ancien, on décrit certaines maladies mentales par des possessions par des esprits, des guis (prononcer gwai, comme dans mogwai), qui ont tous des noms à coucher dehors. Par exemple, il y a un gui qui provoque une espèce de désespoir et de pulsion de mort, qui s'appelle "Monstre Glouton", comme s'il dévorait l'envie de vivre.

Avant de tomber malade, je crois que j'étais "possédé" par ce gui, pour prendre une image. Vous savez, j'ai cette sensibilité à fleur de peau qui me torturait par moment, où je voyais des choses magnifiques, et cela me déchirait à l'intérieur de réaliser leur impermanence.  J'étais écorché par la perte, de mon enfance, de mon grand-père... Alors je fuyais ces blessures en m'isolant du monde de diverses manières.

La maladie m'a soigné. Je dis souvent que j'ai découvert la Joie. Je regarde le monde par la fenêtre, et je me sens profondément connecté à la Création, j'ai cette étincelle de Joie au fond de moi, cette connexion à quelque chose de plus grand, cette réalisation profonde que l'on n'existe que dans l'instant, et que quoi qu'il arrive, il est possible d'être heureux dans cette succession d'instants présents qui forment notre existence.

J'écris cela alors que je suis guéri, vous pensez peut-être que c'est un peu facile, que je vous raconte des salades... Alors laissez-moi vous raconter une histoire.

Au pire... On meurt!

Il y a deux phrases de mon professeur que j'adorais avant de tomber malade: "Au pire, on meurt", et "La mort délivre de tout". La première surtout me faisait souvent rire par son emploi un peu ironique quand nous lui posions des questions (souvent légèrement stupides, avouons-le) en rapport avec nos peurs. Et puis lors du traitement, j'ai failli mourir à plusieurs reprises.

La leucémie et son traitement, ce sont d'une part de grosses frayeurs, lorsque tu risques de mourir durant une procédure, que tu saignes abondamment d'une blessure microscopique et que tu as l'impression que cela ne va jamais s'arrêter, que tu vas te vider de ton sang, ou lorsque tu es délirant d'une fièvre dont on ne sait pas bien si tu vas réchapper car tu n'a pas de système immunitaire. Mais c'est aussi et surtout une angoisse terrible et insidieuse que la maladie devienne soudain incontrôlable par exemple, qui infecte ton quotidien pendant des jours, des semaines, des mois, des années. Soudainement ces phrases sont devenues moins drôles.

Tellement moins drôle que je lui en ai alors voulu, d'affirmer de telles choses. Une colère intense, brûlante. Il pratique peut-être la méditation comme un grand sage, mais qu'est-ce qu'il en sait lui? Il n'a jamais fait l'expérience de la peur de la mort de façon aussi terrible et de façon aussi prolongée que moi, il n'a jamais souffert comme j'ai souffert, facile pour lui de nous sortir ces jolies phrases, du haut de sa montagne sacrée! Etc, ad nauseam.

Et puis un soir, couché à côté de ma femme, malgré l'épuisement et la peur, je me suis rendu compte qu'il avait raison. Au pire, je meurs, mais là, maintenant, je suis bien. Seul le moment présent existe. Rien ne m'empêche d'être heureux, là, tout de suite, malgré la maladie, et d'être heureux continuellement, jusqu'à ce qu'elle m'emporte... Ou pas, de préférence! Et si je meurs, juste avant de mourir, je sourirais à ma femme, et je serais heureux de tenir sa main.

Je sais que c'est un poids terrible à mettre sur elle, parce que c'est pour ceux qui restent que c'est dur, mais si je devais rechuter et mourir demain, je sais que tant que ma femme sera à mes côtés et que je pourrais lui tenir la main jusqu'à la fin, de proche en proche, je pourrais être profondément heureux.

Et pour moi c'est ma femme qui me vient à l'esprit comme source de Joie, pour vous c'est peut-être un frère, un parent, ou Rien, si vous êtes bien plus sage que moi. La Joie d'exister se trouve dans des choses simples, nous pouvons tous la trouver.

Plus tard mon professeur a écrit dans un texte sur l'évolution spirituelle: "Pour renaître, il faut accepter de mourir". Coïncidence, j'étais en train de me préparer à la greffe de moelle osseuse, seul traitement possible pour ma maladie. J'étais littéralement mort de peur. Une chance sur 5 de mourir pendant la procédure, extrêmement déplaisante qui plus est; une chance sur deux que la maladie revienne après et donc d'y passer quand même. Et j'ai repensé à cette phrase. Au pire, je meurs, mais si je veux vivre, je dois accepter de risquer de mourir. Deux ans plus tard, je vous mentirais si je vous disais que je n'ai pas eu des hauts et des bas, mais globalement, je suis en vie et heureux.

En acceptant de mourir, j'ai découvert la Joie et j'ai appris à vivre.

Abandonner, jamais. Il s'agit de lâcher prise. D'accepter ce que l'on ne peut changer pour concentrer son énergie sur ce qui est en notre pouvoir.


Quelqu'un m'a dit un jour, "Mais si tu acceptes de mourir, c'est que tu ne tiens pas à la vie, que tu abandonnes". Il faut savoir que dans l'inconscient américain, l'un des plus grands crimes que vous puissiez commettre, c'est d'abandonner. C'est une constante, dès que quelqu'un parle d'abandonner, même si c'est uniquement suite à une fatigue passagère, il est disqualifié d'office. Cela se vérifie partout, dans le travail, à la TV dans les jeux, dans les élections...

Mais c'est mal comprendre mon propos que de croire qu'en acceptant de mourir, j'abandonne. Simplement il ne faut pas confondre courage et bêtise, le fait d'accepter une éventualité tragique et le fait de tout faire pour l'éviter.

Je crois personnellement et profondément qu'il n'est pas possible d'être vraiment heureux tant que l'on a peur, et quelle plus grande peur existe-t-il que la peur de la mort? Pour beaucoup d'entre nous, c'est une question que nous choisissons d'éviter, consciemment ou inconsciemment, en nous plongeant dans le travail, en nous projetant dans nos enfants, en s'abrutissant dans la consommation, dans les drogues ou devant la TV. Des choses pour nous distraire... De quoi? De la peur.

En fait, refuser de mourir, quelque part, c'est refuser de vivre et gâcher ce cadeau.

Vous savez, je ne m'ennuie jamais, parce que je n'ai qu'à regarder le monde, l'esprit silencieux, rempli de joie.

Des hauts et des bas


Je vous dis cela, comme si j'étais un bouddha ayant atteint l'éveil, mais il faut dire ce qui est, ce n'est pas facile tous les jours. Cela demande une vraie pratique, un entrainement, cela demande une attention constante, et certains jours, la fatigue aidant, c'est difficile... Mon professeur, encore lui, a cette phrase que je trouve magnifique et qui résume à elle seule l'utilité d'une pratique: "L'entrainement n'est pas notre vie: il en supporte le poids".

Cette maladie m'a fait toucher des choses, m'a forcé à lâcher prise, parce que sinon cela aurait été trop dur. Comment vivre avec ce poids constant de la peur de la rechute? C'est impossible, le seul moyen c'est de le laisser aller, comme si on le laissait aller dans un fleuve. On ne peut pas vivre avec une pareille peur chevillée au corps, sinon. Quelque part c'est un peu la différence entre l'angoisse diffuse de la mort des gens normaux et un patient... Là, nous sommes forcés d'évoluer et d'affronter cette peur d'une façon ou d'une autre parce que c'est trop énorme, c'est étouffant, une peur pareille cela peut nous tuer aussi surement que la maladie elle-même.

Alors, il faut lâcher. Honnêtement, je ne sais pas bien comment vous expliquer comment on y arrive. Je peux juste vous garantir que c'est possible. Ensuite la peur ne disparaît pas totalement, mais elle n'a plus la même emprise sur nous, et à la place il y a cette étincelle de Joie, plus ou moins forte selon les jours et suivant les épreuves. Oh, il faut l'entretenir, par une pratique par exemple, pour qu'elle ne s'éteigne pas, comme n'importe quelle flamme. Mais si vous en prenez soin, elle pourra vaciller, mais elle ne s'éteindra pas.

Souriez, c'est plus facile


Mais vous me direz, on sait (enfin, il y a de plus en plus d'études qui convergent vers cela) que les gens qui sont positifs vivent plus longtemps. Oui, c'est vrai. Ne serait-ce que parce que cela fait diminuer le niveau de stress, et que le stress en lui-même est très toxique pour l'organisme... Donc en étant heureux on diminue ce stress sur notre corps. Il y a surement des tonnes de bénéfices à être heureux, qui font que cela aide à survivre, sur un plan purement biologique. En étant heureux, on est plus disponible pour faire des choses comme de l'exercice, pour prendre soin de soi, pour faire des choses qui ont un impact direct sur la santé, d'où un bénéfice très clair. Et puis les gens autour de nous prennent plus de plaisir à prendre soin de nous, etc, c'est une spirale vertueuse qui ne peut qu'améliorer vos chances. Quoi qu'il arrive, souriez, cela se passera surement mieux!

Rien ne vous empêche d'ailleurs de croire que l'esprit peut influer sur les changements du monde... Toutes les traditions ont un pan ésotérique où les mages, les sorciers, les chamans, par la force de leur volonté, "plient" l'univers à leurs désirs ou au moins le poussent dans la bonne direction... La mienne y compris, et j'ai mon opinion à ce sujet, à vous de vous faire la votre.

Mais la vérité profonde, l'intérêt profond du "positivisme", du lâcher-prise si l'on veut, n'est pas là. L'intérêt c'est qu'il est possible d'être profondément heureux, quels que soient les changements du monde. C'est cela qui est vraiment important. D'être heureux quoiqu’il arrive, tout "simplement".

Tout le reste, c'est du bonus.

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