Je suis désolé de vous avoir tous laissé si longtemps sans nouvelles. Je ne me suis pas vraiment rendu compte en fait. J'ai laissé passer une semaine, puis deux, puis trois… Jusqu'à ce que je commence à recevoir des mails inquiets de gens s’enquérant de ma santé.
Rassurez-vous donc, je vais bien. En fait, je suis silencieux car mi Juin, un ami (de France) est venu passer quelques jours à la maison, puis nous sommes partis de Seattle, direction la France.
Et oui, depuis 3 semaines, nous sommes en France. Enfin, nous étions: Celia est rentrée il y a deux jours, boulot oblige, alors que je reste encore 2 semaines.
Cette année, nous n'avons prévenu quasiment personne de notre retour, juste la famille et quelques amis. Nous avions besoin de décompresser, de se retrouver un peu tous les deux seuls à Paris, de passer du temps en famille, de dormir et de se reposer. Je n'ai pas vraiment envie de m'éterniser sur les dernières semaines, mais en résumé, elles ont été très dures psychologiquement. Un ami est mort d'une leucémie, emporté en deux jours d'une infection foudroyante pendant un cycle de chimio. Le soir ou j'ai appris la nouvelle, j'ai pleuré pendant des heures. Je me suis mis à la place de sa femme, qui se retrouve seule, je me suis mis à la place de ma femme, si j'étais mort, je me suis mis à ma place, si ma femme était morte de cette manière, et j'ai pleuré, pleuré, pleuré. Étrangement, la fin de cet ami m'attriste moins que la peine de sa famille. Peut-être parce que j'ai accepté l'idée de ma propre mort, c'est beaucoup plus la douleur des autres qui me touche. L'été dernier, j'ai accompagné un ami pendant sa deuxième transplantation de moelle, et je me suis rendu compte de ce que cela pouvait être que d'être le caregiver de quelqu'un qui risque de mourir. Je ne me suis jamais senti aussi mal, aussi impuissant, que devant le lit de mon ami délirant de fièvre.
J'en profite pour encore exprimer mes condoléances à P. et à sa famille. Votre histoire, votre courage, m'ont beaucoup touché et apporté tout au long de mon parcours. J'aurais aimé rencontrer H. un jour. Peut-être dans une autre vie qui sait.
Au passage, P. tu me diras si tu veux que je mette un lien vers ton site ou pas.
Quelques jours après que nous soyons arrivés en France, j'ai appris la rechute d'une amie de mon groupe de support. Il faut savoir que nous sommes un petit groupe très soudé au "support group" du SCCA, nous sommes une demi douzaine de fidèles qui nous retrouvons tous les jeudi, et nous nous décrivons comme une petite famille (l'ami dont je vous parlais si dessus en fait partie). K, c'est une fille d'une cinquantaine d'années, exubérante, qui, fait rare pour une américaine, a voyagé partout dans le monde et surtout dans les pays les plus reculés du globe. K. m'adore, elle m'appelle "Sweetie", et je le lui rends bien. Elle a été transplantée il y a 7 ans, à cause d'une maladie (MDS) de la moelle osseuse qui dégénère invariablement en leucémie. Particularité, n'ayant pas de famille, elle a affronté sa transplantation toute seule. Une vraie guerrière.
K. donc, avait une chance sur 10.000 de tomber malade. 7 ans après elle était guérie, active, souriante, pleine d'énergie. L'année dernière, elle nous avait invité à une régate contre la leucémie où elle faisait partie de l'équipage, participant à la manœuvre etc. Le lendemain de notre atterrissage à Paris, j'ai appris qu'elle venait de rechuter. Il faut savoir qu'au bout de 6 mois, on a environ 30% de risque de rechute. A un an, c'est 10-20%, à 2 ans cela doit tomber à 5% et après 3 ans c'est inférieur à 1%. A 5 ans, on considère en général la personne comme totalement guérie, le risque de rechute étant infinitésimal. A 7 ans, ce risque doit taper dans quoi, 1 chance sur 10.000? sur 50.000? Bref, le risque est quasi nul…Et pourtant, ma survivante de K. a rechuté.
Cela nous a fait un coup. Déjà, être loin, ne pas pouvoir l'aider, cela m'a gavé. Mais surtout, cela m'a déchiré pour elle… Le malheur, c'est qu'une 2ème transplant, c'est toujours beaucoup plus difficile…Et 7 ans après, on est beaucoup plus âgé, les chances ne sont plus du tout les mêmes… Bref j'angoisse. Pourtant, je suis sûr que K. va s'en sortir. Elle est entre de bonnes mains, elle est forte, elle a l'expérience du système et elle a une horde d'amis pour l'aider. Malgré cette certitude, quand j'ai annoncé cette nouvelle a un de mes amis qui m'hébergeais, j'ai fondu en larmes une nouvelle fois. Avec Celia, nous avons réalisé une chose: même si nous fuyons l'univers hospitalier, que nous partons dans un autre pays, que je suis guéri…Nous faisons désormais partie de ce monde, nous avons des amis dans ce monde, et nous serons toujours touché par la maladie à travers eux. C'est étrange, c'est un monde ou les relations humaines sont plus profondes, plus franches, où les moments de bonheur sont plus intenses... Mais c'est aussi un monde où parfois, on subit des tristesses énormes. C'est notre monde, on ne peut pas y échapper.
J'en parlais à mon professeur d'ailleurs, qui m'a dit: "Loïc, tu exsudes une négativité impressionnante, tu dois te mettre à faire des activités saines, à sortir un peu de ce monde". Je lui ai répondu que j'en avais conscience, que j'avais prévu en rentrant aux US d'aller m'inscrire à un cours de taichi, "d'ailleurs, je connais le professeur, sa femme est malade d'un cancer, du coup c'est bien, il sait ce que je traverse, je ne prendrai pas de risque". Mon professeur m'a regardé bizarrement, et m'a dit: "Tu te rends compte de ce que tu viens de dire?
- Euh, non, ai-je répondu interloqué.
- Je te dis de changer de monde, et tu me dis que la femme du prof a un cancer…"
Je me suis tapé sur le front.
"Punaise, mais c'est dingue, j'avais même pas percuté! me suis-je exclamé.
- Tu vois ce que je veux dire? Tu es tellement dans ce monde que tu ne te rends même pas compte. Trouve toi une activité loin de tout ça", m'a à nouveau conseillé mon professeur.
J'ai enfin compris la différence entre une activité "positive" et une activité "saine". Le groupe de support, c'est bien, j'aide des malades et des malades m'aident... Mais ce n'est pas sain. On marine dans cet univers de mort et de maladie. Il faut que je trouve une activité qui soit "saine". Je pensais par exemple à animer un bibliobus ou un truc du genre, comme j'aime les livres.
C'est marrant d'ailleurs, j'avais conscience de ce problème en tombant malade. Je ne voulais pas parler avec d'autres patients pour ne pas être contaminé par la dépression ambiante, pour ne pas être affecté par les décès… Mais cela n'est pas moi, je suis profondément social, j'aime les gens et le contact… Alors, petit à petit, je me suis de plus en plus investi, je me suis d'ailleurs rendu compte que j'aimais ça, que j'avais un talent pour remonter le moral des gens, pour véhiculer des idées complexes simplement, pour expliquer la maladie etc… C'est quelque chose que je veux continuer, mais avant cela, je dois me guérir moi. Je pensais être guéri, mais je me suis rendu compte récemment qu'alors que le corps allait mieux, l'esprit commençait à lâcher. Toute la pression, la douleur accumulée, les coups durs, les décès… Je commençais à m'effondrer psychologiquement. Pour aider les autres, je dois avant tout être bien dans ma peau, et cela passe par le fait de m'éloigner un temps de ce monde, d'où le fait que je poste beaucoup moins ces derniers temps. Je pourrais poster sur des choses légères, me direz-vous.. Mais ce blog me rappelle trop la leucémie. Alors je continue à écrire de la SF à la place.
Voilà pour les nouvelles. Je rentre fin Juillet à Seattle, et je reprendrai un rythme normal d'écriture vers cette date.
Dernier point, je voudrais saluer Katy, que j'ai interviewée ici il y a quelques mois. Elle souffre de graves crises de GVHD, et ses poumons sont très endommagés, au point qu'elle va devoir recevoir une greffe de poumon… Vous voyez, notre convalescence, c'est pas du gâteau. Katy, je t'embrasse, courage, je t'appelle quand je récupère le net de façon stable.
Un bécot aussi à mon ami Serge qui en chie un peu en ce moment, et à mon amie Nath qui en chie aussi.
P., encore une fois, je t'embrasse. N'hésite pas à m'écrire.
Christine, j'ai un cadeau à envoyer à Loïc, si tu peux m'envoyer ton adresse que je lui poste… :).
Celia, je t'embrasse ma cocotte. Oui, je sais, "What???" :p
A bientôt,