Mais les gens oublient facilement un truc: je suis en permanence surgavé de médicaments, et en particulier de stéroïdes, qui sont un stimulant. Alors oui, j'ai la pêche et j'arrive à tirer sur la corde quand il faut pendant quelques jours, mais en fait c'est très artificiel. Sans ces médocs, je serais une loque.
les pillules du matin! |
Il faut bien dire que je ne suis pas handicapé au jour le jour. Maintenant, je vis à peu près normalement, je peux avoir une journée relativement chargée (si l'on excepte que je ne travaille pas) sans problème. Par relativement chargée, je veux dire bien remplie d'occupations diverses (cours en ligne pour ne pas perdre la main, pratique taoïste, guitare, écriture, courses, ménage, visite à des amis...). Bref, je ne m'ennuie pas et j'arrive à faire des trucs productifs, la période où tout effort m'abrutissait complètement pour le reste de la journée et où même jouer à un jeu vidéo était pénible est passée depuis un moment.
Il me reste pourtant un problème de taille: l'endurance. Pour arriver à être fonctionnel comme je le suis, je dois m'astreindre à une hygiène de vie exemplaire: si je fais des écarts alimentaires, si je ne fais pas assez de sport, ou si je ne dors pas bien, c'est très vite le drame. Je vous ai peut-être raconté, ma mémoire me fait défaut, qu'à Thanksgiving, j'ai fini la dernière nuit à vomir toute la nuit, probablement parce que j'ai mangé de la pizza (la sauce tomate est acide et irrite mon estomac et son GVHD). C'est super con, hein! De la pizza, et zou je suis démonté pour 4 jours...
Lundi, j'ai encore eu une insomnie. C'est un effet secondaire des stéroïdes et du tacrolimus, j'en ai régulièrement, toutes les deux semaines environ. D'habitude je compense le fait de m'endormir à 2h du matin en pioncant le lendemain matin... Sauf que Mardi matin, ma bestiole préférée s'est mise à miauler devant la porte de la chambre, sentant sans doute que nous étions proche du réveil, vers 7h du matin, m’empêchant de rattraper mon retard de sommeil. Résultat des courses, j'ai passé la journée complètement démonté. Mais alors, complètement explosé de chez explosé, incapable d'aligner 3 pensées cohérentes. J'essayais de décrire à Celia mon niveau de fatigue, et ça va peut-être vous sembler con, mais le plus approchant, ça serait de vous dire que j'étais tellement fatigué que j'avais envie de pleurer en permanence, tellement tout était dur et demandait un effort. Pas de tristesse hein, juste de fatigue, d'épuisement. J'avais les yeux qui brulaient de fatigue, si ça vous dit quelque chose.
Et tout ça juste parce que j'ai dormi 5h dans la nuit au lieu de 9. Tout de suite, l'idée de retourner au boulot dans un environnement à assez fort stress, même à mi-temps, prend un coup dans l'aile, si rien qu'une insomnie peut me mettre dans cet état. Je pourrais peut-être, dans l'absolu, bosser presque normalement (presque, car je suis bien plus lent qu'avant, c'est assez affligeant) un jour par-ci par-là, si l'on me permettait de travailler dans environnement protégé, chez moi, par exemple. Mais en pratique, c'est complètement impossible. Aujourd'hui, on est vendredi (en fait on est jeudi, comme quoi j'ai encore des séquelles), et je commence tout juste à arriver à faire des choses sans avoir l'impression de porter une pierre mentale de 50 kilos. Il m'a fallu 3 jours pour récupérer d'une petite nuit. La transition à un univers ou il faut être productif de façon constante et régulière me parait pour le moment impossible.
D'autant que ces périodes de fatigue intense sont souvent accompagnées de crises de GVHD. En temps normal, mes symptômes sont à peu prêt contrôlés par les médicaments, même s'il a fallu récemment me passer à une dose journalière plutôt que tous les deux jours pour mieux gérer la douleur récurrente en fin de cycle. Mais dès que je suis fatigué, ça empire. C'est un phénomène qui n'est pas très bien compris, ni même vraiment pris en compte par les médecins, malgré le fait que tous les gens ayant eu du GHVD que je connais en parlent.
Quand je suis fatigué, j'ai plus de plaques sur le visage, toutes mes articulations me font mal, mes lèvres me semblent gonflées comme quand je fais une allergie aux fruits de mer, ma peau me fait mal surtout autour des yeux... D'un point de vue symptomatique objectif, le changement n'est pas énorme et difficilement quantifiable par le médecin.... Encore que sur certains clichés, c'est flagrant. Mais pour moi, cela fait une différence considérable: c'est la différence entre une journée relativement sans douleur et une journée où je suis contraint de prendre de l'oxy tellement tout mon corps fait mal. Ce n'est pas une douleur intense, mais constante, comme un bruit de fond permanent, et quand je prend de l'oxy, c'est comme si le bruit s’arrêtait, c'est le même genre de soulagement, comme quand on sort d'un concert. J'ai même une expression pour ça, j'appelle ça prendre des vacances de mon corps.
ce n'est pas de l'acnée, mais du GVHD. Ca n'a l'air de rien, mais ça veut dire que ma peau me fait mal. |
On dit en général qu'il faut à peu près un an pour récupérer d'une transplantation. Je suis bien plus loin que cela maintenant, et c'est à cause du GVHD, justement. En mai dernier, avant que je recommence à faire une crise, j'allais vraiment mieux, mais depuis je stagne. Malheureusement, on ne peut pas faire grand chose, il faut attendre que mon corps et mon système immunitaire fassent la paix, et cela peut prendre du temps. Et justement cela m'amène au dernier truc qui m'inquiète, vis à vis de la reprise du boulot: à un moment, il va falloir diminuer les stéroïdes, ce qui va d'une part occasionner une fatigue supplémentaire suite à l'arrêt des stimulants (le corps arrête de produire certaines hormones et met un moment à recommencer à les produire, d'où un phénomène de crash) et qui risque de générer de nouvelles crises aiguës de GVHD...
Bref, tout ceci est encore vraiment très fragile malheureusement, et si j'ai l'air d'aller bien, c'est au prix d'une hygiène de vie impeccable... Et d'une vie monotone (au sens, sans gros stress).
Au passage, il y a un autre critère qui m'empêche objectivement de retourner au boulot: le fait que je suis sous une dose d'immunosuppressants assez considérable. Non seulement je risque de tomber plus facilement malade, mais si je tombais malade, cela pourrais avoir deux conséquences graves: la première c'est une maladie plus grave (pneumonie etc). La deuxième c'est un affolement de mon système immunitaire et une grosse crise de GHVD. Bref, outre mon appréciation de la fatigue, qui est subjective, il y a heureusement aussi des critères objectifs.