Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs d'un Français expatrié puis revenu des Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de mon combat contre la leucémie, les séquelles de la greffe de moelle osseuse et le cancer secondaire apparu en Janvier 2024...

lundi 11 novembre 2013

Les infections de Hickman

Les différences entre le traitement des leucémies aux États-Unis et en France

Il y a parfois des différences importantes entre les soins pour les leucémies aux États-Unis et en France. Par exemple, vous savez peut-être qu'en France, toutes les chimiothérapies pour les cancers du sang se font en chambre stérile (à cause de l'aplasie plus profonde et plus longue que pour une chimio de cancer solide), alors qu'aux États-Unis, tout se fait dans des chambres normales. Le règlement sanitaire est draconien, certes, mais l'environnement n'est pas stérile. Ce genre de différence fait bondir les médecins français à qui j'en parle, pourtant, il faut se rendre à l'évidence: cela marche, et pas qu'un peu. Au Seattle Cancer Care Alliance, il y a 50 lits de transplantation, et on fait 500 transplantations par an... Avec un taux de réussite comparable ou meilleur aux meilleurs hôpitaux français. Pour comparer, le plus gros hôpital greffeur français doit faire un maximum de 50 greffes par an...

Une autre de ces différences de vues fondamentale concerne le changement des pansements couvrant le site d'insertion des Hickmans. Rappelez-vous, les Hickmans, ce sont ces voies centrales, des cathéters qui plongent directement dans la veine cave. L'endroit où le cathéter plonge dans le corps est couvert par un large pansement carré, qui empêche le site de se salir et de s'infecter. Bon, et bien en France, ces pansements sont changés par des professionnels, c’est-à-dire des infirmières à l'hôpital, alors qu'à Seattle, ce sont les patients (et leurs soignants) qui changent le pansement à domicile.

Votre serviteur, son Hickman, et le pansement dont il est question dans cet article

"Quoi? Mais vous êtes fous?"

Quand je raconte cela à des médecins (ou des patients élevés dans le moule) français, la réaction est toujours la même: "Quoi? Mais ce n'est pas super dangereux? Comment vous faites pour que cela soit parfaitement stérile, le risque d'infection doit être énorme, non?".

Et bien figurez-vous que non, c'est même l'inverse, et ce que je vais vous raconter m'a longtemps laissé perplexe.

Je suis en contact, via le blog, avec une dizaine de patients français, et je connais l'histoire d'une dizaine d'autre. Via le groupe de support du Seattle Cancer Care Alliance, je connais plus ou moins bien une vingtaine de patients ayant eu divers cancers du sang (leucémies, lymphomes). Bref, des proportions à peu près égales.

Un résultat sans appel

Tous les Français que je connais ont eu une infection de ligne.

Aucun patient de Seattle que je connais n'a eu d'infection de ligne.

Je vous rappelle: France: pansement changé par des pros, US, pansements changés par les malades.

Alors, ok. Ces échantillons ne sont absolument pas statistiques, et l'on ne peut pas établir de vérité à partir d'eux. Je trouve néanmoins étonnant que je n'arrive pas à trouve d'infections dans mon coin alors que je n'ai qu'a me baisser quand je parle à des patients français.

Mais pourquoi est-ce aussi important?

Petite digression: vous ne comprenez peut-être pas pourquoi c'est un sujet important. Il faut bien comprendre que lorsque l'on parle de leucémie et de greffe de moelle osseuse, une proportion importante de la mortalité de la procédure n'est pas due à la maladie en elle-même, mais aux effets secondaires de la thérapie. Parmi eux, le plus important est l'immunosuppression: on risque d’attraper plus facilement des infections et surtout, quand on attrape une infection, on risque d'en mourir. La plupart des morts lors d'une transplantation dans ma tranche d'âge surviennent à cause d'une infection... C'est donc un sujet d'une importance cruciale.

Alors pourquoi cette dichotomie entre la France et les US? Et bien cela m'a longtemps laissé perplexe, mais c'est l'entretien avec Katy, atteinte d'une leucémie en décembre 2012 qui m'a apporté les réponses que je cherchais (je vous invite à aller directement écouter cette partie où elle raconte son infection de ligne).

À mon sens, il y a trois facteurs qui mis ensemble font que l'on s'en sort mieux ici qu'en France.

Moins on en fait, mieux on se porte!

Apparemment, en France, le pansement est changé une fois par jour lorsque le patient est à l'hôpital. À mon sens c'est une hérésie que rien ne justifie. Ces pansements sont prévus pour pouvoir rester en place une semaine, cela ne sert à rien de les changer tous les jours. Rappelez-vous ma vidéo sur la préparation des médicaments: quand vous faites une tache où il y a un risque d'erreur incompressible, vous ferez forcément des erreurs... Alors réduire le nombre de fois où vous faites la manœuvre permet de réduire le nombre d'erreurs total sur une période de temps. Si vous changez le pansement 50 fois par an au lieu de 365 fois, vous prenez 7 fois moins de risques... Car à chaque fois que l'on expose le site d'insertion à l'air libre on prend un risque non négligeable.

L'hôpital, un faux sens de sécurité

L'hôpital, cela donne un faux sens de sécurité. Il faut bien comprendre quelque chose de fondamental: toutes les bactéries résistantes aux antibiotiques, elles se trouvent à l'hôpital, pas chez vous. Chez vous, si vous nettoyez votre plan de travail avec soin et que vous mettez des gants et un masque, il n'y a pas de raison qu'il y ai des tas de bactéries mutantes, résistantes à toutes les saloperies chimiques diverses et variées que l'on trouve dans les hôpitaux. À l'hosto, si. Il y a une étude qui a été faite sur les blouses des médecins: ce sont de véritables boites de Petri ambulantes, avec des bactéries toutes plus dangereuses les unes que les autres. C'est du bon sens: si vous êtes un être humain normalement constitué qui ne vit pas dans un dépotoir, votre maison est moins contaminée de saloperies en tout genre que l'hôpital, et vous y êtes plus en sécurité. Réfléchissez voyons! À l'hôpital on amène les gens malades. Vous croyez que les gens malades ils trimballent quoi avec eux en cadeau hein? Et les infirmières, toute la journée, elles sont en contact avec quoi? Avec des malades. Votre femme, ou votre conjoint, s'il se lave les mains, est bien moins à même d'être porteur de toute une panoplie de batéries et de virus. C'est du bon sens.

Une question de responsabilité

Le dernier point, et à mon sens le plus important, c'est la responsabilisation personnelle. En apprenant au malade à s'occuper de son pansement et de sa ligne, on le responsabilise, au lieu de l'infantiliser et c'est à mon avis suprêmement important. Pour vous donner une idée, quand j'avais mon Hickman, tous les soirs, j'avais mon rituel où je prenais un tampon d'alcool et je nettoyais avec soin chaque ligne, du site d'insertion aux lumens, puis je nettoyais chaque lumen, je les emballais dans du film plastique, et enfin je pouvais aller me coucher, une fois ma ligne complètement propre. Quel que soit mon état de fatigue, c'est un rituel auquel je n'ai jamais dérogé. Quand on m'a enlevé ma ligne, mon médecin était surpris d'ailleurs: elle était comme neuve, apparemment ce n'est pas toujours le cas, certaines sont sales. Mais comment peut-on laisser s'encrasser un truc qui vous plonge dans le corps? Je ne comprends pas. À un moment, si l'on tient à la vie, il faut se prendre en main, m*rde!

Pour moi, ce point est le plus important: apprendre au patient à  se prendre en main, à effectuer les bons gestes, à être autonome. Il y aura toujours des cas où une infirmière n'est pas disponible: dans ces cas, comment faites-vous? Il est indispensable, pour moi, d'avoir un peu de verni, d'être un peu formé, d'être capable de se prendre en main. C'est excessivement important, et vous avez moins tendance à avoir des comportements à risque quand vous vous sentez responsable de quelque chose, à mon avis.

EDIT

Suite à quelques commentaires (n'hésitez pas à y jeter un œil d'ailleurs), je voudrais préciser que mon but n'est pas de taper sur le système Français, loin de là. Je suis bien conscient des faiblesses du système Américain, croyez moi, mais il a aussi des forces, et c'est intéressant justement d'analyser ces différences afin de faire évoluer ces deux systèmes de manière positive.

8 commentaires:

  1. J'ai eu trois voies centrales, une pour chaque cure. Le pansement était changé tous les 3-4 jours , par un infirmier ou une infirmière. Je n'ai pas eu d'infection sur les voies...Même chose avec une autre patiente du même CHRU avec qui je communiquais par email. Comme tu le dis on ne peut faire de statistiques que sur un grand nombre de cas.

    En revanche, lors de la deuxième cure de consolidation, suite à une piqûre d'insecte sur une jambe, j'ai développée une infection à streptocoque! Mes neutros étaient alors à zéro, et j'aurais pu attraper n'importe quoi, j'étais alors en isolement protecteur, pas en chambre stérile.

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    1. Salut biquette,

      Pourquoi 3 cathés? quelle raison?

      La piqure d'insecte, ma hantise :( J'espère que ca va mieux.

      Pour le reste, voir mon commentaire à anonyme, en dessous.

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    2. Dans le CHU où je suis soignée, on pose une voie centrale à chaque cure et elle est ôtée à la sortie. Trois cures = trois voies!
      Comme j'ai eu la malchance de faire une grave allergie à l'issue de la deuxième cure de consolidation, en réanimation on m'a posé une voie centrale et une voie périphérique que j'ai gardées pendant 10 jours environ.
      Il y a dix ans j'ai eu un autre cancer, avec des chimios en ambulatoire et j'ai gardé un cathéter pendant 6 mois. Le pansement était refait chaque semaine par une infirmière à la maison, je n'ai eu aucun souci...
      Quant à la piqûre (ou morsure car c'est peut-être une araignée!)
      j'en garde la trace sous la forme d'un gros rond bleuté sur la cuisse...Je deviens parano dès que je vois une bestiole!

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  2. Effectivement les statistiques ne peuvent se faire que sur des échantillons de personnes à grande échelle et montrant une différence de résultats significative...J'ai une amie en France qui faisait refaire son pansement une fois par semaine à domicile par une infirmière et qui n'a jamais eu d'infection. Les pratiques sont différentes partout, et sans doute justifiées à chaque endroit...
    Et si il y a plus de transplantations aux états unis, c'est peut être que la population est plus importante qu'en france...

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    1. Bien sur.

      On trouvera forcément des malades US qui ont eu des infections et des malades francais qui n'ont pas eu d'infection. Je suis juste surpris que dans l'échantillon limité à ma disposition (une quarantaine de personne tout de meme, ce qui est bientot représentatif statistiquement) la dichotomie soit aussi forte, et surtout qu'elle soit dans ce sens. Tout conduirait à penser que changement par des pro=moins d'infections: dans cet echantillon, c'est l'inverse, et drastiquement. Il y a quand même surement des questions à se poser, et des enseignements à tirer.

      D'autre part, oui, j'ai bien conscience que s'il y a autant de transplantation aux US, c'est avant tout une histoire de population. Mon point n'est pas la.
      Mon point est que, dans un seul hopital, ils font autant de transplant que dans toute la France, avec un taux de reussite moyen supérieur, et ce, sans chambre stérile. Tout conduirait à penser que leurs stats sont moins bonnes, mais c'est l'inverse.

      Encore une fois, ne pas se poser de question serait une erreur. Il y a forcément des enseignements à en tirer pour améliorer les greffes francaises.

      Et attention, je ne dis pas que le système américain est parfait, et vous m'avez surement vu écrire les absurdités de ce système, par exemple quand les assurances décident du traitement et pas les médecins. Je ne suis pas en train de faire de l'anti france primaire, mais d'essayer de faire avancer le schmillblick. Si tant est que j'ai une quelquonque influence.

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  3. L'hôpital est un foyer infectieux à haut risque pour les patients déjà fragilisés par leur état, alors que dire des aplasies... Déjà au 19ème siècle il valait mieux accoucher à domicile qu'à l'hôpital. Si depuis il y a eu une nette amélioration avec l’asepsie et les antibiotiques, nous régressons depuis quelques décennies sans doute à cause de la surconsommation desdits antibiotiques et de la mutation des bactéries et des virus. C'est ce qu'on appelle le progrès...

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    1. Oui, il y a eu surconso des antibio, tout le monde s'accorde à le dire, pourtant tout le monde continue... Difficile de faire changer les mentalités.

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  4. Un peu comme biquette, j'ai eu 2 voies centrales en plus du port-a-cath (une voie pour la premiere hospi, le PAC pour les 2 suivantes, et voie centrale + PAC pour la greffe car les anti-rejets peuvent précipiter s'ils sont injectés avec d'autres médocs).
    Le tout nettoyé 2 fois par semaine, et ZERO infection en 6 mois d'hospi. Mais il semblerait que je sois effectivement une exception au vu des conversations que j'ai eu avec les autres malades du couloir. J'étais soigné en Belgique et les infirmières *en hémato* déployaient des luxes de précautions pour changer les pansements (en hopital de jour ou aux urgences, j'avais vachement plus peur).

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