Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs d'un Français expatrié puis revenu des Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de mon combat contre la leucémie, les séquelles de la greffe de moelle osseuse et le cancer secondaire apparu en Janvier 2024...

lundi 16 septembre 2013

La facilité de contact des américains

S'il y a bien un truc qui revient souvent quand on parle des États-Unis, c'est la facilité de contact des américains en général. Les manières sont beaucoup plus relax a à peu près tous les niveaux de la société et même en entreprise le ton est toujours beaucoup plus informel. D'ailleurs, linguistiquement il n'y a pas de vouvoiement en anglais, comme quoi il y a vraiment quelque chose de différent au cœur même de la pensée anglo-saxonne à ce niveau. J'ai toujours été légèrement abasourdi quand j'entendais mon patron s'adresser à 600 employés en commençant son discours par "Guys...". Bon ce n'est pas aussi familier que de dire "Les mecs..." mais cela reste très loin d'un formel "Mesdames et Messieurs...". Si vous observez le Président des États-Unis, vous remarquerez qu'il est assez souvent habillé de façon relativement informelle lors d'occasions formelles. Nous avons ainsi vu arriver Obama en chemise, sans cravate à un meeting de soutien à Patty Murray.

Cette facilité de contact se retrouve dans la rue ou dans les bars: on peux beaucoup plus facilement qu'en France s'adresser aux gens et engager la conversation avec un inconnu complet et quand je parle d'engager la conversation je ne parle pas de juste demander l'heure, mais de vraiment engager la conversation, d'échanger plusieurs phrases.  Cela a première vue un coté très agréable, on est loin de la timidité un peu maladive et du coté un peu asocial des français ou l'on a parfois un peu l'impression qu'on va se faire arracher la moitié du visage si l'on ose pénétrer la "bulle" de quelqu'un.

Pourtant c'est un trait culturel que j'en suis venu à royalement détester.

 Tout d'abord il faut se rendre compte du pendant quasi obligatoire d'une telle facilité de contact: la superficialité. Vous pouvez parler pendant une heure avec une personne, échanger vos coordonnées, avoir l'impression de partager des centres d’intérêts et vous promettre de vous revoir, et en tant que français quand vous dites "on se rappelle pour prendre l'apéro" vous le pensez sincèrement, d'autant que l'apéro c'est sacré... Sauf que là, jamais on ne vous rappellera, jamais on ne répondra à vos mails, et si vous appelez il y aura toujours une bonne raison pour décliner ("j'ai piscine..."), la caractéristique essentielle de l'américain en bonne santé étant bien sur d'être toujours très "busy". Busy à quoi, parfois on se demande, surtout que la plupart des gens font 9h-5h, et pas une de plus, mais bon... (Je parle évidement des gens que vous venez de rencontrer, pas de gens que vous connaissez depuis longtemps).

Le deuxième effet de cette facilité apparente de contact est bien plus pervers, c'est ce que j’appelle l'effet "jeu vidéo".

Ici, il arrive extremement couramment que les gens s'adressent la parole sans se dire "bonjour", ni "au revoir", ni "merci"... Et en se regardant à peine. Exemple vécu avant hier au parc: devant nous, une femme interpelle une autre mère de famille, en regardant ses pieds:

"Où est le toboggan?
- Là-bas, derrière la fontaine.
- Merci".
 
Et elle tourne les talons et s'en va. Je n'exagère absolument pas. Je ne sais pas vous, mais moi si j'ai à demander quelque chose à quelqu'un dans la rue, au minimum, je dis quelque chose du genre, en souriant et en regardant la personne:

"Bonjour, je cherche le toboggan, est-ce que vous sauriez ou il se trouve s'il vous plait?
- Là-bas, derrière la fontaine.
- Ah super je ne l'avais pas vu, merci et bonne journée!"

"Bonjour", "s'il vous plait", "merci", "au revoir", ça me semble quand même le minimum syndical. Ici, non.

Un autre exemple? Une fois, arrêté à un stop, j'ai entendu une voix derrière moi dire: "Où est Kidd Valley?". J'ai mis quelques instants à comprendre que cela s’adressait à moi, je me suis retourné et je me suis retrouvé face à une maman. "Pardon?". Elle réitère: "Où est Kidd Valley?" (C'est une chaine de Fast Food). Comprenez bien la scène: elle m'aborde de dos, pas de bonjour, rien, elle me pose juste une question de but en blanc. Surtout ne croyez pas que c'est une scène rare, que c'est une exception. C'est au contraire extremement banal comme interaction, c'est la normalité.

Alors pourquoi est-ce que j’appelle cela l'effet "jeu vidéo". Et bien c'est tout simple. Vous connaissez surement les jeux de rôles sur ordinateur: il y a des personnages auxquels vous pouvez parler et poser des questions. Ces personnages vous répondent et font progresser l'intrigue. En général, malgré tous les efforts des développeurs pour rendre les interactions réalistes, il y a un coté très mécanique à ces dialogues: on clique sur un personnage, cela pose une question prédéterminée et si l'on re-clique, cela repose la même question. On peut re-cliquer et re-cliquer en boucle, quand on a fini, on ferme la fenêtre de dialogue sans dire au revoir au personnage, qui s'en fout: c'est juste un tas de pixel sans âme et si on devait ajouter la politesse à ce type d’interactions cela ralentirait trop quelque chose qui est déjà très artificiel de part la nature du support.

Bon et bien aux US, j'ai très souvent l'impression d'être un personnage de jeu vidéo sur lequel on clique pour avoir une réponse instantanée, et que l'on ignore dès que l'on a la réponse. C'est très frappant: la personne qui vous pose une question vous regarde à peine, et une fois qu'elle à la réponse, vous dit à peine merci, et s'en va sans dire au revoir ni rien, comme si vous n'existiez plus. Comme si vous étiez un personnage virtuel dans un jeu géant. C'est très très perturbant et c'est quelque chose que j'en suis venu à royalement détester. On peux d'ailleurs pousser la reflexion un peu plus loin et faire un lien entre le nombre hallucinants d'incidents de tireurs fous et cette espèce de manque de connexion entre les gens, de rapports qui se déshumanisent où même lorsque l'on interagît avec des gens dans la rue, on est en fait seul dans sa tête, comme si notre interlocuteur n'existait en fait pas vraiment. L'individualisme poussé à l'extrême. Peut-être dans un autre article.

Maintenant je fais de la résistance passive. En temps normal, j'essaie de m'adapter et d'accepter les idiosyncrasies de notre culture d'accueil, mais avoir l'impression d'être un robot, c'est hors de question, je refuse absolument. Alors quand on m'adresse la parole sans me dire "bonjour", je ne répond pas à la question, je dis juste "Bonjour, comment allez-vous". Et j'attends que ça percute. Parfois, ça met un moment, parfois c'est pénible parce que cela rend l’interaction bizarre, cela me rend bizarre, mais il est hors de question que l'on me traite comme un PNJ d'un jeu vidéo. 

Nous reparlerons de ce sujet car c'est quelque chose qui est très important pour moi au travers de mon expérience en temps que malade ayant combattu une leucémie, le rapport entre le patient, les médecins et les infirmières étant quelque chose de très complexe et de fondamental dont je souhaiterais reparler en détail et qui m'a d'autant plus sensibilisé à ces micro interactions de tous les jours.

16 commentaires:

  1. Est-ce que les Médias Télévisés ne jouent pas leur rôle justement dans cet espèce d'écran qui semble nous séparer des autres...Il y a la TV dans plusieurs pièces (cliché peut-être vu par les français)...Mais aussi cette sensation que depuis plusieurs années les Médias nous poussent à nous méfier de notre voisin, et c'est de plus en plus le cas ici aussi sur Paris. Tu parlais de superficiel, je pense que de toute façon, les relations dans les grandes villes, à quelques exceptions près sont superficielles. Tu peux tout aussi dire ici, faut qu'on s'appelle, qu'on se fasse une bouffe et voir l'année passer sans que personne n'ai rien fait. Tout le monde attend que ça vienne des autres, c'est l'art de l'individualisme, du portionnable à volonté, de cette culture du "pensez à vous d'abord"...Nombrilisme quand tu nous tiens ^^

    Xav

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  2. Merci Loic pour ce feedback "from the inside"
    Revenant d'une semaine de boulot à chicago, je partage exactement les mêmes impressions.
    JE trouve cela extrêmement irritant quelqu'un qui te parle comme si c’était un copain de longue date, et cela a tendance à me rendre agressif plus qu'autre chose ...
    Cette fausse convivialité est exacerbée à mon sens dans les restaurant ou le commerçant se dit que l'importance du tips qu'il va toucher va dépendre de sa mise en résonance émotive avec son client.
    de même, les américains ont à mon sens une propension à l'emphase quasi illimitée :"ward winning gurger", "best chicken vesuvio in town",... me laissent régulièrement pantois, sans parler des commentaires éxagérés sur telle ou telle experience vécue... qualifier un quelconque burger d'amazing, comment dire.
    ce qui est exagéré est insignifiant

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    1. Chris, il y a plusieurs choses dans ce que tu dis:
      - Ce que j'apelle le "syndrôme Best in the World", j'en reparlerais. Stricto sensu, cela n'a pas de rapport avec ce post ci, par contre, c'est clair que ca existe et que c'est assez délirant.
      - La qualité de service dans les restaurants (et partout ailleurs) n'est pas qu'une fausse convivialité, au contraire. Il y a une motivation par le tip, mais il y a aussi une VRAIE culture de service qu'il n'y a pas en France, et crois moi quand on rentre en france, ca fait super mal au derche quand tu as l'impression d'emmerder le vendeur auprès duquel tu vas claquer 100 boules.
      Il faut faire attention à ne pas tomber dans l'exces inverse, il y a aussi une vraie convivialité américaine très agréable.

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  3. Perso j’utilise le moins possible le vouvoiement, et je me réjouis du tutoiement général et systématique sur Internet, ça me rappelle un peu le décret sur le tutoiement obligatoire de 1793, qui fut promulgué à la Révolution française afin de promouvoir l’égalité citoyenne et amoindrir les différences et distanciments de hiérarchie sociale… mais qui ne su pas être respecté par la population, le vouvoiement étant encore trop ancré dans la langue.
    À vrai dire je tutoie systématiquement et naturellement, mais quand je prend le risque d’offenser mon interlocuteur je change mes tournures de phrases pour dans un premier temps ni tutoyer ni vouvoyer, et si l’on me vouvoie je vouvoie en retour.

    En tout cas ça rend content qu’en France les relations soient plus… soignées ^^ Après je trouve que la facilité de contact est une question d’habitude et de confiance en soi…

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    1. Tiens, ce commentaire était passé en spam, tu as du soumettre plusieurs fois.

      Je tutoie aussi systématiquement, surtout qu'avec certains vécus, les statuts sociaux, tu fini par un peu t'en cogner profond, le président de la république, il vomis comme les autres...

      Ce qui ne m'empêche pas d'accorder mon attention à mon interlocuteur de façon pleine, entière et polie pendant une interaction.

      Pour la facilité de contact, oui, mais pas que. Il y a aussi une composante sociale intrinsèque de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas.

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  4. En fait, linguistiquement, c'est le tutoiement qui n'existe pas en anglais. Il existait en anglais ancien et est peu à peu tombé dans l'oubli.
    Au départ :
    "the"= tu
    "thou" = vous, devenu "you"
    Dans les pièces de Shakespeare on utilise encore l'ancien tutoiement, je ne sais plus à partir de quand il a disparu.

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    1. Effectivement, c'est le "tu" qui a disparu de la langue anglaise, mais le fameux "tu" en question, c'est bien "thou", comme dans "Thou shalt not kill": "tu ne tueras point". L'anglais biblique (16-17ème siècles) et plein de ce tutoiement aujourd'hui disparu.

      Sinon pour revenir au billet: ma foi Loic je comprends et partage entièrement ton point de vue et ta réaction! Je détesterais être abordé comme ça dans la rue par des inconnus qui ne disent ni bonjour ni rien du tout! Heureusement, à Berlin de ce point de vue les gens sont plutôt comme les Français. Difficle d'aborder un inconnu sans dire un moindre bonjour tout de même! Après, l'inconvénient, bien sûr, et qu'il est tout aussi difficile, sinon plus encore qu'en France, d'engager la conversation avec ses voisins de table au bar... mais bon on s'y fait très bien.

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  5. Hello :)
    Rien à voir mais tu as laissé un commentaire sur les traductions de mon blog chez moi et la personne (bénévole) qui les fait serait sûrement aidée de voir ta réponse à ma question :)

    MERCI ^^

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  6. Pour rebondir sur un commentaire plus haut, je suis souvent amusé de lire les panneaux aux USA "Best Burger in Florida" et trouve ça franchement ridicule mais je le mets sur le compte de leur côte show-off. Ce sont des gens qui ont inventé tellement de manières de mettre la main au porte-monnaies que ça me semble aller de soi.

    Par contre, je ne suis pas du tout d'accord sur les tips. Je suis RAVI de voir une serveuse "faussement" affable (et je dis attention, j'ai vu des américains se plier en 4 pour moi sans que le moindre tip soit versable, comme à l'accueil d'un motel par exemple) m'offrir un service exceptionnel et immédiat dès que je pose un pied dans le restau. Quel BONHEUR d'avoir ma boisson immédiatement en free refill, sans attendre le plat, quel bonheur d'avoir l'addition en quelques minutes, quel bonheur d'avoir un être humain certes superficiellement souriant mais totalement disponible et dévoué à son travail. FUCK les garçons de café Parisiens, les additions lamentables et les portions merdiques, la fumée de la terrasse (OUI j'ai le droit de vouloir manger en terrasse sans fumer mais NON je ne peux pas, vu la puanteur des clopes) et j'en passe.

    Ils sont conditionnés à être aimables par rapport au pourboire ? Cela devrait être généralisé en France. On ne sait plus recevoir les gens, on les fait raquer à mort ET EN PLUS ils font la gueule en les servant.

    J'adore les USA. Je pense que je m'y ferais chier comme un rat mort à y habiter toute l'année mais, en tant que touriste, depuis dix ans, j'ai du y passer peut-être en tout cinq mois et je n'ai jamais été déçu par les gens, le service, les échanges, les "banalités".

    Comme si, en France, en enrobant de politesse et en étant présent humainement avec les autres on allait t'inviter pour l'apéro ? Tu rêves ! Que ce soit dans le 64, le 68 ou le 75, passé 20 ans, allez, 25 ans, tu bois l'apéro avec tes potes et personne d'autre.

    Je veux bien considérer l'idée que les Américains sont un peuple plus superficiel que nous dans les échanges (et ça reste un gros cliché) mais nous ne sommes pas plus sincères dans les notres. Non :)

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    1. tout à fait d'accord avec toi (voir ma réponse à chris, plus haut).

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  7. Un exemple.
    (je sais, je suis à fond ce soir)

    Je suis dans un motel à Jackson Hole. Truc prépayé sur le web, genre 65 dollars la nuit. Je suis fatigué, j'ai mal aux pieds, j'ai l'air pas dans mon assiette. La nana à la réception me demande si j'ai besoin de quelque chose. Je lui dis : "un bon bain chaud et un massage des pieds".

    Elle hésite, réfléchit et me dit qu'en ville un samedi soir à 18h30 ça va être dur mais qu'elle va me rappeler en chambre. Je lui dis "pas trop loin, j'ai pas envie de conduire après".

    Dix minutes après, elle m'appelle pour me dire qu'elle m'a booké une session de réfléxologie à 19h, qu'elle a commandé un taxi si je ne veux pas conduire et que je n'ai qu'à descendre à la réception. J'accepte.

    La nana avait ouvert le salon pour moi (c'était son week-end pourtant) et me masse en ne me parlant pas car je...dors. J'avais 50 dollars sur moi et je lui donne (le soin était à 35, il a duré 75 minutes)...avant de me rendre compte que je n'ai plus rien pour le taxi. Pas le temps de parler, elle me sourit et me propose de me ramener à l'hôtel. On papote, je lui parle de mon amour pour la cannelle et des muffins.

    Le lendemain, je quitte l'hôtel super tôt pour partir je ne sais où. Il y avait un petit panier avec 6 muffins maison à la cannelle dedans, la carte du salon avec un petit mot gentil et voilà.

    Ces gens-là savaient que je ne reviendrais jamais dans cette ville perdue, pourtant. Et je te garantis que quand je suis épuisé, je suis en minimum syndical niveau amabilité :)

    Voilà, c'est tout :p

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    1. Oui, c'est vraiment des perles très souvent faut vraiment être clair!

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  8. Bien sur qu'ils disent Hi! ou Excuse me! avant de vous adresser la parole et ils disent Thanks a tout bout de champ. Mais surtout ils vous sourient et c'est bien mieux. "Bonjour! Comment ca va?" vous dites mais vous n'en avez rien a foutre de comment ils vont, ne soyez pas hypocrite.Moi aussi je ralais les premier mois que j'etais ici, je comparais tout et critiquais pas mal, ca m'a passé, ca vous passera.

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    1. mmm non, si je vous raconte que cela m'arrive régulièrement que l'on m’adresse la parole sans me dire bonjour ni au revoir, c'est que c'est le cas. Il y a fort heureusement aussi des gens bien élevés, mais il y a suffisamment de gens qui ne disent pas boujour pour que je l'ai remarqué.

      Cela va bientot faire 5 ans que je suis ici, je pense que pas mal de choses me sont passées, déjà...

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