Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

lundi 4 avril 2011

Le diagnostic de la leucémie, partie 2

(warning, ce post peut être relativement dur). Ce post est la suite de Le diagnostic de la leucémie, partie 1.

Mardi 8 mars, 17h30.

Celia m'a retrouvé à la clinique, nous rentrons à l'appartement à pied. C'est à mon tour d'être sur la corde raide: comment annonce-t-on à sa femme que le docteur est inquiet et que le diagnostic va de d'une infection à divers cancers, quand on a eu soi-même uniquement quelques minutes pour digérer la nouvelle?

Je minimise le problème, de toute façon à ce stade j'essaie de me convaincre que ce n'est qu'une saloperie d'infection et que cela n'est pas très grave. Je mentionne juste la possibilité de cancer que comme une des options que le docteur envisage par soucis d'"exhaustivité".

Malgré mes tentatives pour rester optimiste, nous broyons du noir. Le doc m'a fait peur, cela se sent et notre humeur s'en ressent. Nous rentrons à l'appartement et nous nous collons devant une connerie à la TV, espérant dissoudre notre angoisse dans les rires pré-enregistrés d'une série à la con.

Mardi 8 mars, 19h15.

Le téléphone sonne. Connaissez-vous cette sensation, quand le téléphone sonne mais que personne n'est sensé vous appeler à cette heure? Ce sentiment que si vous décrochez, rien ne sera jamais pareil, que vous allez être subitement arraché de votre propre vie et propulsé dans un mauvais film? Vous voulez une métaphore? C'est comme si on vous versait de l'antigel dans les veines. C'est la sensation que j'ai en décrochant.

C'est le médecin, bien sûr. Il a reçu les résultats préliminaires de mes analyses de sang et veut que je me rende aux urgences immédiatement. J'ai le cerveau qui patine et la seule chose qui me vient à l'esprit est de lui demander si je dois prendre de quoi passer la nuit. La réponse est sans équivoque... Je vais passer un certain temps à l'hosto. Chouette.

Nous habitons dans University District, à quelque dizaines de minutes à pied du plus gros hôpital universitaire de la région. Ironiquement, Celia travaille d'ailleurs dans un bâtiment attenant à l’hôpital. C'est donc logiquement là-bas que nous nous rendons.

Mardi 8 mars, 20h.

Les urgences sont comme toutes les urgences du monde. Glauques. Il y a une trentaine de personnes dans la salle d'attente, des gens qui n'ont pas l'air d'avoir le moindre problème (j'en fais d'ailleurs partie), un gars qui oscille sur sa chaise les yeux fermés, souffrant visiblement, un homme avec les mains bandées...

L'organisation est efficace, mais chaque patient non urgent doit voir un interne pour être aiguillé. Nous sommes donc invités à prendre un siège et à patienter. Je déconnecte le cerveau et pour être franc, ne pense pas à grand chose, ce qui est surement mieux que de s'angoisser. Celia prend un bouquin. On attend.

Une femme sort de la pièce de triage et éclate en sanglots. Toute la salle frémit, et pardonnez mon égoïsme mais je n'attend qu'une chose, qu'une infirmière l'emmène, ses pleurs me vrillent les nerfs. C'est la chose la plus difficile du monde, vous essayez de contenir votre propre peur, de vous vider la tête, et quelqu'un vous submerge soudain de son émotion et détruit tout vos remparts. Enfin, elle est escortée dans un endroit privé. Respiration.

Quelques heures plus tard, c'est le gars aux bandages qui pète un plomb. Il se met à agresser verbalement les infirmières, demandant que quelqu'un s'occupe de lui et lui fasse ses putains de points de suture. Il se lève, tempête, harcèle chaque infirmière tour à tour, hurle que c'est un scandale et qu'il est un bon citoyen et mérite que l'on s'occupe de lui en temps et en heure.

Cette décharge de colère, c'est presque pire que la nana qui pleure. J'ai envie de me jeter sur lui et de lui crier que j'en ai rien à foutre de ses putains de points de suture, que dans deux semaines il est guéri alors que si ça se trouve, j'ai un putain de cancer. J'ai envie de lui démonter sa sale gueule, parce que son agression émotionnelle m'empêche de tenir ma peur à l'écart. Pour une fois, j'ai envie de voir une intervention musclée à l'américaine de la part du service de sécurité.

Mais non, ils sont super pros et isolent rapidement l'emmerdeur du reste des patients. Tout le monde respire visiblement.

Mardi 8 mars, 23h.

Une infirmière vient me chercher, avec une chaise roulante, et m'informe gentiment que l'on m'a enfin trouvé une chambre pour la nuit. Je ne sais toujours pas ce que j'ai mais je sens que je vais le découvrir.

Elle nous escorte dans le dédale des couloirs de l’hôpital, nous prenons un ascenseur, destination le 7ème étage. Je lis: 7th floor: Oncology.

Crap.

Il est 23h30 et sept heures après que j'ai vu le généraliste, le médecin de garde du service d'hématologie m'apprend que j'ai un cancer du sang, une leucémie. C'est le début d'une très longue nuit.

22 commentaires:

  1. je pourrai raconter une histoire de métro, de téléphone qui sonne, d'une voix venue de l'autre coté de l'océan, que tu n'arrives pas à comprendre, une communication qui se coupe, et un retour à la maison où tu sais que ça déconne, que tu dois rappeler, mais tu n'as pas de numéro... et sans comprendre ce qui se passe, sans avoir les mots, cette énorme boule dans le ventre te dit que pour eux, rien ne sera plus jamais pareil...
    et une heure plus tard, tu apprends que P**** M***** , mais tes dons de plaquettes ont maintenant un visage...

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  2. Je frissonne en te lisant. J'imagine tellement bien ce que vous avez dû vivre à la maison, aux urgences et au 7e étage... Cette angoisse qui vous tenaille, votre cerveau qui carbure et passe d'images paradisiaques à l'enfer et qui s'empresse de tout chasser d'un seul coup. Ce speed. Ces battements de cœur qui jouent un concert avec beaucoup trop de "percu". En te lisant, Loïc, j'ai revécu ma propre expérience (presque la même journée si ce n'est un verdict différent).
    Fichu 8 mars... Je me demande bien comment tu vas le narrer, quelle forme il prendra dans ton bouquin quand tu auras vaincu l'ennemi... Hâte d'y être et le plus tôt possible :) En attendant, je t'envoie des pensées revigorantes et de gros bisous remplis de soleil.
    Sunny Pascale

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  3. Bonjour,
    Je prends le temps d'écrire un petit mot pour vous envoyer toutes mes pensées positive et d'encouragement pour tenir bon.
    Je vous embrasse tous les deux.
    Manu

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  4. Mon père a eu un cancer généralisé, on le disait condamné.Je l'ai vu plus bas que terre, parce que son cancer a été détecté TARDIVEMENT.

    Dix ans plus tard, il se porte comme un charme.

    Accroche-toi, c'est toi qui va la bouffer cette saloperie, pas l'inverse.

    Je sais qu'on ne se connaît ni d'Eve ni d'Adam, mais je pense à toi. Courage.

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  5. Salut Loïc,
    Déjà presque un mois, le plus dense et pénible est déjà derrière toi. Derrière toi et Célia. On se connait pas mais je t'ai écrit un email, vérifie qu'il a pas été classé en spam stp.
    Je te souhaite tout le bonheur du monde.
    Thom

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  6. Brrrrr...! frissons glacés.On repense à ces moments effectivement où la mauvaise nouvelle qui arrive au téléphone ou à l'hôpital va nous pourrir la vie ... On vous a fait un peu mariner !! "L'annonce" du diagnostic des maladies graves semble toujours un peu tordue ou abrupte !
    Bon j'espère que tu vas pour le mieux.
    Ce qui transparait dans tes écrits c'est aussi l'amour ... Célia doit être formidable.

    comme on dit dans les banlieues : "RESPECT"

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  7. Ton recit me donne des frissons... Tu le decris si bien - j'espere que ton blog t'aide a exprimer toute ta colere et tes angoisses. Tiens bon!
    Je pense bien a toi. Qd on part en expat on pense tjs aux choses funs qu'on fera et on songe jamais au pire (pour nous)mais plutot et si ca et ca arriverait a notre famille outre Atlantique qu'est ce qu'on fera....
    Life is a bitch.

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  8. Je suis sûre que tu vas sortir grand vainqueur de ce combat et que tu vas mettre cette cochonnerie K.O.!!!!

    Isa de Rouen

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  9. Un jour, on fait tous connaissance avec cet état second ... où tout paraît soudain surréaliste !
    Le fait de parvenir à en faire le récit est déjà un combat :)
    Je vous envoie plein de courage à tous les deux !

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  10. @tata désolé pour le coup de stress

    @sun et @tygryz merci a vous deux pour le petit coucou ca fait plaisir :) Désolé Sun si je te fais revivre des trucs pénible.

    @marigaz merci, oui, c'est un post dur pour moi

    @isa merci, celia m'a envoyé ton mail, je vais te répondre.

    @TEffeil merci à toi oui on ne pense pas a ca quand on part...

    @badaboum merci, ca tient le moral!

    @thom je n'ai pas eu ton message je crois, et ce n'est pas dans les spams.

    @guylaine, oui c'est un sacré bout de femme.

    @tous merci encore.

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  11. Je ne sais pas quoi dire. Je me sens quasiment mal de lire quelque chose d'aussi intime alors qu'on ne se connaît pas, mais en même temps je te remercie de partager ce que tu vis. Ça remet bien des choses à leur place.
    Bon courage, et toutes mes pensées.

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  12. j'ai hésité. Je n'aime pas spécialement dévoiler cette intimité. Et ce texte est une boule de noir, de pas beau, de la mauvaise énergie. Quelque part je m'excuse de l'infliger au gens.

    En même temps, ça me défoule, ça me vide un peu je crois. Et je pense que cela peut aussi apporter quelque chose aux gens. Mercredi 9 mars, on se relève.

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  13. carnets (bien avec un S) point seattle at gmail point com ?

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  14. J'étais avec Célia sur Facebook quand vous étiez à l'hosto en attente d'un diagnostic. J'ai bien perçu son angoisse derrière quelques phrases, j'ai essayé comme elle me le demandait de parler de moi et mes déboires de grossesse difficile, maman d'un terrible two, essayer de rire et faire rire à 6h du mat ici.
    Puis j'ai appris, bordel de chiottes ! Notre oncle a vécu la même crapulerie l'an dernier, on remercie tous les jours le donneur de moelle australien. Et depuis on est "veilleur de vie" nous aussi.
    Je pense à vous, à toi même si je ne t'ai pas rencontré. Je suis confiante.

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  15. Loic, désolé ? Manquerait plus que tu t'excuses en plus ???
    Bon ok, pour me venger, dans un an ou deux, je t'envoie mon hakker de fils qui ne jure que par la programmation et les jeux vidéo! t'auras bien un ou deux trucs à lui faire faire ! ^_^

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  16. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  17. Ah merde niveau anonymat c'est ptêtre pas top que j'aie mis ça sur ton blog. Bah t'auras qu'à le modérer.

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  18. Thom, bien recu ton mail, j'ai effectivement supprimé ton commentaire juste par précaution. Merci en tout cas :)

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  19. Bon, moi ce que je veux savoir c'est si les médecins sont aussi canons que Clooney dans ER, si on t'a fait chimie, iono et gaz des sangs, si on t'a injecté 100c de physio... bref un peu de glamour quoi B-)
    Je déconne mais comme on se sent impuissant en lisant ça (particulièrement quand comme moi, on est juste un lecteur anonyme), à part raconter des conneries et te dire que je t'envoie plein de pensées positives from California, je ne sais pas quoi faire :-/

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  20. Puree! La detresse des autres qui detruit tes remparts... J'ai vecu! L'envie de crier tellement forte que l'on a plus de voix... L'envie d'etre loin, recroqueville, au chaud, sans personne et sans probleme...

    Merci de me rappeler qui je suis!

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  21. Dur à lire, mais encore plus à vivre. Je te souhaite beaucoup de courage. A Celia aussi.

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  22. J'ai vécu la même chose, toutes tes émotions je les connais et les comprends, merci d'avoir traduit un état sur lequel je n'ai jamais réussi à mettre les mots appropriés, avec toi tout est dit...

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