Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

lundi 15 juillet 2013

Une soirée avec Ursula K. Le Guin III

Lorsque j'ai écrit le deuxième post sur ma soirée à une conférence d'Ursula K. Le Guin organisée à l'occasion de la sortie de sa traduction du magnifique livre "Squaring the Circle" de  Gheorghe Săsărman (que je vous recommande chaudement, soi dit en passant, et que vous pouvez trouver sur Amazon, oui je fais de la pub et je n'ai pas honte!) je pensais que cela serait le dernier post de la série, mais je me trompais. Il s'est depuis passé pas mal de choses vraiment super classes que je vais m'empresser de vous raconter.



La première, c'est un échange avec un ami qui m'a dit, en gros, que j'étais beaucoup plus "tranchant" dans ce post que d'habitude. J'ai l'habitude de dire clairement ce que je pense, mais avec toujours de " l'affection " pour ce dont je parle. Apparemment, ce n'était pas le cas dans ce post et c'est très probablement du au fait que je l'ai écrit à un moment où je n'allais pas très bien et où je souffrais de pas mal de douleurs chroniques. Mon ton s'en ressent clairement. Donc, je voulais préciser à toutes fins utiles que je n'ai absolument rien contre Ursula Le Guin, bien au contraire je suis carrément un fan, et que mon idée n'était absolument pas de faire son procès. J'ai juste été très marqué par le fait que nous sommes tous, y compris des intellectuels brillants, victimes de schémas de pensée qui tiennent du conditionnement culturel, du préjugé, voir parfois du lavage de cerveau, et que plus c'est énorme, moins nous nous en rendons compte.

Sinon, un truc absolument énorme s'est passé quelques jours après que j'ai publié le post en question: j'ai reçu un email de Mariano, le traducteur de la version espagnole qui a collaboré avec Le Guin sur cette traduction, qui est tombé dessus via Google. Et celui-ci a beaucoup aimé mon article, et s'est empressé de me faire parvenir un exemplaire de "Squaring the Circle", en PDF et en espagnol... Et donc avec le texte "censuré en question! J'en profite pour le remercier encore au passage de sa confiance.

Mieux que cela, il a en plus contacté Gheorghe Săsărman et lui a signalé mon post. Quelque jour plus tard, j'ai donc reçu une lettre de l'auteur! Je ne vous explique pas, j'étais comme une fan de Justin Bieber pendant un concert, j'ai cru défaillir et il a fallu m'apporter les sels... Ah, il m'en faut peu, parfois! Du coup, j'ai pu avoir une conversation avec lui, et ça c'est quand même carrément la classe. Il en a profité pour rectifier certaines imprécisions de mon post (je vais vous expliquer quoi après)... Et il m'a dit qu'il allait m'envoyer un exemplaire du livre, en français, oh, joie. Derechef, j'ai failli défaillir. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte: s'il m'envoie une copie du livre cela veut dire que c'est l'édition de 1992, une très petite édition par une maison qui a depuis fait faillite (feu les éditions Noël Blandin qui renaissent en 2012, la traduction est de Hélène Lenz)... Un livre super rare, donc! Outre l’intérêt littéraire, il y a donc aussi un intérêt pour le collectionneur que je suis. C'est NOËL. Et chose promise, chose due, peu après, j'ai reçu un joli paquet avec un magnifique exemplaire dédicacé, qui doit donc provenir de la collection personnelle de Mr. Săsărman, ce dont je suis infiniment reconnaissant. Je peux vous assurer qu'il est dans de bonne mains!



Alors, que ressort-il de mon échange avec Mr. Săsărman et de ma lecture de la nouvelle incriminée, "Virginia".

Premièrement, comme je le soupçonnais, même s'il est chagriné par cette polémique autour de cette nouvelle et de sa supposée misogynie, globalement, Mr Săsărman est ravi d'avoir pu travailler avec Mme Le Guin et de voir son travail traduit en anglais. Comme je le disais dans mon autre post, Mariano m'a encore confirmé que ce livre n'est vraiment pas évident à traduire, Mme Le Guin n'est pas toute jeune (d'ailleurs, je dis ça, c'est très malpoli de parler de l'âge d'une dame, et j'aimerai avoir sa vitalité à son âge!) et c'était un travail considérable, on peut donc la comprendre de ne pas avoir souhaité traduire une nouvelle qu'elle n'a pas aimé.

Ensuite, je parlais de l'ego de Mr.  Săsărman qui se serait moins fait censuré s'il avait décidé de se faire éditer sous l'étiquette moins surveillée de la science-fiction. Et bien j'ai été mauvaise langue, puisqu'il m'a confié qu'il s'agissait purement d'un choix de l'éditeur, sur lequel il n'avait eu aucune prise. Autant pour moi, et j'ai été un peu stupide, j'aurais du m'en douter.

Venons en à la nouvelle au cœur du débat. "Virginia" donc, est la ville des amazones (rappelez-vous, chaque nouvelle de "Squaring the Circle" décrit une ville). Si vous vous rappelez la mythologie grecque, cette tribu composée uniquement de femmes tuait ses enfants mâles quand elle en avait, volait des enfants aux autres tribus, et soi-disant ses guerrières se coupaient le sein droit pour pouvoir tirer à l'arc (ce dont on peut douter étant donné les risques majeurs de septicémie à l'époque, immunosupprimé que je suis frémis rien que d'y songer). Dans cette nouvelle, Antiope, reine des Amazones, frappée par Éros, tombe amoureuse et lors d'une nuit tragique (pour le père, qui se fait trucider par les amazones), conçoit un enfant. Elle essaie alors de réformer les traditions de Virginia, ville des vierges guerrières... Je ne sais pas si je dois vous raconter la fin, étant donné le peu de chances que vous tombiez dessus (je la mettrais dans les commentaires si vous le souhaitez)...

Rien de misogyne dans cette nouvelle à mon sens. La chute est drôle, toute la nouvelle est une variation sur le mythe des amazones donc j'ai un peu envie de dire que Mr Săsărman n'y est pour rien si c'est un mythe misogyne à la base (et encore, je ne vois pas ce qu'il y a de misogyne, les amazones c'est quand même le pinacle du "girl power"), il fait partie de la culture européenne et on peut difficilement taxer un auteur qui l'utiliserait à des fins littéraires de misogynie. Bref, encore une fois, je suis très surpris, vous savez je parle souvent des différences imperceptibles mais très précises et tranchées entre la culture européenne et américaine, et je pense que l'on est parfaitement dans un de ces exemples. Parler d'infanticide (les amazones tuaient les enfants mâles), de vierges qui se coupent les seins, de femmes, qui connaissent une fin tragique, ce sont des choses qui sont mal vues je pense dans la société US, il y a un espèce de tabou assez insensé sur ces thèmes quand on y pense. Je veux dire, bien sur, l'infanticide c'est mal, mais cela ne devrait pas impacter une nouvelle qui parle d'infanticide dans un contexte mythologique, sinon, où s'arrête le politiquement correct et où commence la censure?

En tout cas, je ne m'attendais pas à ce que mon post ait de telles conséquences et j'en suis très heureux. Ce mois de Juin a été difficile pour moi, mais je me faisais la réflexion que j'ai quand même une chance incroyable dans la maladie: ce qui m'intéresse le plus dans la vie, ce sont les livres et apprendre des choses. Tant que j'ai internet et de quoi lire, je ne serais jamais vraiment malheureux, et c'est une grande chance. Je connais des gens qui passaient leur temps dehors, des gens très actifs mais qui n'avaient que peu de loisirs culturels (je ne dis pas que c'est mal, c'est comme ça, c'est tout) et c'est surement beaucoup plus dur pour eux que pour moi quand ils se retrouvent plus ou moins assignés à résidence par la maladie.

Merci encore à Mariano Martin, Gheorghe Săsărman d'avoir pris le temps de me contacter, de répondre à mes questions et de m'envoyer ces cadeaux fabuleux, et surtout Mme Ursula K. Le Guin d'avoir traduit ce livre. C'est quand même, en ce qui me concerne, grâce à elle que tout à commencé.

8 commentaires:

  1. Je vais mettre des semaines à chasser de mon esprit l'image de toi en fan de Justin Bieber, mais j'aime beaucoup ce post pour l'idée qu'un évènement jugé à priori négatif (censure, déception...) peut générer des choses aussi exceptionnelement positives.
    Ca me rappelle un symbole avec du noir qui génère du blanc, ;-)

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  2. je plussoie le commentaire ci avant.
    T'imaginer en fan de justin bieber, en train de pousser des petits cris,... pas à dire cela va éclairer ma journée

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    1. Des petits cris d'orffraie! (j'adore cette expression).

      En plus comme il fait super chaud en ce moment, tu peux m'imaginer en calebutte, en train de me dandiner les bras en l'air sur du justin!

      Mais au fait vous avez quoi, lez copains, a m'imaginer comme ca de manière aussi précise? Je trouve ça étrange...

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  3. Florence Tourault16 juillet 2013 à 02:10

    C'est la classe...

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    1. Oh, florence, tient! Ca me fait plaisir que tu me lises j'espère que tu va bien et ta petite famille aussi (2 moutards, waaaaah)

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  4. Réponses
    1. Je me doutais que ça te plairait Victoria :). Ton avis m'intéresserait, on en reparle par mail :)

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