Je vais en remettre une couche parce que cette histoire m'a profondément touché, probablement parce qu'
elle est arrivée à un moment où j'en bavais bien à bloc. Ce coup-ci c'est une réaction à froid, construite, contrairement au post précédent qui était une réaction à chaud dans l'instant (d'où le ton "Allez tous bruler en enfer").
L'ironie, c'est que j'écris ce post le jour de l'anniversaire de mes 2 ans de transplantation. Dommage, j'aurais préféré écrire un truc joyeux qu'un coup de gueule, mais quand ça déborde, ça déborde, c'est comme ça. Ce qui n'empêche, que punaise, 2 ans... Dans un an, on pourra presque considérer que je suis sauvé! Champagne (sans alcool).
Je voulais tout d'abord évacuer un sujet: oui je suis jaloux de l'attention qu'à reçu ce blog, c'est évident. Si je suis honnête, et j'essaie de l'être autant que possible
moi, je me dois de l'avouer. Ma passion, c'est l'écriture, j'écris avant tout parce que j'adore écrire, et j'ai par conséquent envie d'être lu par le plus grand nombre. Le truc, c'est que pour avoir une audience, je ne suis pas prêt à faire n'importe quoi. Je ne suis pas prêt à mentir, je ne suis pas prêt à écrire quelque chose qui ne soit pas moi, je ne suis pas prêt à faire du mal aux gens qui m'entourent plus que nécessaire, ni aux autres d'ailleurs, bref j'ai une certaine éthique. Et si vous remontez dans le temps, aux posts entourant le 8 mars 2011, date de mon diagnostic, vous remarquerez que
c'est l'une des premières choses qui m'est venue à l'esprit.
Je pourrais faire dans le sensationnel. Je pourrais disserter en long, en large et en travers de la mort, de la souffrance, de la perte. J'ai écrit quelques textes dans ce sens, je sais que je sais le faire et que je le fais bien. Je le fais d'autant mieux que comme c'est vécu, on y croit. Sauf que la première fois que j'ai donné à lire l'un de ces textes à mes parents, et que j'ai vu la réaction de ma mère, qui revivait par mes yeux mon diagnostic, je me suis dit "Mais t'es vraiment trop CON!". Le fait est que je le fais
trop bien, et que ça l'a complètement anéantie, et elle n'avait pas besoin de ça.
Ce n'est pas parce que j'ai frôlé la mort et que j'ai toujours un risque de mourir anormalement élevé que je peux tout me permettre. Je ne suis pas un enfant de 12 ans qui peut confier toutes ses peurs à sa maman qui est là pour le consoler et prendre toutes ses souffrances sur elle. Je suis un adulte, et je peux assumer mes propres peines et éviter de les faire subir à ma mère. Cela s’appelle faire preuve de retenue, de respect et de courage. Et si vous regardez attentivement mon blog, il y a assez peu de posts qui racontent ce qui s'est passé pendant les cycles de chimio et la transplantation, ainsi que mon rapport à la mort. C'est intentionnel: ces textes sont écrits, pour la plupart. Ils vont voir le jour, quand le moment sera venu, quand mon entourage aura un peu digéré. Car il faudra bien un jour que je leur inflige cette peine, en connaissance de cause, parce que je pense que du bien peut en ressortir, mais je leur laisse le temps d'évacuer l'expérience avant. Retenue, respect, dignité.
Quand j'ai découvert le blog d'un condamné, ma réaction a été la suivante (et d'ailleurs, vous verrez ainsi que je ne bidonne pas, j'ai vraiment grillé quasiment instantanément que c'était un faux, comme quoi on ne la fait pas à des gens qui ont vraiment ce vécu).
Ce qui m'a le plus frappé c'était cette absence totale de positif, ce côté purement morbide et malsain, à la fois dans le texte et dans les réactions des gens qui se mettaient à suivre massivement, qui se disaient touchés et frappés par cet inconnu qui ne projetait en définitive que du mauvais.
Si vous lisez ma dernière phrase dans cette capture d'écran, je résume assez bien tout ce qui me dérange dans cette démarche: "
En fait, pour que l'on t'écoutes maintenant, faut vraiment être condamné, avoir une chance de s'en sortir ce n'est plus suffisant". Et soyons clair, cela n'est pas vraiment de la faute de l'auteur. L'auteur est coupable de bêtise, cela nous arrive à tous. Il est un peu plus coupable que la moyenne parce que c'est une bêtise qu'il a maintenue sur la durée, de la bêtise en récidive en quelque sorte.
Non, au final, ce qui me choque, c'est ses lecteurs. Soyons réalistes: ce gars aurait publié sa nouvelle en disant, voilà, j'ai écrit ça, c'est une fiction qui raconte les derniers jours d'un malade terminal... Personne n'en aurait rien eu à cirer en dehors de son cercle de lecteurs habituel. Un peu comme lorsque JK Rowling publie sous un nom de plume. Mais là, un vrai gars, mourant qui a 30 jours devant lui? Ça, c'est nouveau, ça c'est du jamais vu, ça c'est choquant, ça ça nous sort de notre apathie quotidienne et ça nous donne une petite dose d'adrénaline qui nous fait nous sentir vivant temporairement.
Mais il vous faudra quoi, la prochaine fois? Qu'une gamine de 12 ans ayant une leucémie décrive ses 12 dernières heures quand finalement la chimio ne fera plus effet et que ses cellules se mettront à tellement proliférer qu'elles l’asphyxieront? C'est ça, votre prochain fix? Le prochain truc qui va vous permettre de vous faire un peu peur et de sortir de l'anesthésie dans laquelle vous vivez tous pendant quelques instants avant d'y replonger de plus belle?
Vous trouvez que j'y vais fort? Lisez donc ce commentaire de l'article sur Rue89:
Ce commentaire dit: "Je suivais également son blog, j'amais ses textes [...] et ne pourrais cacher ma déception d'y voir une fiction".
Non mais vous vous rendez compte de la perversion?
Cette personne est déçue que ça soit une fiction! En d'autre termes, elle apprend, qu'ouf, en fait personne ne va mourir, ce qui est quand même plutôt une bonne nouvelle à la base, et elle est
déçue. Mais à quel point faut-il être déconnecté de la réalité et de sa propre vie pour arriver à dire une monstruosité pareille? Quelle espèce d'horrible être humain peut tenir ce genre de propos? Mais en fait c'est ça, le drame ordinaire de notre culture du sensationnalisme poubelle, c'est que ce n'est pas quelqu'un de méchant, probablement. Juste quelqu'un de complètement déconnecté de ce qu'est la vie, et de drogué à la sensation forte, qui n'existe qu'au travers des autres et de leur souffrance. C'est triste, c'est navrant. C'est ça en fait qui me met tellement en colère dans tout ceci. De constater la triste existence de tous ces gens.
Alors il y a des réactions qui saluent le travail d'artiste et le droit à la création littéraire. Un argument recevable... Cependant, j'ai deux critiques à apporter, la première étant tout simplement que soit, je veux bien qu'un artiste puisse écrire sur absolument tout... Mais du moment que l'on sait clairement que c'est ou non de la fiction!
Le fait même que j'ai senti en quelques posts que ce n'était pas réel devrait vous donner un indice sur
la vacuité du contenu de ce texte. J'ai lu les derniers "jours", sur l'euthanasie et le rapport à la morphine, notamment et c'est d'une pauvreté! C'est absolument ridicule, et ce néant absolu de la réflexion est
une insulte faite aux gens qui luttent contre le Dragon (je souffre de douleurs chroniques et je connais malheureusement un peu le problème). Les gens ont l'impression que ce texte les pousse à réfléchir et à se poser des questions, mais je suis désolé de vous dire, et de dire à son auteur, que c'est de la MERDE. Cela part peut-être d'une bonne intention, mais c'est juste raté.
Et c'est le plus gros problème, en fait. C'est comme si vous me disiez que vous regardez "C'est mon choix" et que cela vous pousse à réfléchir.. Bon, ben, comment vous dire... C'est votre choix en effet. Si vraiment vous voulez réfléchir sur le rapport à la mort, et sur ce qu'on peut trouver lorsque l'on approche la mort d'aussi près il y a beaucoup plus intéressant à lire, beaucoup plus profond, et surtout plus positif. Indice, vous êtes au bon endroit, et oui, j'ai les chevilles qui enflent, mais c'est dû à la prednisone, pas à mon ego surdimensionné.
C'est ce qui manque au final dans ce blog: de la substance. L'auteur y développe une vision très primaire de la mort, qui est celle de quelqu'un qui ne l'a pas vu en face tous les jours pendant deux ans. On lit juste les fantasmes morbides d'un jeune homme d'une trentaine d'années, qui comme tout le monde a suffisamment peur de la mort pour se poser des questions, mais qui contrairement aux malades en stade terminal n'a pas le vécu nécessaire pour apporter des embryons de bonnes réponses. Comment pourrait il en être autrement d'ailleurs? C'est cela qui est le plus irritant, et qui me met le plus en colère. Cela envoie des gens sincère sur une fausse piste, vers des "fausses" réponses.
Car on peut transmettre aux gens un message d'espoir, même lorsque l'on parle de ce sujet. Quand on est vraiment confronté au "problème", et que l'on doit vraiment trouver des réponses il se passe des trucs un peu plus profonds dans la caboche que juste "Oh, pensez à vivre chaque jour comme si c'était le dernier". Je vous surprendrais peut-être si je vous disais que je pense que je suis en train d'accepter l'idée de ma propre mort. Que pour vivre, j'ai eu
à accepter de mourir, d'ailleurs. Que j'ai découvert, grâce à la maladie,
la Joie. Oh, j'étais heureux, avant de tomber malade, mais que j'avais cette nostalgie, liée à la perte, à cette angoisse diffuse qui a sa racine dans la peur de mourir, qui a disparu. Vous serez peut-être surpris si je vous dis que si je survis à cette maladie, je considèrerais que ça a été une chance. Et peut-être même si j'en meurs; en tout cas j'espère en avoir le courage.Et ce n'est qu'un fragment de ce que j'ai tiré de ces deux ans.
Il y a quelques jours, j'ai été interviewé par une étudiante en anthropologie qui suis un cours intitulé "Étude comparative sur la mort" (ce qui est assez drôle puisque personne n'est jamais revenu pour comparer). Je lui ai parlé pendant 5 heures. Elle a produit un papier de 10 pages résumant peut-être un quart de notre discussion. Elle a conclu son papier en écrivant:
"Our talk has made a permanent
mark on my life in a good way.
I’m still processing all of the things that we spoke about, and I’m
sure I will be for a long time. This experience was definitely unique,
and I walked away with a new perspective.". "Notre conversation a laissé une trace indélébile positive dans ma vie, je suis toujours en train d'assimiler tout ce dont nous avons parlé et je pense que cela va encore durer un moment. Cette expérience était unique, et j'en suis sortie avec une nouvelle perspective".
Je ne vous raconte pas ça pour me faire mousser (encore que, c'est mon blog, je fais ce que je veux), juste pour vous dire que voilà, c'est ça, l'impact que j'essaie d'avoir. Marquer les gens, positivement, en leur faisant découvrir le fait que c'est important de se poser la question de la mort, que oui, cela fait peur, mais que c'est possible d'arriver à une forme de sérénité, et ce quelle que soit l'adversité. Vous remarquerez aussi la difficulté de résumer à l'écrit en un post, ou même en trente, ce qui me prend 5 heures à développer à l'oral. Enfin bref, ce sont des choses qu'il n'est probablement possible de vraiment comprendre, et donc de
transmettre, que lorsqu'on les a touché du doigt, soit via une pratique spirituelle sérieuse, soit via un vécu particulier. C'est cela qui manque
cruellement à ce blog. Il avait l'ambition de marcher dans les pas de
Victor Hugo, mais c'est en fait une resucée de Confessions Intimes qui
en a résulté (avec pour moi un seul texte un tantinet intéressant, celui du mariage).
Voilà pour ce que j'en pense. De mon coté, je publierais peut-être ces articles qui ont trait de mon rapport à la mort, quand le moment sera venu. Pas pour essayer de faire de l'audience, même si c'est toujours bienvenu parce que d'une part j'aime être lu, et parce que d'autre part maintenant c'est
ma mission de faire connaitre les dons de moelle, mais surtout parce que je crois que d'autres malades peuvent en profiter, comme j'ai moi-même profité d'un texte quand je suis moi-même tombé malade,
qui a changé du jour au lendemain ma vision(*) de la mort... Et donc de la vie.
(PS2: mes commentaires sont là! Soit j'ai été mauvaise langue, soit le
fait de faire crier à la censure, ça fait réagir. Comme je suis plutôt
optimiste sur la nature humaine, on va considérer que c'est le premier,
désolé Ploum de t'avoir accusé de censure).
(PS, j'ai essayé de laisser des commentaires, négatifs il est vrai mais pas insultants, sur le site de l'auteur, et j'ai été systématiquement censuré. Quand on lit qu'il dit que les réactions négatives sont minoritaires, il est permis d'en douter. Mec, tu as déconné, ton truc ça a merdé et ça t'a pété à la figure, admit it, et voilà!).
(*) Il s'agit du premier volume d'
A la recherche du soi d'Arnaud Desjardins.