Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

mercredi 29 mai 2013

Une histoire de limites

Je ne vous ai pas encore vraiment parlé de notre voyage en France, qui est pourtant l'un des évènements les plus marquants, pour moi, de ces deux dernières années. Mon escapade ce week-end à Vancouver va m'en donner l'opportunité en contrastant les deux expériences.

Le voyage en France a été l'occasion d'exploser complètement un certain nombre de limites, psychologiques et physiques, qui m'emprisonnaient depuis un certain temps. Pour vous donner une idée, en deux ans, j'ai diné deux fois au restaurant, à chaque fois dans des très bons restaurants pour des occasions spéciales, et j'ai évité le plus possible de manger autre part que chez moi, ne le faisant que de façon très ponctuelle et toujours en prenant des précautions maximum (c'est à dire en stérilisant tout au micro-onde, au grand dam, parfois, des gens chez qui j'étais invité). De la même manière, je n'ai pas le droit de prendre les transports en commun (bon, évidement s'il pleut, mieux vaut prendre le bus que de chopper la mort, surtout que je l'ai déjà attrapé une fois, ça va, merci), alors vous imaginez bien que de prendre l'avion avec une centaine de boites de pétri ambulantes, il y avait un pas assez énorme.

Lors de ce voyage en France, j'ai donc été obligé de prendre l'avion, de gérer la fatigue du décalage horaire, de manger dans des restaurants sans forcément avoir avant passé une heure à vérifier sur internet qu'il n'y avait pas des rats morts en cuisine, de prendre des bains de foule (un apéro avec 10 personnes, pour moi, c'est une manif, la #manifpourloic), et puis tout simplement d'être actif plus de 3-4 heures d'affilée, bref de faire des trucs qui vous semblent surement simplistes mais qui, depuis deux ans, relevaient pour moi de la science-fiction. Et dans l'ensemble, à quelques petits accrocs près et grâce à l'aide cachée de pas mal de médocs et de pas mal de préparation en amont, cela s'est vraiment bien passé et cela a changé beaucoup de choses dans ma tête et dans ma façon d'appréhender ce qui m'était possible de faire ou pas.

Cela a changé tellement de choses, en fait, en termes de ce qu'il m'est possible de faire ou pas, que quand j'ai appris qu'il y avait des gens que je voulais rencontrer qui se réunissaient à Vancouver, je me suis dit que j'allais y aller, même si Celia était partie en Italie pour un congrès à ce moment. Je me suis dis, pas de problème, je vais prendre la voiture en solo, conduire 3h, trouver un B&B sur AirBNB, aller à la rencontre pendant les deux jours, et rentrer lundi tranquillement (il faut savoir que ce lundi était férié aux US). Notez un peu le décalage, entre Loïc qui refusait absolument de mettre les pieds dans un restaurant inconnu, et Loïc qui se fait son petit week-end en solo à Vancouver, sans même savoir le matin même avant de partir où il va dormir. Encore une fois, cela vous semble peut-être trivial, mais pour moi, il y a un fossé énorme. C'est comme si quelqu'un qui a le vertige sur une chaise décidais du jour au lendemain de sauter en parachute, quoi.

Vendredi donc, j'ai chargé ma valise dans la voiture, avec mon kit habituel de médicaments (j'ai des réserves pour 30 jours, prudent quand même le garçon), et je me suis mis en route. Et à cause de cette cochonnerie de pont qui s'est écroulé, qui n'était même pas vétuste mais juste mal conçu pour faire des économies et ce comme 80.000 autres ponts américains (ça fait un peu peur, je vous assure), j'ai mis à peu près 6h pour arriver à Vancouver. Au lieu de 2h15.

Pris dans les bouchons, à peu près à mi-chemin, j'étais tellement épuisé que j'ai été obligé de m'arrêter dans une zone résidentielle en dehors de l'autoroute et de dormir une heure dans la voiture. Je me suis d'ailleurs fait très peur: je me rendais compte que je m'endormais, mais le temps de sortir de l'autoroute pour trouver un endroit où me reposer, j'avais des moments d'assoupissements incontrôlés et je me suis réveillé une fois à cause du bruit fait par la voiture sur les bandes blanches, qui sont heureusement là pour ça. D'ailleurs cette fatigue extrême est à mon avis causée en partie par le fait qu'en ce moment on est en train de baisser ma dose de corticostéroïdes, et mon corps, habitué à être stimulé en permanence, a du mal à se réajuster, j'ai par conséquent des épisodes de fatigue extrême en journée où je suis littéralement obligé d'aller dormir. Bref.

J'ai donc fini par arriver à Vancouver, complètement épuisé, aux alentours de 19h30, en étant parti vers 13h30, en me demandant déjà sérieusement ce que j'étais venu faire dans cette galère.

(à suivre)

Petit aparté: beaucoup de gens qui m'ont vu en France m'ont dit que j'avais l'air d'aller super bien, et je veux encore souligner plusieurs choses: oui, MAIS. Il faut se rendre compte que j'étais presque tout le temps gavé d'anti-douleurs, que je suis en permanence sous dose massive de corticostéroïdes (c'est sur, ça donne la pêche!), et surtout, que l'on m'a changé mon traitement contre le GVHD un mois avant le départ, et que ce traitement marche beaucoup mieux et a radicalement changé ma qualité de vie. Avec le traitement précédent, je n'aurais pas pu effectuer ce voyage. Bref, oui, c'est sur, j'ai l'air d'aller bien, avec 15 médicaments en support. C'est bien, hein, mais c'est pas encore le Pérou. Et je m'acharne à le répéter, parce que c'est assez frustrant, en fait. Effectivement, de l'extérieur, on peut croire que tout va bien! Bref, fin de l’aparté.


5 commentaires:

  1. 2h15 Seattle-Vancouver le vendredi avant Memorial Day, meme sans l'accident du pont? Hahahahaha, depuis combien de temps habitez-vous a Seattle?

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  2. 4 ans.

    J'ai dis en temmps normal, la je m'attendais a mettre je sais pas, 3h, 3h30, sans le pont. Pas 6.

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  3. J'ai juste envie de te dire un grand bravo pour toutes ces étapes que tu as passé et que tu passes. J'ai une vague idée de ce que tu exprimes à propos de cette extrême fatigue. Et oui, personne ne peut imaginer tous les supports nécessaires pour endurer ces petites choses de la vie quotidienne pour quelqu'un en bonne santé et qui sont des montagnes pour des personnes immunodéprimées. Poursuis ton chemin jeune padawan, grande est la Force en toi !

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  4. Bravo Loïc. Ce voyage en France fut un réel pas de géant dans ton histoire et surtout pour ton moral. J'ajouterai bien "n'en n'abuse pas" mais je sais combien tu es capable d'écouter ton corps (la preuve, tu t'es arrêté pour dormir un peu) alors ce conseil de prudence est superflu.

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