Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

mercredi 21 août 2013

Vers moins de médicaments

 Un matin comme un autre, il y a deux semaines.

 Je me lève, je prend mon petit dèj, je "toupine" comme dirait ma mère (un mot qui doit dériver de "tourner comme une toupie", j'imagine) en attendant que les médicaments fassent effet et que j'ai moins mal partout pour enfin pouvoir commencer ma journée. Tant que je n'ai pas pris mon cocktail de prednisone et d'antalgiques, je suis une boule de douleur, j'ai envie de rester couché,  prostré dans mon lit, un peu comme quand vous avez de la fièvre à cause de la grippe. Et puis, les médicaments rentrent dans mon système, la douleur s'évapore presque totalement, et je suis à nouveau fonctionnel. Je redeviens humain.

Ce matin là donc, j'appelle mes parents en attendant ce moment de soulagement.... Et il ne vient pas. Je me rappelle du début de notre conversation, j'étais souriant, je dis à ma mère, toujours inquiète, que je suis en forme et de bonne humeur... Tout à coup, je commence à avoir des crampes d'estomac, la nausée, des sueurs froides. Quelques minutes plus tard, je suis la tête au dessus des toilettes en train de rendre mon petit dèj. Deux fois. Merveille de la technologie, grâce à ma tablette, mes parents peuvent assister à mes "ébats" en live à 10.000 km de distance. Merci la technologie.

Mais qu'est ce qui m'arrive, encore? Il y a en gros trois explications possibles. La première c'est évidement un retour de la maladie du greffon contre l'hôte. C'est mon hypothèse, car la sensation est très similaire à ce que j'ai vécu il y a maintenant deux ans. Cela peut aussi être une infection bactérienne ou virale, ce qui serait inquiétant, ou bien tout simplement un effet secondaire des médicaments que je prend, pas vraiment surprenant quand on voit la quantité colossale de produits toxiques que j'ingère chaque jour.

Seul moyen de savoir, une endoscopie. Vous n'êtes pas sans savoir que le système digestif est complexe, composé en gros d'une partie supérieure (estomac, intestin), et inférieure (gros intestin, colon...). Comme mes deux systèmes sont touchés, j'ai le droit à un examen par les deux cotés, veinard que je suis.

Je ne redoute pas spécialement les endoscopies. On est sous anesthésie, dite consciente, parce qu'on est maintenu à la frontière de la conscience justement. Une perfusion, un peu de fentanyl (un opiacé), et zou tu t'endors comme un gros matou repu au coin du feu, pour te réveiller une fois la procédure finie. Pas de quoi fouetter un chat quoi, j'ai vu bien pire. Seul petit aléa de la procédure, j'ai eu l'impolitesse de me réveiller en cours de route. J'imagine qu'il n'y avait pas assez de fentanyl vu que je suis un peu plus résistant aux opiacés que la moyenne. J'ai commencé à m’étouffer avec ce gros tube dans la gorge et à chercher à l'arracher, et puis l'infirmière a du renvoyer une dose d’anesthésiant et je me suis rendormi comme un bienheureux.

Hier, j'ai passé ma journée à la clinique pour parler des résultats avec l'équipe de soins à long terme. Surprise, pas de GvHD dans mon estomac, juste un peu dans mon colon. Pas non plus de signe d'infection, mon estomac est dans un état impeccable... Pas de signe, cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas, entendons nous bien. Si cela ressemble à un canard et que ça fait "coin-coin", c'est que c'est probablement un canard... Néanmoins, à ce stade et compte tenu de la toxicité des immunosuppresseurs, il est important de se poser les bonnes questions. Il serait stupide de détruire mes os pour rien.  Mais pourquoi mon estomac est-il si sensible et pourquoi ai-je si souvent des nausées voir des vomissements? Il ne reste plus que l'hypothèse des médicaments.

Nous en sommes  à un point ou l'image est totalement brouillée. Actuellement on ne sait pas bien quelle part de mes symptômes vient des médicaments et quelle part vient du GVHD... On savait en Mars que je faisais du GVHD, en particulier de la peau, et que l'année dernière cela touchait mon estomac. Il y a toutes les raisons de penser qu'il est encore la, endormi... Mais nous sommes probablement allé trop loin dans l'usage des médicaments. Il est très possible que les effets secondaires soient devenus pire que le mal.

Cela fait maintenant plusieurs mois que l'on soupçonne deux de mes médicaments en particulier de faire plus de mal que de bien. J'ai arrêté de prendre dasatinib pendant deux mois pour voir si cela soulageait mes douleurs chroniques (réponse, oui, cela les a réduit de façon très importante, mais pas totalement, la preuve je suis toujours dans un état pas possible au réveil). Je viens de reprendre, à une dose réduite, pour pouvoir rester dans le protocole de recherche. Mais il y a un autre coupable potentiel: le sirolimus, un immunosupresseur qui sert à lutter contre le rejet de greffe. Soyons clair, le sirolimus a changé ma vie. Depuis que j'ai commencé à en prendre en Mars dernier, je tolère enfin suffisamment le soleil pour que sortir ne soit pas une torture. Sauf que c'est un ami très encombrant.

Mon corps réagit très bizarrement avec le sirolimus. Le dosage que l'on doit prendre n'est pas figé, il dépend du métabolisme des personnes, et on fait des prises de sang régulières pour mesurer le niveau de sirolimus dans le sang. Un niveau thérapeutique est compris entre 5 et 10 (je ne connais pas les unités). Quand j'ai commencé à prendre du sirolimus, à 2mg, j'étais à 2.5. A 3 mg, à 3. A 4 mg, 3.5. Le problème c'est que 4 mg de sirolimus, c'est une très forte dose et que tout le monde s'attendrait normalement à ce que mon niveau sanguin frôle les 10. Apparemment donc, mon corps métabolise super vite le sirolimus et il me faut des doses de cheval pour que mon niveau sanguin augmente de façon marginale... Ce qui veut dire une toxicité potentielle très importante. Ce n'est pas une réaction courante, cela arrive chez environ 10% des patients seulement.

Le médecin a donc pris (avec mon accord bien sur) une décision qui m'a surpris: celle de supprimer le plus de médicaments possibles. D'habitude, leur solution de base, c'est plutôt d'ajouter une pilule pour essayer de résoudre le problème et c'est d'ailleurs un des plus gros travers de la médecine occidentale, à mon avis, que de croire qu'une pilule va tout régler alors que souvent, des ajustements de style de vie, du sport, et des alternatives douces et globales peuvent aider autant, sinon plus (je pense aux médicaments contre le cholestérol par exemple qui sont bien souvent moins efficaces et plus dangereux que de juste changer d'alimentation et faire plus de sport). Il est temps de changer d'approche: nous allons éliminer tout ce qui est possible d'éliminer tout en contrôlant le GVHD et essayer de déterminer le plus petit ensemble de médicaments possible me permettant de fonctionner. Oh, il est très probable qu'il faille que je continue à prendre pleins de trucs pendant un moment, il faut rester réaliste... Mais il y a surement des choses que l'on peut diminuer.

Nous allons donc arrêter de surveiller mon niveau sanguin de sirolimus, puisque de toute façon il a manifestement peu de sens. On va diviser ma dose par deux, et se fier à mes symptômes plutôt qu'à un chiffre idiot pour déterminer si l'on peut encore baisser ou si l'on doit au contraire augmenter à nouveau. Si je recommence à avoir des éruptions cutanées, cela sera un excellent indicateur nous montrant que le niveau thérapeutique n'est pas atteint. Vous remarquerez: il nous a fallu presque 6 mois pour arriver à la décision de se baser sur mes symptômes plutôt que sur des chiffres... C'est vraiment un travers de la médecine occidentale, encore une fois, que de regarder d'abord les chiffres avant de regarder le malade, et je suis très heureux d'avoir trouvé un médecin ayant une approche plus globale. Mon coup de gueule sur la "médecine à l'ouest" n'y est d'ailleurs probablement pas étranger (je leur ai traduit mon article, en leur demandant d'arrêter de me prendre pour un numéro et pour un rat de laboratoire, cela a manifestement secoué tout le monde).

De même, on a baissé ma dose de dasatinib à 70% de la dose initiale. On va voir si les douleurs augmentent à nouveau pour aviser de la marche à suivre. On va aussi recommencer à baisser la prednisone, en utilisant des alternatives locales (blecomethasone, budesonide) qui sont moins toxiques de façon systémique. Si tout cela marche, si tout tient avec des doses réduites d'immunosuppresseurs, on pourra réduire les antibiotiques prophylactiques (bactrim et acyclovir -oui, je sais, c'est un antiviral-). C'est une spirale vertueuse, cela permettra ensuite surement de réduire l'ursodiol qui est un médicament pour supporter le fait de prendre autant de médicaments (sic).

Enfin, si, et punaise vous pouvez pas savoir ce que je l'espère et ce que j'attends ce jour, si mes douleurs s'estompent sans tous ces médicaments, on pourra finalement s'occuper de me sevrer des narcotiques.

Je ne fait pas de plans sur la comète: je suis habitué à ce que le monstre tapi en moi resurgisse quand on supprime des médicaments, tous les trois mois on essaie, tout me pète à la figure et j'en bave pendant un mois pour récupérer... Mais cette fois-ci j'ai vraiment bon espoir que l'on arrive à diminuer la toxicité du traitement tout en tenant en laisse la maladie du greffon contre l'hôte. Je ne sais pas, j'ai  une bonne vibe avec le médecin, j'ai confiance en son plan.

Le mot d'ordre, maintenant, c'est "Less is More". Moins, c'est Mieux. J'ai confiance, je suis content, c'est une manière de fonctionner qui est plus en accord avec la manière dont je vis ma vie. Si je pouvais être moins fatigué et avoir moins mal partout, ça serait quand même plutôt cool.

10 commentaires:

  1. Ca fait qq temps que je lis ton blog et je m'y attache ;)
    Je suis du même avis que toi, moins de médicaments c'est mieux que trop.
    A 80 ans, ma grand mère prenait 10-15 médicaments par jour depuis 20 ans. Presque du jour au lendemain, on a réduit sa dose de médicaments de façon spectaculaire, tu ne peux pas savoir comme elle s'est senti mieux après.
    Courage, nous sommes avec toi (même si c'est à 10000 kms de distance) !

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  2. Enfin du bon sens ! =D Je te souhaite bonne chance ! ;)
    Être dépendant du moins possible de substances extérieures, ça devrait être une règle générale à suivre pour tous.

    « l'ursodiol qui est un médicament pour supporter le fait de prendre autant de médicaments (sic) » Haha ! ^^ La preuve qu’aujourd’hui la médication est vraiment exagérée… On croirait un remake de Monsanto qui fait de la manipulation génétique sur ses plantes — non pas pour vraiment les améliorer (meilleure reproduction, meilleure résistance naturelle, meilleure autonomie) — pour les rendre résistante à son pesticide tellement puissant et tellement toxique que ça tue tout.

    « Less is More » c’est pas un jeu de mots sur une commande UNIX copiée par GNU ? :>

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    1. Attention, on est dans un cas ou être dépendant au moins de substances possibles est très compliqué...

      Ce que je dis sur l'ursodiol n'est pas la preuve que la médication est exagérée, c'est surtout la preuve que j'ai une pathologie très lourde qui nécessite énormément de médicaments pour me maintenir en vie.

      Qu'il y ai des excès, que l'on soit allé trop loin dans un sens, c'est peut être le cas (on va voir comment je m'en tire avec moins de médocs, pour l'instant c'est pas gagné): il faut bien se rendre compte que les médecins naviguent à vue dans un contexte très compliqué ou tout est sujet à interprétation.

      Autant je suis d'accord avec toi sur Monsanto, autant c'est hors sujet ici et cela n'a aucun rapport.

      Je suis partisan des médecines douces, autant que possible, mais on ne soigne pas une leucémie ALL Ph+ avec du thé vert, il faut bien s'en persuader.

      Dernier truc, Less is More, c'est bien un jeu de mot d'une commande unix, mais c'est avant tout un idiome de la langue anglaise. Faut descotcher un peu ;).

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  3. Loïc, chaque jour qui passe est une victoire sur cette maladie et sur les séquelles !
    Bonne chance pour cette nouvelle phase de la lutte, et merci pour tous les posts musicaux, botaniques et autres échappées spirituelles, qui montrent combien vous aimez la vie et combien la vie peut être belle au quotidien !
    Cécile

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  4. Bonsoir, j'ai découvert ce blog il y a quelques temps déjà mais sans jamais me "montrer".
    Je ne suis pas touchée par cette maladie mais ce texte me parle.... Les traitements je connais et même si ma maladie n'est pas mortelle elle est incurable et je dois utiliser la Biothérapie pour vivre sans trop souffrir et ralentir l'évolution...
    Je voudrais tant pouvoir tout supprimer ou en tout cas le plus possible... mais la volonté et l'hygiène de vie à ses limites....
    Et certains ne le comprennent pas... pensent que prendre des anti-douleurs c'est un confort... ^^
    Je vous souhaite d'y arriver car cela voudra dire qu'une étape de votre vie vient de se terminer.... ^^
    Je vous souhaite bon courage dans votre cheminement.^^
    Sophie

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  5. je suis abasourdie par tout ce que tu prends comme médicaments..tu en connais bien plus sur eux que moi même, dont c'est le métier!
    je te souhaite d'en finir effectivement avec cette spirale d'augmentation..on sait bien qu'au delà de 2 ou 3 molécules différentes, on ne connait pas dans l'organisme leur synergie!
    bon mardi et courage pour les quelques mois d'ajustement!

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  6. Bon courage.
    Un avantage aussi de reduire ce cocktail medicamenteux, c'est que ca doit vous couter un peu moins cher.
    Vous y arrivez financierement?
    Le cout de la sante aux US est exhorbitant. Il semble etonnant qu'en dehors de millionaires, des gens "normaux" peuvent se permettre un tel traitement. Pourriez-vous ecrire un ou plusieurs posts sur le cout du systeme US et eclairer les Francais qui vous lisent a ce sujet?
    Est-ce si mauvais que ce que les medias le laisse parraitre?

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    1. Oui il faut que je le fasse, mais l'aridité du sujet me rebute.

      Pour vous donner une idée j'en ai pour environ 10.000$ par an de ma poche. Alors ca va parce que bon, j'avais un bon salaire et que comme on part moins en vacances, ca fait moins de dépenses, mais bon...

      Par contre c'est a mettre en perspective: mon premier round de chimio a couté 100.000$ et la transplantation 400.000. Donc je suis qd meme "bien" couvert, meme si par rapport aux standard francais c'est ridicule.

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  7. salut permettez moi une question svp:pourquoi on ajoute le dosage de Purinethol ? mon fils 11ans se traite d une L A L B de puis deux ans tout c etait bien en phase de consolidation les analyses des globules et les plaquettes etaient normales mais le medecin a demandé l augmentation de la dose de Purinethol d un comprimé et quart puis un et demi puis deux comprimés enfin deux et quart au bout de qlques jours mon fils a eu des inflamations partout et ne peut plus marcher que du sommeil et la fatigue et douleurs de retours chez le traitant il nous prescrit de faire un NFS et n a rien prescrit pour calmer les maux de mon petit, l analyse du sang a revelé la chute des plaquettes et des globules blancs et rouges le medecin nous demande d arreter le Purinethol ...les douleurs diminuent mais la fatigue et l envie de dormir toute la journée est persistant voila en attendant de faire un myellogramme est ce normal tout ça? ou y a quelque chose qui ne va pas
    merci et bon courage

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