Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

jeudi 21 février 2013

Ne pas s'approprier la leucémie

Dans le post sur les questions, un commentaire m'a interpellé, et en en parlant à Celia je me suis rendu compte que je n'avais jamais verbalisé ce concept, ce qui est étrange car c'est quelque chose qui est très clair pour moi et toujours présent à mon esprit quand j'écris sur ce blog.

Ce qui m'a interpellé c'est que Nadine a écrit "TA leucémie".

Or c'est quelque chose que j'évite depuis le début, d'utiliser le possessif en parlant de la maladie. Vous remarquerez d'ailleurs que je ne l'utilise pas dans la phrase précédente et que je ne l'utiliserai pas, sauf erreur de ma part, quitte à avoir à faire des phrases plus compliquées. C'est une chose que j'ai en permanence à l'esprit quand j'écris et je suis parfois obligé de me reprendre pour l'éviter, tellement cela fait partie du langage courant que de parler de sa maladie. Si vous revenez en arrière sur le blog, je ne pense pas que vous puissiez trouver une instance où j'ai utilisé le possessif, et si c'est le cas il faut me le dire, c'est une erreur!

Pourquoi? Et bien il y a en fait plusieurs raisons à cela.

L'un des conseils les plus utiles que m'a donné le Dr. Estey quand je suis tombé malade, c'est de faire attention à ne pas devenir un patient professionnel, c'est à dire quelqu'un qui se défini par "sa" maladie, qui s'en sert comme gagne pain, comme moyen d'attirer l'attention, comme moyen de faire du chantage affectif,  de se faire connaitre, aimer, plaindre, que sais-je encore. C'est une attitude qui est très tentante, et on tombe tous plus ou moins dans le piège, d'autant que la frontière est ténue entre le fait d'exprimer une souffrance légitime et d'être à la recherche du soutien de son entourage et le fait de juste pleurnicher car c'est un moyen très facile de susciter l'attention des gens. J'en suis d'ailleurs d'autant plus conscient que je tiens ce blog, et que je suis donc en contact avec beaucoup plus de personnes que la normale. Toute cette attention autour de notre (ma) petite personne, il ne faut pas se mentir, c'est agréable, c'est souvent bienvenu pour tenir le cap, mais c'est aussi dangereux si cela devient un besoin.

D'ailleurs, après la transplantation, j'ai connu une période noire, avec une sensation de vide. Je ne suis techniquement plus malade (enfin, si, le GVHD c'est une pathologie, mais qui marque moins les esprits de la leucémie, le risque n'étant pas mortel en général), mais je continue à en baver pas mal. On a l'impression justement de se faire voler "sa" maladie, les gens passent à autre chose, arrêtent de s'occuper de nous, de nous plaindre, alors que l'on est toujours dans une souffrance physique et morale certaine mais moins évidente au premier abord. C'est un passage très dur, et je pense qu'il est d'autant plus dur que l'on s'est défini au travers de "sa" maladie. Je crois que cela se sent un peu dans le texte que j'ai écris au moment du bilan d'un an post transplantation.

Alors oui, la maladie me défini, maintenant, il ne faut pas se mentir. Je ne suis pas le même qu'il y a deux ans, je ne serais plus jamais le même. Marqué physiquement, marqué psychiquement, plus fragile et plus fort à la fois. Toute ma vie, cela me définira, c'est sur. Mais c'est quelque chose que je cherche à dépasser. Je cherchais une image pour expliquer ce concept, et la meilleure qui me vient à l'esprit, c'est la forge et la trempe d'une lame. La maladie, comme un marteau, m'a tapé dessus, forgé, trempé. Et comme l'acier trempé, je suis à la fois plus "affuté", dans le sens où j'ai énormément appris sur moi, sur la vie, mais aussi plus fragile (pour ceux qui ne savent pas, de l'acier trempé coupe mieux, mais est moins résistant aux chocs, raison pour laquelle on ne trempe que le tranchant d'une lame). Mais surtout, comme une lame, une fois que je suis sorti de la forge, je n'ai plus rien à faire avec le forgeron et son marteau. J'ai peut-être sa marque sur ma peau et au plus profond de mon être, mais comme un couteau, je me défini maintenant par l'usage que fait de moi mon propriétaire, c'est à dire... Moi-même.

Ma griffe Perrin/Monnet, avec la patte de renard de Pierre-Henry Monnet

Et pour le plaisir des yeux, le coté avec la marque de Fred Perrin.

En plus de toutes ces raisons objectives, j'avoue qu'il y a aussi une forme de superstition. Les mots ont un pouvoir certain, et j'ai très peur que de verbaliser une relation entre moi et la maladie via le possessif, cela l'attache à moi d'une manière ou d'une autre. Cette maladie n'est pas la mienne, c'est un phénomène naturel, pas forcément un ennemi puisque c'est quelque chose sans conscience, mais quelque chose qu'il faut que je gère et que je combatte. Ce n'est pas quelque chose qui m'appartient, qui fait partie de moi. C'est une chose que je refuse absolument. Je refuse catégoriquement d'utiliser le possessif en parlant de la maladie, qu'il y ai un lien verbalisé dans le monde manifesté entre elle est moi. Cela vous semble peut-être étrange, mais c'est quelque chose que je ressens profondément. Ce blog et tout ce que j'écris sur la leucémie, cela solidifie déjà bien trop ma relation avec la maladie pour qu'en plus j'utilise le possessif.

Ceci étant dit, quand j'écris "ne pas s'approprier la leucémie", ce n'est pas totalement correct. Il faut à mon avis absolument connaitre parfaitement la pathologie dont on souffre, ses causes et ses conséquences, afin de naviguer au mieux le monde médical, afin de comprendre au mieux son traitement, afin de se donner le maximum de chances et de pouvoir prévoir le pire comme le meilleur. Vous devez connaître intimement la pathologie qui vous affecte. Mais surtout, ne vous définissez pas au travers d'elle. Et toi non plus, Loïc, bordel.

@Nadine, merci de cette occasion de parler de cette chose qui est très importante pour moi et que j'avais totalement oublié.

9 commentaires:

  1. Les mots sont aussi un piège, merci de nous aider à nous aussi, y faire attention.

    Comme tu le sais, j'ai autour de moi deux amies ayant elles aussi une maladie du sang : l'une a une autre forme de leucémie due au chromosome de Philadelphie, et la seconde a les symptômes d'une leucémie sans en avoir la cause (une maladie orpheline dont je n'arrive pas à retenir le nom) pour qui la chimio à ce jour n'est pas efficace, et pour qui une transplantation n'est pas envisageable...

    Bref, je vais donc veiller à ne pas faire de raccourci, car parfois dans mon esprit, "ta leucémie" peut vouloir dire "ta forme de leucémie"....

    Parfois seulement, et effectivement, mes amitiés ne se définissent pas par la maladie.
    Donc merci de ce rappel,car il important pour moi de ne pas utiliser d'expression maladroite, et l'équilibre est parfois fragile ...

    (du coup, avec ce post, je comprends mieux pourquoi tu ne tiens pas à un blog juste sur la leucémie, et je pense que tu as raison !)

    Des bises parisiennes !

    RépondreSupprimer
  2. Ton article est vraiment très intéressant et plein de bon sens. Tu as tout à fait raison. Il faut un jour savoir retourner dans la vraie vie, quitter le monde médical et ne pas se définir par cette tornade qui a traversé notre vie.... ne pas faire de sa santé un fond de commerce (ce n'est pas très clair ce que je dis mais je me comprends ... :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. c'est tout à fait ça, l'expression est très bien trouvée. La leucémie, c'est un peu mon fond de commerce, sans ça j'aurais plus rien a raconter sur ce blog. C'est quelque chose qu'il faut avoir tout le temps à l'esprit, un peu ca va mais il ne faut pas que ca devienne un besoin, ou pathologique.

      Moi je continue par amour de l'écriture et parce que ca sert aux gens, apparemment (et parce qu'a cause du GVHD je suis toujours en plein dedans), mais sinon j'aurais arrêté d'en parler je pense.

      Supprimer
    2. Là où je ne suis pas d'accord c'est que je suis sûre et certaine que tu aurais plein d'autres trucs à raconter si tu décidais de ne plus parler de la leucémie.
      Quand je suis tombée malade, lors de la dernière séance de chimio j'ai dit à l'infirmière que désormais j'allais consacré mon temps libre à aider les malades et elle m'a dit "oh que non, il faut quitter tout ça pour retourner à la vraie vie" !! .... et un jour la maladie devient un souvenir très ancien qui fait partie de notre histoire mais qui ne nous définit plus. Mais il faut je crois des années pour ça ... Il n'est pas si loin le temps où je ne pouvais pas parler de ça sans pleurer .... et pourtant ça remonte à 18 ans.

      Supprimer
    3. oui, c'est sur... Disons que cela me permet de m'exprimer dans une dimension ou je n'aurais pas osé le faire, sur le coté spirituel etc...

      Je ne suis pas completement d'ccord avec li'infirmiere. Il faut revennir a la vrai vie, OUI. Mais je peux apporter tellement d'aide que je me dois de le faire. C'est a moi de poser des limites, afin que cela ne me bouffe pas, mais c'est un truc qui ne me quittera plus (enfin on en reparlera si j'ai des gamins et tout)

      merci de ton temoignage en tout cas.

      Supprimer
  3. "la forme de leucémie qui t'affecte"... voilà la bonne expression ! Merci Loic !

    RépondreSupprimer
  4. Le cancer est une maladie "particulière", qui évoque aussitôt la souffrance et la mort...Quand elle nous tombe dessus (on dit bien qu'alors c'est comme si le ciel nous tombait sur la tête!) on ne fait plus que UN avec elle...Je me souviens qu'après un an de traitement, une psy du centre anti-cancéreux a dessiné un rond (moi) sur un papier, entouré d'un autre rond beaucoup plus grand (le cancer). ça montrait bien que je me sentais prisonnière, englobée, submergée par LE cancer, que moi non plus je n'ai jamais appelé MON cancer.
    Il faut essayer de ne pas se résumer à la maladie, j'avais d'ailleurs l'impression que certaines personnes ne voyaient que ça de moi et je m'évertuais à parler d'autre chose, à me comporter comme si...comme si la bête aux yeux clos( je visualisais ainsi le cancer) n'était qu'un vague souvenir, alors que j'ai eu près de 7 ans de traitement!
    Ce qui personnellement a été dur à vivre, c'est de penser que c'était moi qui avait fabriqué ces cellules anormales, comme si mon corps m'avait trahi! Je me suis réconcilié avec lui, avec mes blessures de guerre, je viens de passer 10 ans de rémission...
    Quand je te lis,j'imagine un jeune français expatrié, qui parle de sa vie, de la culture américaine, et dans son vécu il y a la lutte avec une forme de leucémie, avec des conseils, des témoignages et de l'espoir...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. merci pour ton temoignage, biquette. moi je n'ai jamais detesté mon corps pour cela. J'ai eu la chance que des gens au bon momnet me mettent sur une voix positive plutot que de m'appesentir sur ce genre de choses.

      10 ans... Bravo! Et 7 ans de traitement, puniase, quel courage.

      Supprimer
  5. Tu as des personnes qui ont un sens aigu de la propriété. Je viens encore de lire sur un blog (et ça m’insupporte !) quelqu'un qui emploie le possessif trois fois dans une seule phrase. Quand j’étais enfant, à la maison, on disait "MON buffet, MON tableau, MA télé, MON téléphone, ect", ce qui fait que je prends soins de ne pas m’approprier les choses matérielles ni en paroles ni en actes et je crois que j’y ai parfaitement réussi. J’ai fait la même chose pour le cancer. Il m’est déjà difficile de le nommer comme si c’était un mot tabou, j’ai eu tant de mal à accepter ce statut de malade. Je l’ai d’ailleurs caché à famille et amis pendant des années. D’autres plus éloignés n’en savent encore rien ! De même je préfère le mot « rémission » à « guérison », sans doute par lucidité. Mais je comprends qu’on puisse parler de SON cancer pour plusieurs raisons. La première c’est que (ce qu’en disent les médecins) il n’y a non pas UN cancer mais DES cancers et qu’ils sont tous différents pour chaque organe de par leur forme. D’autre part pour les personnes qui s’approprient les choses si facilement, le cancer est une maladie que je qualifierai de « matérielle » parce qu’elle s’identifie par des cellules différentes, et souvent à une tumeur parfois palpable. Ce n’est pas le cas d'un microbe invisible qu’on attrape et qui ne vous dérange que le temps d’un rhume et s’atténue. Il y a de la matière bien (trop) vivante qui envahit son corps.
    La pensée créant, le poids des mots ayant un tel pouvoir, je crois qu’en effet le mieux est de ne pas s’approprier la maladie quelle qu’elle soit. Je ne peux que te donner raison.

    RépondreSupprimer

Un petit mot fait toujours plaisir!
Si vous ne savez pas quoi choisir dans la liste déroulante, choisissez "Nom/Url". L'url est optionnelle.

Search Results


Free Blogger Templates by Isnaini Dot Com and Architecture. Heavily modified beyond all recognition by Lo�c. Social icons by plugolabs.com .Powered by Blogger