Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

lundi 11 février 2013

Les armes à feu aux US III

(suite de la série sur les armes à feu aux US).

A chaque fois que j'entends parler d'armes à feu, le plus souvent quand les gens s'indignent violemment suite à une n-ième tuerie monstrueuse, j'ai toujours la même réaction d'agacement résigné. C'est très bien de s'indigner entre gens bien pensants, mais au jour le jour, que fait-on pour réduire la violence de nos sociétés? Qu'est ce qui fait que des individus un jour prennent une arme en se disant, "Tiens si j'allais me faire sauter le caisson en emportant avec moi le plus de gens possibles", et que faisons nous pour l'éviter?

J'ai déjà dit dans certains posts que je trouvais la société US très dure, très violente, et on m'a demandé des exemples de cette violence. Et bien en voici quelques un. Le lien avec la violence par armes à feu ne va peut-être pas vous sembler évident au premier abord, mais dans mon esprit, il est extremement clair.

Prenez l'affaire HSBC, par exemple. Une banque qui a blanchi pendant des années l'argent de la drogue mexicain, et qui s'en sort actuellement avec juste une amende qui semble colossale, mais qui ne représente qu'un mois de profits, les dirigeants, au courant, n'étant pas le moins du monde inquiétés. Pendant ce temps des jeunes passent la nuit en prison parce qu'ils ont un joint sur eux, ou des gens se font virer de leur boulot parce qu'un "drug test" (légal aux US) est revenu positif. 

Prenez Starbucks, qui ne paye pas de taxes en Angleterre, car ils déclarent des pertes artificielles en s'approvisionnant à un prix exagéré dans les filiales Starbucks situées dans des pays aux impôts plus légers. Pendant ce temps, en temps qu'expat, on me soupçonne d'évasion fiscale (pas moi hein, les expats en général) alors que je paye des taxes dans deux pays tout en ayant moins de services qu'un citoyen dans chaque.

Prenez un gars qui passe 3 jours à l'hôpital, aux urgences. Il reçoit une facture de 20000 dollars, alors que le coût réel est la moitié de ça, juste parce que l’hôpital surfacture pour permettre une marge de négociation avec l'assurance. Si ce gars n'a pas d'assurance, il va payer la totalité d'une somme gonflée artificiellement, alors que le gars qui a une assurance va payer une fraction de la somme négociée par l'assurance (on en reparlera et vous n'en reviendrez pas). Oui, vous avez bien lu, le pauvre gars qui n'a pas de boulot ni d'assurance va payer 2 fois plus avant assurance que celui qui gagne une somme à 6 chiffres, et 100 fois plus après passage de l'assurance. Qu'est ce que vous trouvez plus violent, le nouveau "Call of Duty" ou ça?

Est-ce que vous commencez à voir le thème récurrent? Allez un dernier pour la route. Ça va vous sembler peut-être idiot, mais le meilleur exemple que j'ai trouvé de la violence de la société US, c'est un jeu télévisé débile qui me l'a fourni. Il s'agit de "Take it All", présenté par Howie Mandel.

Le principe est très simple: au début, il y a 5 candidats. A chaque round, Howie offre un cadeau à chaque candidat, et celui qui a le cadeau de la valeur la plus basse est éliminé. Chaque candidat a le choix de garder son cadeau, ou d'échanger avec le cadeau d'un autre, et chacun dispose d'un véto par partie. Jusqu'ici, tout va presque bien, c'est un espèce de "Juste Prix" en plus pervers.

Sauf qu'à la finale entre les deux derniers candidats, tout change. Chaque candidat se voit offrir une somme d'argent, variant entre 100.000 et 250.000 dollars. Le plus souvent l'un reçoit une somme un peu plus basse, et l'autre une somme approchant le max. Les candidats doivent ensuite choisir, secrètement, s'ils veulent "Garder" ou "Partager". Et c'est là que ça devient franchement pervers. S'ils "partagent" tous les deux, ils repartent chacun avec la moitié de la somme combinée. Si l'un choisi "Garde" et l'autre "Partage", alors celui qui a choisi "Garde" garde tout. Si les deux choisissent "Garde", ils perdent tout l'argent.

Je ne sais pas ce que ça vous inspire, présenté comme ça. Moi, j'étais curieux, comment vont réagir les gens? Le seul choix sensé à mon humble avis, c'est de "partager", mais justement comme c'est le seul choix sensé, pourquoi ne pas "garder" et gagner plus? Surtout que si je partage je prend le risque que l'autre garde, comme de toute façon les gens sont des salauds, autant être plus salaud, c'est qu'un jeu après tout... mais... mais... bref vous voyez le topo.

Et bien le jeu tient toutes ses promesses: sur 7 épisodes, les candidats ont partagé une fois, tout perdu deux, et les 3 restantes,  l'un des candidats a entubé profond son adversaire. Mention spéciale à une jeune femme professeur des écoles, qui a fait un numéro d'actrice phénoménal, pleurant sur le podium en jurant qu'elle allait se servir de l'argent pour acheter des livres pour les enfants dont elle s'occupe et qu'il fallait donc absolument partager, et qui a décidé de "garder", trahissant de façon grandiose son adversaire, et se justifiant ensuite de façon écœurante en prétendant que cet argent supplémentaire, ça représente plus de bouquins pour ses gamins.

Mais ce n'est pas tout. Je ne sais pas ce qui me rend le plus malade, la logique perverse de ce jeu, la mauvaise foi, la culpabilité manifeste qui ronge les gagnants comme les perdants, ou la réaction du public qui félicite avec enthousiasme le gagnant, surtout quand celui-ci a "Gardé" victorieusement. Car c'est célébré comme étant une manière de gagner audacieuse! Bravo, vous avez joué le jeu, vous avez prix un risque maximum, bien joué! Non mais sans déconner... Bien joué d'être une vraie crevure? Félicitation, d'avoir piqué 100.000$ à quelqu'un qui en à autant besoin que vous?

Je ne sais pas si vous voyez où je veux en venir, alors je vous aide. Dans ce jeu, on a poussé à l'extrême trois valeurs fondamentales de la société américaine, l'individualisme, l'argent, et la "gagne" en un mélange particulièrement gerbant. A partir du moment ou l'on suit les règles (même si elles sont iniques) alors tout est justifiable pour gagner de l'argent. Aussi, en gagner le plus possible, même au détriment de quelqu'un d'autre, est presque mieux vu que de le partager. Après tout, l'autre n'avait qu'à avoir des couilles, et l'important n'est pas de participer, c'est de gagner, et si c'est gagner de l'argent, plus c'est toujours mieux. Personne ne se rappelle des seconds. Et je vous promet, ce genre de raisonnement sous tend tous les shows de reality TV US, et même si la TV ce n'est pas la vraie vie, je suis persuadé que cela sous tend l'inconscient américain.

Le lien avec les armes à feu est tenu, je vous l'accorde.  Sauf qu'il existe, sous la forme d'un film, "God Bless America". Attention, ce film va très loin et on peut légitimement, dans le sillage de Sandy Hooks, se dire que faire un film sur ce sujet, traité à la façon de l'humour noir, c'est un peu too much. Et en même temps, ce film tappe tellement juste...

C'est l'histoire d'un  gars qui fait un boulot aliénant dans un cubicle, le 9-to-5 à l'américaine dans toute sa splendeur, et qui un jour se fait évincer et licencier par un collègue stupide mais aux dents raclant le parquet. Il apprend dans la foulée qu'il a un cancer au stade terminal, et sombre dans la dépression. Son ex-femme et sa fille pourrie gatée n'en ont rien à foutre, et il se retrouve à passer la journée à picoler en regardant la TV... Et il se tape toutes les merdes que produit la TV US, tous ces shows complètement cons comme celui dont je vous ai parlé mais aussi  les déformations politiques de Fox News  et de gars comme Rush Limbaugh, et de manière générale la quantité de bruit et de merde incroyable que l'appareil médiatique américain est capable de produire. Et il décide un jour qu'il en a marre, qu'il va aller sur le lieu du tournage d'American Idol coller une balle dans la tête des "protagonistes" les plus insupportables. S'ensuit un road-trip où il est rejoint dans son épopée par une ado aussi désenchantée que lui. Ensemble, ils dessoudent à tout va les cons, les grincheux, les aigris et les égoïstes et l'entière production d'American Idol.

Il y a d'ailleurs une scène particulièrement intéressante qui se passe dans un cinéma, où ils sont emmerdés par des jeunes qui n'arrêtent pas de parler. Il leur demande de se taire, se fait envoyer chier, sors son flingue et dessoude tous les bruyants sauf la seule fille qui demandais aux autres de la fermer. Scène particulièrement marquante quand on sait qu'elle a été filmée avant la tragédie d'Aurora....

Alors je ne suis pas en train de dire que les mass shooters sont des gens normaux comme le "héros" de ce film, et que l'on on peut justifier leurs actions parce qu'ils se vengent de la connerie ambiante, hein. Je ne suis pas non plus en train de dire que la realTV est l'unique responsable de la violence de notre société, ni qu'il ne faut rien faire pour contrôler plus finement l'accès aux armes.

Mais tant que notre société sera basée sur des valeurs d'individualisme à tout prix, où l'argent est la seule métrique du succès, le justificatif ultime, l'alpha et l'oméga, où la consommation de masse est sa grande messe et la seule pratique pouvant nous mener à la Joie, où la bêtise et la médiocrité sont célébrées, je ne serais pas étonné qu'elle produise ici et là des individus perdus, n'ayant plus de valeurs, et donc ce genre de drame. Honnêtement, je suis presque surpris que cela n'arrive pas plus souvent.

Et si on commençait par rendre notre société humaine au jour le jour pour 99.99% des gens avant de s’intéresser aux 0.01% d'attaques de psychopathes?

(à suivre et pour conclure, quelques anecdotes sur le débat).

2 commentaires:

  1. chris (rustic ryu)2 juillet 2013 à 01:39

    Merci Loic pour cette suite d'articles.
    Je partage à 118% tes analyses et conclusions
    j'avais trouvé un site très interessant sur les mass murderer et il ressortait que très souvent, le type qui passait à l'acte était en fin de parcours, et avait subi brimades, humiliation, et de façon générale toute la violence du système (américain certes, mais qui peut se retrouver ailleurs)

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  2. J’ai vu ce film, et dès que j’ai lu tes articles sur les meurtres plus fréquentes aux États-Unis, j’y ai pensé. J’y ai pensé aussi au début de cette série d’articles. C’est vraiment un excellent film, et je dois dire que même avant — souvent quand je suis déprimé — je me met à « comprendre » un peu (sans être d’accord) ceux qui pètent un câble dans ce genre de société, avec une culture pareille…

    Je suis aussi complètement d’accord avec toi. C’est pas le contrôle des armes le problèmes : des armes, yen a partout, sous diverses formes, pas seulement les armes à feu. Non, le problème, c’est bien que la culture du capitalisme–consumérisme est bien plus exagéré aux États-Unis, du coup c’est pas étonnant de voir si souvent des gars qui pètent un câble pour ça. C’est pas un problème de régulation, mais un problème psychologique. Faut une meilleure éducation… et trouver des moyens pour sortir de cette culture du consumérisme dégueulasse.

    De plus niveau armes à feu : ce n’est pas elles qui tuent, mais les hommes. Je pense que la régulation irréfléchie et bête (le « la loi c’est la loi » qui suit après et qui rend le pouvoir exécutif tellement con que c’est comme s’il n’existait pas et qu’il n’y avait que deux pouvoirs à séparer) n’est pas une bonne solution car elle peut toujours tomber dans l’excès (régulation de la pédopornographie -> régulation de la pornographie -> régulation d’Internet -> plus de liberté d’expression -> plus de liberté), et ne réussira pas si bien (prohibition, illégalisation de la drogue, interdiction du chiffrement -> mafia, mafia, mafia/pédoporn/plus-de-commerce). Là par exemple niveau régulation des armes on veut interdire les imprimantes 3D (ou demander à avoir un permis) parce qu’il y en a qui s’en sont aider pour fabriquer des armes (à feu)… Et pourquoi pas étendre ça aux ordinateurs ensuite… voir aux moteurs (une imprimante 3D c’est 3 moteurs sur des axes)… et à l’électricité… ça peut être utilisé pour des appareils pas gentils…

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