Poursuivons notre exploration de ce qui me pousse à écrire sur cette foutue leucémie.
Vous savez, il faut être complètement honnête, il y a un coté agréable au fait d'être malade, qui tient au fait que soudainement le monde se met un peu à tourner autour de vous. On devient très rapidement le centre de notre petit univers, et si tous les malades vous diront que c'est horrible d'être dépendant des gens, que c'est insupportable de devoir sans cesse demander de l'aide (que cela soit financière ou pour se tenir debout), et ça l'est, il y a aussi un espèce de besoin d'attention au fond de chacun d'entre nous qui est d'autant plus exacerbé que pour une fois il est justifié et que l'on peut le satisfaire en toute bonne conscience.
C'est une drogue puissante, cette attention des gens, et si aucun malade ne souhaiterai jamais vivre ce genre d'épreuve juste pour que l'on s'intéresse à lui (encore que... ça existe!), nous avons tous au fond de nous, à un niveau plus ou moins important, ce besoin d'attention.
Et je n'y fais pas exception!
C'est quelque chose dont je me méfie énormément, et encore plus avec le blog. Un blog, c'est comme Facebook, en sur-multiplié, d'autant qu'il y a cet espèce de personnage que l'on se construit, forcément plus grand que nature. Si demain je souhaite vous faire pleurer, chez vous, je sais que je vais y arriver. C'est dangereux.
Mon médecin m'a fait prendre conscience de ce risque très tôt, dans les jours qui ont suivi mon diagnostic. Il m'a dit: "Faites très attention à ne pas devenir un patient professionnel". Et je suis d'accord avec lui. C'est un des plus grand dangers de ce type de maladie (avec cet autre truc, vous savez, crever, remarquez au passage que je viens de vous rappeler ma misère). L'esprit est une chose étrange et terriblement puissante, et quand il se retrouve projeté dans une détresse pareille, il cherche à trouver du réconfort où il peut, prolongeant parfois la maladie afin que l'on continue à s'occuper de lui...
C'est quelque chose qui m'a terrifié lors d'un de mes cycles de chimio. J'étais content d'entrer à l’hôpital et de retrouver "mon" équipe d'infirmières. D'autant plus qu'un jeune de mon age, souriant, charmant, et français, cela ne courrait pas les couloirs, et que c'était un peu la foire d'empoigne pour savoir qui allait s'occuper de moi. De façon inverse, quelques mois après la transplantation, j'ai eu une phase de déprime: plus assez malade pour qu'on s'intéresse à moi, pas assez bien pour qu'on s'intéresse à moi non plus... Ces jours là tu as envie de poster sur Facebook que tu as encore vomi trois fois durant la nuit, ce que je confesse d'ailleurs avoir fait une fois en un an (et puis après, tu de dis que bon, il ne faudrait pas voler la vedette aux gens qui se cassent des ongles, alors tu ne le fais plus).
Ce qui me fait le plus peur, dans tout cela, c'est que je suis persuadé que l'esprit à une influence sur la réalité, et je suis terrifié de faire une rechute par "besoin d'attention". On parle souvent d'écrire pour évacuer, et c'est clair que cela a du bon, il faut que certaines émotions sortent. Mais c'est dangereux, aussi. Il ne faut pas que cela devienne un prétexte pour revivre encore et encore un traumatisme. La frontière est ténue entre évacuer et ressasser.
D'où une grande partie de ma retenue à ce sujet, et vous aurez d'ailleurs compris que si je parle de mes motivations sur le fait d'écrire sur la leucémie, (notez que j'écrit "la leucémie", pas "ma leucémie") c'est essentiellement pour m'attarder sur ce point. C'était, c'est très important pour moi de ne pas devenir un patient professionnel. De donner juste assez conscience de ce qui se passe pour qu'on comprenne bien ma situation et celles d'autres malades, mais sans aller trop loin. J’éclaircis ce point maintenant, car je pense à écrire quelques textes beaucoup plus durs dans les mois qui viennent, pour d'autres raisons que je vais aborder plus loin.
Dans le même registre, écrire sur quelque chose d'aussi dur, c'est un peu un défi lancé au monde: regardez comme j'en ai chié, regardez ce que je suis courageux. C'est d'autant plus vrai que je n'ai pas toujours eu confiance en moi et quand je parle de cette expérience, il y a forcément, quelque part, un bout de moi qui agite les bras en criant, "regardez, je suis devenu un adulte".
C'est bizarre d'ailleurs, vu que je trouve que la plupart des adultes se prennent bien trop au sérieux et passent leur temps à souffrir, d'une façon où d'une autre, justement pour se prouver qu'ils sont adultes, ce qu'ils arrêteraient de faire assez vite s'ils avaient souffert vraiment, ou plutôt s'ils avaient vraiment compris qu'ils peuvent y passer à tout moment... Et c'est encore un autre thème, en filigrane de ce récit. J'ai eu l'infortune de vivre des choses plus dures que la plupart des gens, et cela m'a appris à vraiment aimer la vie. C'est quelque chose que j'aimerai transmettre, et pour se faire, difficile de faire autrement que de parler de ma propre expérience.
(à suivre).
difficile sujet, mais tellement bien écrit. Est ce que ce type de maladie permet à notre esprit d'évoluer ? A priori oui, si j'en crois ce que vous écrivez. Il semble que vous ayez survécu plus qu'à la simple (ne le prenez pas mal hein! je suis convaincue que ce n'est pas simple) maladie physique. Quel courage! Je souhaite à tous les gens qui se retrouveront dans cette situation de découvrir en eux les ressources que vous avez su trouver. En même temps je souhaiterais bien vivre dans un monde d e bisounours et que plus personne jamais ne se retrouve dans cette foutue situation.
RépondreSupprimerBien à vous.
Est ce que cela permet d'evoluer?
RépondreSupprimerCa c'est une certitude. Ce n'est pas obligatoire, c'est une démarche personnelle, toujours, mais cela permet clairement d'évoluer.
Il y a aussi une différence par rapport aux gens qui ont un accident grave, qui passent à coté de la mort et qui sont sur pieds en quelques semaines par exemple, car ce genre de maladie, c'est pendant plusieurs années qu'on est confronté à la mort au quotidien. Le changement que cela implique est a mon avis plus profond et durable.
Un monde de bisounours ? :) C'est comme un jeu vidéo, si c'etait trop facile, ça ne serait pas marrant!
Je comprend parfaitement ce que tu dit, le besoin d'attention est de toute façon inévitable, il faut juste essayé de ne pas ressembler à un Italien en final de coupe de monde et de se coucher pour un courant d'air ^o^
RépondreSupprimerLe sentiment de valeurs de la vie, je le connais car j'ai eu plusieurs accident (santé et de vie quotidienne) qui m'ont forgé ce sentiment de fragilité qu'est notre condition. Sortir vivant d'une hémorragie de la gorge ou d'une accident de la route à 130, ca met son petit coup de fouet et ca reste gravé a jamais dans l'esprit..........faudra peut être que je pense a consulté d'ailleurs, car dès que je vois une série médicale où un mec vomi du sang je fond en larme et je me met en position "Birdy".
Je trouve que c'est un bon geste que de prendre le temps de se confier par écrit, ça nous aide comme tu dit a dire au monde , mais surtout à sois même: "coucou jsuis un grand".........et je trouve que c'est une très bonne chose car combien de personnes le font? être adulte ce n'est pas juste vieillir, c'est prendre la vie par les amourettes et montré qu'on sais se défendre des emmerdes de la vie.
Je passe du phoque à l'âne.
Est ce que tu connais le manga : IKIGAMI? je te laisse découvrir (si ce n'est pas le cas) ce petit chef d'oeuvre d'anticipation (glauque?) sociale.
Passe en tout cas un bon mois d'Aout et bise bien ta tite femme qui prend soin de toi. ^o^
Avoir un cancer ce n'est pas qqchose de banal, on sait qu'on touche la mort de près, qu'on peut rechuter...j'en suis à 9 ans sans rechute, pourtant je me sens tjs concernée, tjs dans cette barque avec les autres malades ou anciens malades, concernée, solidaire...
RépondreSupprimerJe vois le cancer comme une panthère aux yeux mi-clos qui guette, alors je suis vigilante, mais je ne pense pas qu'à ça bien sûr, je vis, j'aime, plus fort qu'avant!
Témoigner est important je trouve, sans complaisance mais sans gêne. Quand j'étais dans les traitements lourds lire des blogs m'aidait car je me disais que je n'étais pas seule, qu'on s'en sort, que la vie est belle malgré tout, que ce qui est important c'est les relations aux autres.
je suis maman d'une petite fille atteinte d'une leucémie en mai 2008.Je vous lis depuis quelques temps déjà,j'apprécie vraiment votre blog et tout particulièrement cet article.
RépondreSupprimerQuelle lucidité,quelle belle analyse de votre situation.Vous avez déjà un sacré recul pour pouvoir écrire ainsi.En tant que parents je me retrouve dans votre analyse.Ne pas se complaire dans la maladie aussi bien en tant que malade mais aussi en tant que parents d'un petit malade....avancer avancer pour voir la maladie s'éloigner.Continuez à nous faire partager votre expérience,cela nous aide aussi,nous parents, à mieux comprendre ce qui peut se passer dans la tête de nos petits malades car même si l'age est différent je suis certaine qu'il y a bien des similitudes dans les réactions des malades.
Merci, et courage pour vous et votre fille!
Supprimertu as subi une épreuve que peu de gens connaitront, et tu en es sorti grandi...je ne pense pas que tu doives t'excuser de ce que tu écris..
RépondreSupprimer(et je viens de penser que tu dois avoir l'âge de ma fille (à quelques années près..))
profite!
33 ans!
SupprimerYes je profite. Merci :)
J'aimerais vraiment vous rencontrer pour continuer à progresser.... J'aime beaucoup vos prises de positions sur ce genre de chose.
RépondreSupprimerBon courage, à vous et à vos proches mais aussi beaucoup de chances (on ne sait jamais ;))
Hello!
RépondreSupprimerOn est toujours dispo pour prendre un thé avec des gens, mais bon faut se déplacer à Seattle :)