Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

mercredi 8 août 2012

Pourquoi écrire sur la leucémie I

Il y a quelques semaines, je parlais avec Celia d'une amie qui a un cancer du sein (je peux mettre un lien, vu que tu en as parlé?) et je m'étonnais de constater à quel point elle était mal et nauséeuse.

Ne vous méprenez pas, je suis bien placé pour savoir ce que cela fait, la chimio. Mais j'étais abasourdi par l'intensité de ses symptômes, étant donné que j'ai reçu des doses de 10 à 20 fois supérieures. J'ai dit une connerie du genre "C'est dingue, j'étais pas si mal que ça, avec une chimio bien pire". Ce qui est d'ailleurs complètement stupide comme remarque: on réagit tous différemment, et parfois la dose n'a absolument rien à y voir.

Celia m'a regardé avec des grands yeux, complètement interlocutée.

"Tu te rends compte que as été nourri par intraveineuse pendant un mois entier et que tu n'a quasiment rien mangé de solide pendant un mois après ça?".

Petite pause. Punaise, c'est vrai. Je me rappelle même ce que je pensais à ce moment là, que jamais je ne pourrais revivre la même chose, tellement j'étais épuisé mentalement par une souffrance quasi permanente.

Sur le moment, ce sont des choses dont je n'ai pas beaucoup parlé, pour épargner les gens, pour garder le moral en ne parlant que du bon, pour ne pas tomber dans le pathos en écrivant sur le vif... Et puis au fur et à mesure, mon esprit s'est mis à oublier, ou à ne se rappeler que de ce qu'il veut se souvenir. Je repense par exemple maintenant avec joie aux moments passé avec mon frère à le regarder jouer à la console... Sans me rappeler que j'étais trop mal pour faire autre chose que cela, le regarder, et que je ne me rappelle que de façon fragmentaire de certaines de ces journées.

Un an plus tard, je commence à digérer, et je me rend compte qu'il faut que je mette cette expérience par écrit rapidement, pour ne pas oublier. J'ai maintenant suffisamment de recul pour ne pas tomber dans le pathos, mais c'est assez frais pour rester percutant. Si j'attends trop, je vais perdre ce coté vécu.

Une question se pose, néanmoins.

Pourquoi continuer à écrire sur la leucémie, maintenant que c'est passé? Il y a plein de mauvaises raisons pour le faire, et aussi quelques bonnes... Mais encore faut il se poser la question avec honnêteté.

Je sais que dans mon entourage, certains ne comprennent pas forcément que je parle encore de leucémie, ou ont du mal à le supporter. C'est normal, cela maintient cette angoisse, et ils doivent aussi passer à autre chose. Quand je parle du fait que j'ai bien failli y passer, que je me suis préparé à mourir, que je risque encore tous les jours de rechuter, je suis conscient que mes parents me lisent et que c'est extrêmement dur pour eux.

Et je le comprend tout à fait. C'est vrai que quand on m'appelle et que l'on me demande comment ça va, j'élude rapidement: "Comme d'hab, crevé, mal partout, vomi hier (oui, ça m'arrive encore), et toi?"... Du coup, je répond "Oh, deux trois soucis, mais ça va bien". Et ça va bien d'ailleurs! Je suis plus heureux que je ne l'ai jamais été, malgré mon quotidien un peu plus pénible que la moyenne.

 Il est donc très important pour moi de me poser le plus honnêtement possible cette question du pourquoi, de façon relativement régulière. S'il y a plus de mauvaises raisons que de bonnes, autant m'abstenir d'écrire et épargner mes proches... Et moi même, car le fait d'écrire, loin d'évacuer les émotions, me force à les revivre, ce qui n'est pas forcément sain.

Ce post va surement être un peu long, donc je vais le découper comme je fais parfois, et je vais conclure ce post avec la première de ces raisons, qui est absolument simplissime: cela a beau faire un an, le fait est que la leucémie fait toujours complètement partie de ma (notre, j'écris au singulier parce que c'est plus simple mais je n'oublie jamais Celia) vie.

Il faut bien avoir conscience que ce genre de maladie, ce n'est pas comme se casser le bras: le traitement est long, et l'on a des séquelles à vie. Au rythme où je récupère, il va falloir probablement encore entre un et cinq ans pour que je reprenne une vie totalement normale. Je connais certains patients qui après dix ans ont encore une qualité de vie extrêmement dégradée. Dans notre monde ou tout ce qui a plus de trois mois est déjà ancien, je sais que c'est difficile à appréhender, mais cette histoire, cela se mesure en années, pas en semaines, malheureusement.

Voici donc la première (bonne) raison: si je continue à en parler, c'est que bien que j'ai à nouveau des cheveux, toujours le sens de l'humour, et un charme irrésistible (c'est la fin du post, je peux m'envoyer des fleurs vous avez décroché normalement), je suis tout simplement encore en plein dedans.

(à suivre).

12 commentaires:

  1. Bah moi je te dis continue d'en parler...
    D'un part pour les "tout venant" comme moi pour qui la leucémie se résumait avant à une page de pub à la télé récoltant des fonds pour les enfants sans cheveux dans les hôpitaux....on se rend un peu mieux compte de ce qu'est cette maladie en réalité: donc pour le rôle éducatif (là c'est la formatrice qui parle:).
    Tu peux même écrire un bouquin comme beaucoup le font (et là c'est la psy qui parle) parce que justement il y a sans doute des choses que tu as "atténué" pour préserver ton entourage et qui auraient peut-être besoin de sortir....
    J'imagine bien le titre "Mon combat contre la leucémie" en titre avec ta photo de biker :)

    Donc au plaisir de continuer de te lire de Prague où mes petits problèmes de pieds enflés et d'aigreurs (horribles) d'estomac en sont tout relativisé :)

    Azu'

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  2. Salut Azu,

    Oui, c'est un truc dont je vais parler: je me dois d'en parler ne serait ce que pour faire la pub pour la cause.

    En ce qui concerne un livre, j'ai deja un plan, un titre... il faut que je m'y colle, mais la fatigue me freine. Faut que je démarre!

    En revanche, et je vais en parler, il faut aussi faire très attention de ne plus parler que de ca et de ne jamais passer à la suite. Il faut aussi que je recommence à vivre! D'ou cette interrogation permanente: suis je dans le passé, ou pas?

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  3. Je fais ma quatrième séance de chimio aujourd'hui et ca m'aide énormément de lire tes expériences ici.

    J'avais un peu le même réflexe que toi. Il y a des effets secondaires qui font peur. "Chemo brain" par exemple - en ce moment j'ai du mal à réfléchir et je n'ai plus de memoire. Je me suis dit qu'il faut pas trop en parler avec la famille aux US ou sur mon blog. Pour mon (et leur) morale.

    Ma belle-soeur est venue de Lille me voir l'autre jour. J'étais souriante mais elle me connait trop bien. Au bout d'un moment elle m'a dit, "Tu sais, Victoria, tu as le droit de craquer de temps en temps." A partir de là, notre conversation a changé et j'ai parlé plus honnetement de mes peurs et des effets super déplaisants de mon traitement. Ca m'a fait du bien et je me suis dit après qu'il faut trouver un "middle ground" entre "trop dire" et "ne rien dire."

    Mais pour le moment je ne l'ai pas trouve. :-)

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    1. Salut,

      Oui, je connais bien le chemo brain aussi. On en parle peu, mais c'est super réel. J'ai toujours des sequelles, meme si cela se résorbe lentement.

      Oui, il faut aussi craquer, évacuer. Il faut faire attention à ce que cela ne devienne pas un mode de fonctionnement, mais de temps en temps, cela fait du bien.

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  4. je pense honnêtement que tu seras dans ce "monde malade" encore quelques années, tu vas attendre le 5ème anniversaire avec hâte, car en France au bout de 5 ans tu es considéré comme "guéri", mais toute ta vie, tu auras une épée de Damoclès au dessus de ta tête, même si tu l'oublieras..
    cette année, cela fera 10 ans que ma fille a déclaré sa leucémie, et pourtant, j'y pense tous les jours...et elle? je crois aussi, elle me laisse souvent des "indices", même si nous n'en parlons guère.
    bonne journée! ( je te trouve très courageux, mets tes souvenirs sur papier, c'est vrai que nous avons une mémoire sélective, on oublie les mauvais!)

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    1. salut,

      Merci et courage à toi et à ta fille.

      Oui je suis conscient que toute ma vie va maintenant etre défini par ca.

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  5. A la maison, quand je suis sortie de l'hôpital, j'étais assistée dans la moindre des tâches comme quelqu'un de complètement handicapée, alors que je voulais reprendre une vie "normale" le plus tôt possible. Mais paradoxalement on m'empêchait de parler de la maladie, de me laisser parfois aller au désespoir. "Pour mon bien". Je crois surtout que c'était pour celui des autres ! Alors, j'ai écrit. C'était ma thérapie, mon exécutoire. Comme dit Victoria, il faut néanmoins trouver un "middle ground" entre ne plus penser qu'à ça et faire semblant que tout va bien. Pas facile.
    S'il n'y avait pas ces pages que j'ai écrites, ce n'est souvent plus qu'à travers ton vécu que je retrouve quelques émotions du moment. Par contre l’enchaînement des évènements, ça je m'en souviens parfaitement ! La mémoire est heureusement sélective et atténue bien des souffrances avec les années qui passent.

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    1. merci de partager.

      Pour moi c'est toujours une question d'équilibre: laisser la maladie nous définir, non.

      Verbaliser, évacuer, éduquer, aider, oui. Tant que cela ne devient pas nécéssaire pour fonctionner.

      C'est le piège, aussi.

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  6. Continuer à écrire peu certainement aider des personnes atteintes de ce mal. Il est vrai que chacun vit sa maladie différemment mais je suis certaine que tu apportes des informations "du quotidien", informations que les soignants n'ont pas assez souvent le temps de donner.

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    1. Oui, c'est clair, j'ai d'ailleurs une série de posts en préparation à ce sujet.

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  7. Anonyme de Bretagne10 août 2012 à 02:38

    Continue te t'exprimer comme tu le fais en jaugeant l'équilibre qui te convient le mieux...je pense que d'écrire des pages ne pourrait t'apporter que du bien pour l' avenir....et pour le moment apporte un réel plus aux personnes qui te lisent, ce qui est mon cas !
    A 69 ans on vient de me conseiller de faire écrire par un écrivain public (je n'ai pas tes talents :-)...) mon histoire que je traine comme une vieille casserole...qui me pertube encore si ce n'est plus qu'avant et plus grave, certaines de mes réactions troublent mes descendants.... grands et petits !
    Je t'embrasse et chapeau à toi pour tout

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  8. Un an après la fin de son traitement, ma fille alors âgée de 14 ans n'a pas supporté se retrouver au milieu d'enfants malades. Elles les trouvait "trop atteints" par la maladie. J'en suis restée stupéfaite car elle avait été un an plus tôt dans un état bien pire que les enfants présents ce jour-là... La mémoire est vraiment très sélective!
    Cela fait 5 ans qu'elle n'a plus de traitement. On en parle bien sûr beaucoup moins, mais la maladie reste néanmoins présente.
    En parler beaucoup ou pas est une question de dosage, ne pas en parler du tout me parait impossible. Prendre sur soi aide à avancer, à ne pas se laisser aller mais ne pas en parler s'apparente pour moi à nier la maladie ce qui me parait fort néfaste.
    Je lis régulièrement votre blog sans commenter et je suis très admirative de votre parcours, de la façon dont vous témoignez et du recul que vous réussissez déjà à avoir. Surtout continuez!
    Beaucoup de courage pour tout ce que vous accomplissez.
    Laurence

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