De toutes les saloperies que l'on doit ingurgiter pour lutter contre ces foutus cancers, je crois qu'il y a une catégorie de médicaments qui est particulièrement et universellement détestée par tous les patients: les stéroïdes.
Pourtant ce n'est pas ce qu'il y a de plus désagréable: il y a certains médicaments qui ont des effets sympathiques, du genre qui font tomber les ongles (je n'ai pas eu l'honneur d'essayer, mais on m'a raconté), la plupart des chimiothérapies vous collent une gerbe comme vous n'en avez jamais eu, certaines molécules causent des neuropathies qui peuvent être assez sévères (mon amie la vincristine que je salue au passage, mes doigts te remercient)...
Les stéroïdes (que vous appelez corticoïdes en France je crois) peuvent sembler relativement "inoffensifs" à coté: cannibalisation des muscles, affaiblissement voire dé-vascularisation des os, rétention d'eau... Il faut quand même taper dans les hautes doses pendant assez longtemps pour qu'ils deviennent problématique. Mais il y a un effet qui est trop négligé par les médecins: ils altèrent, de façon parfois importante, le psychisme et l'humeur. De plus, en temps que stimulant ils perturbent gravement le sommeil.
Sous
haute dose de dexomethasone (4 jours à 40mg, pour ceux qui connaissent ça équivaut à 10 fois plus de prednisone), je devenais une autre personne. En quelques heures cela me rendait irritable et agité. J'étais incapable de me concentrer et même regarder un film me donnait envie de prendre une batte et de démolir le téléviseur, le mobilier et pour être franc à peu près tout ce sur lequel je portais le regard.
Pire, je n'en avais plus rien à cirer de rien, y compris de ma propre vie. Tout me semblait complètement futile et inutile. Je parle souvent... Enfin souvent, je ne raconte pas ça tous les jours non plus, "Bonjour Monsieur le boucher, laissez moi vous conter quand j'étais pris d'une folie meurtrière à cause d'un méchant médicament qui tue la joie", il y a mieux comme bavardage. Je parle donc souvent de cette période en disant que ces médicaments me rendaient suicidaire. Ce qui est inexact: en fait, je n'en avais juste plus rien à faire. S'il m'était arrivé un truc, je me serais regardé claquer sans broncher, je pense, ou peut-être que je me serais rebellé tellement j'étais énervé, va savoir... Enfin vous voyez l'idée quoi.
Depuis un mois et demi, je suis à nouveau sous prednisone pour traiter une crise assez sévère de GVHD. La dose est bien plus faible, 65mg, mais suffisante pour impacter de façon importante ma qualité de vie.
Les deux premières semaines ont été assez incroyable. J'ai globalement tenu pendant 15 jours avec entre 4 et 6 heures de sommeil par nuit alors qu'il me faut au minimum 9h de sommeil pour être opérationnel. J'étais surexcité, parlant constamment, le débit haché, saccadé, comme une mitraillette, toujours en mouvement. Paradoxalement,
j'étais trop sur les nerfs pour faire quoi que ce soit de constructif, il m'était extrêmement difficile de me concentrer. C'est super énervant, avoir une énergie incroyable et ne pas pouvoir la canaliser.
En même temps, je sentais bien une partie de moi crier grâce, demander un peu de repos et de calme. Comme si mon esprit avait deux parties, l'une en train de devenir berserk et l'autre en train de s'effondrer d'épuisement. Très perturbant. Et mon psychisme, comme prévu, s'est aussi modifié: plus tendu, plus agressif, moins patient, moins à l'écoute, et ce qui me gène le plus, moins optimiste.
Physiquement, j'en ai aussi un peu bavé à cause d'un petit problème de rétention d'eau dans le pied gauche. Ça fait problème de personne âgée, mais vous n'imaginez pas ce que ça peut être douloureux. Si jamais cela vous arrive, nous avons géré le problème en supprimant totalement le sel de notre alimentation, et je me suis mis à porter un bas de contention du type de ce que l'on met pour les longs trajets d'avion. Pas très glamour, mais efficace!
Aujourd'hui encore, alors que mes doses ont sensiblement diminuées, mon sommeil et ma capacité de concentration est très altérée. Il y a 3 jours, j'ai dormi 4h (en deux fois) pendant la nuit puis je suis resté réveillé 20 heures d'affilées... Forcément les jours suivant ont été un peu dur, et aujourd'hui je tire la langue.
D'ailleurs, petit conseil à ceux qui subissent cela: j'ai un petit cocktail pour m'aider à dormir à base d'Ambien, pour l'endormissement. Le problème c'est que l'Ambien est éliminé en 4h du coup je prend en même temps des demi doses de clonazepam, qui marche moins bien pour endormir mais qui a un effet plus long (8h). Ce n'est pas de la science exacte, trop de médocs et je passe la journée hébété par les produits chimiques, trop peu et je ne dors pas, et puis il faut faire gaffe à ne pas tomber accroc. J'ai l'impression de jouer au petit chimiste.
Le bon coté des choses, c'est que cela a stoppé (mais pas complètement supprimé) la progression du GVHD. Le truc hallucinant, c'est que le GVHD a monté en puissance sur plusieurs mois, et je m'y étais plus ou moins habitué: j'avais conscience d'avoir mal, mais cela faisait partie de mon quotidien. Les gouttes dans les yeux me brûlaient les paupières pendant une bonne heure après application, et je trouvais ça normal, j'avais l'impression que ma peau se déchirait quand je tournais la tête et je trouvais aussi cela normal...
Et puis en quelques jours ça s'est arrêté. Un soir, j'ai regardé Celia et je lui ai dit: "Punaise, je ne sens plus rien. Mais c'est dingue ce que j'en chiais, en fait, j'avais pas réalisé!". Comme quoi on s'habitue à tout.
Aujourd'hui, c'est mon jour de dose faible (8mg). Du coup je suis complètement à plat, j'ai envie de dormir tout le temps. Demain, dose normale (65mg), je serais à nouveau à bloc et aussi productif qu'un hamster sous amphétamines dans une roue. Ah, que de fun!
Je vous avoue franchement que ce qui me stresse le plus dans tout cela c'est que les assurances commencent à se demander quand je vais retourner travailler, et clairement je ne suis pas en état... Sauf que ce n'est pas forcément évident au premier abord, surtout quand on me voit à un moment ou je suis stimulé par les stéroïdes... Moi, dans un bureau, en ce moment? Soit je dormirais, soit je rentrerais dans le lard de tout le monde à la moindre contrariété. Pas possible. Bref, je croise les doigts.
Dernier emmerdement de cette saloperie de médicament: c'est bien sur un immunosuppressant, et j'en ai pour au moins jusqu'à décembre... Ce qui va peut-être remettre en question notre visite à Noël, parce que me taper les réveillons en pleine période de gastro avec un système immunitaire qui tient plus de l'armée suisse que des Navy Seals, très peu pour moi. Faut être adaptable dans la tête, je vous jure.