Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

samedi 13 octobre 2012

La maladie du greffon contre l'hôte

Je me suis rendu compte en discutant hier avec mon ostéopathe qu'elle ne comprenait pas forcément très bien en quoi consistait la maladie du greffon contre l'hôte. Comme elle a quand même un background relativement médical, je me suis dis que ça ne devait par conséquent pas être évident pour tout le monde. Il faut dire que c'est un peu technique quand on a pas le plaisir de baigner dans ce milieu. Pourtant, c'est important pour comprendre ce qui se passe post transplantation.

Le plus simple pour bien comprendre ce qu'il se passe, c'est à mon avis de d'abord parler de greffe d'organe "solide" (une greffe de rein par exemple), étant donné que vous connaissez tous le principe. Lorsque l'on greffe un organe à quelqu'un, il y a un rejet de l'organe greffé par le système immunitaire de l'hôte (du récipiendaire de la greffe, quoi).

Je ne sais pas si au jour le jour vous vous rendez compte de la puissance de votre système immunitaire. Vous vous êtes peut-être déjà demandé ce qu'il était en train de trafiquer pendant que vous agonisiez dans votre lit avec une grippe carabinée, ça m'est arrivé aussi, mais la vérité c'est que si l'on vous colle un organe pris au hasard (et donc absolument pas compatible) dans le buffet, l'organe en question va être détruit en quelques minutes et la réponse immunitaire va probablement être tellement massive que vous risquez d'y passer aussi (ne serait-ce que de part le choc toxique induit par la mort massive de tant de cellules).

Et même quand un organe provient d'un donneur compatible (l'idéal est d'avoir un jumeau, mais ça prend du temps à faire pousser dans une boite de pétri), votre système immunitaire va détecter que la surface des cellules de cet organe n'a pas exactement la même combinaison de protéines que lui, et donc il va parfois s'exciter un peu.  Un peu comme des supporters de l'OM et du PSG qui ne diffèrent que de part leur accent et la couleur de leur maillot, qui vont aller se foutre sur la gueule plutôt que de poursuivre leur but commun qui est de regarder le match (respectivement, dans notre corps, se maintenir mutuellement en vie).

Cette agression va être continue mais bénigne la plupart du temps (comme les injures échangées par tribunes interposées), mais il peut y avoir des poussées de violences, soit déclenchée par une irritation de l'organe pour une raison x ou y, soit par une irritation du système immunitaire. C'est pour cela que tous les transplantés d'organes solides doivent rester en permanence sous immunosuppresseurs.

Maintenant, tenez vous bien: lors d'une transplantation de moelle osseuse, c'est exactement l'inverse, mais le résultat est quasiment identique.

Quand on transplante la moelle osseuse de quelqu'un, on transplante essentiellement son système immunitaire dans quelqu'un d'autre: l'hôte, moi (par exemple). Plus exactement, on transplante l'usine (la moelle) qui va permettre de (re)-créer ce système immunitaire dans le corps de quelqu'un d'autre.

Évidement, on ne fait pas ça n'importe comment. Enfin, plus, parce ce qu'au début, les gars ils ne connaissaient pas tout ce que je vous raconte là, et du coup il y a eu pas mal de casse malheureusement (et on ne peut que saluer le courage des patients qui participaient à ces études).

Si par exemple on me greffait le système immunitaire de mon voisin de palier, il y a de bonnes chances (environ 3 millions de chances contre une pour être exact) qu'en ouvrant les yeux dans mon corps, les petites cellules blanches aient une grosse crise de panique en voyant que c'est pas du tout, mais alors pas du tout comme chez elles (traduction en terme de biologie, la surface des cellules de l'hôte n'ont pas du tout les mêmes marqueurs que celles du donneur, c'est même pas qu'ils ont pas les même maillots c'est qu'ils jouent carrément pas au foot ces cons!) et que les dites cellules blanches décident de tirer dans le tas et de poser des questions après, avec la conséquence inadéquate que vous imaginez.

 En pratique on essaie donc de greffer le système immunitaire de quelqu'un de compatible. C'est d'ailleurs pour ça qu'il faut énormément de donneurs, non pas que l'on ai besoin de 300 millions de dons; on a besoin d'une grosse population vu la faible chance que deux personnes soient compatibles entre elles.

Mais même dans le cas d'une compatibilité parfaite, les cellules du nouveau système immunitaire ne sont pas dupes: elles se doutent bien que ça ressemble à chez elles, que ça sens l'odeur de chez elles... Mais que ce n'est pas exactement comme chez elles. La notion de compatibilité est en effet d'une part évolutive (il y a 10 ans, une compatibilité parfaite c'était 10 protéines concordantes, maintenant c'est une trentaine, on ne les connait pas encore toutes), et d'autre part qualitative: on sait que  - sauf pour des jumeaux - avoir TOUTES les protéines exactement pareilles c'est quasiment impossible statistiquement... Et on fait donc au mieux.

Dans le cas de la greffe de moelle osseuse donc, c'est TOUT le corps de l'hôte qui potentiellement peut devenir la cible du nouveau système immunitaire, et non pas juste un organe. Et donc quand on parle du rejet de greffe chez un transplanté, cela peut aussi bien vouloir dire que le nouveau système immunitaire décide de s'en prendre aux yeux, qu'à la bouche, aux poumons... Tout quoi!

Ça à l'air un peu dramatique comme cela (et quelque part ça l'est) mais en fait il fini par se passer un truc très étrange. Une cohabitation fini par se faire et le nouveau système immunitaire arrête d'agresser son hôte. Pourquoi? En fait, personne n'en sait vraiment rien. Le problème c'est que cette cohabitation peut-être instantanée comme elle peut prendre dix ans (en général c'est de un à trois ans). Dans le cas d'une greffe d'organe, l’agression ne s'arrête jamais, d'où le fait que les organes greffés aient une durée de vie limitée.

L'autre avantage du rejet de l'hôte par le greffon (GVHD, Graft Versus Host Disease), c'est que quelque part, on cherche cet effet où le nouveau système immunitaire s’énerve contre les cellules de l'hôte... Car potentiellement, cela va détruire les éventuelles anciennes cellules immunitaires cancéreuses, qui sont pour le coup à nouveau bien détectées comme une maladie. C'est l’effet du greffon contre la leucémie.

Le désavantage, c'est que c'est une question de dosage et qu'il ne n'agit pas non plus d'en faire trop et de tuer l'hôte, ce qui serait quand même un tantinet contre indiqué. De plus il faut bien se rendre compte qu'avoir du GVHD actif cela veut dire concrètement que l'on est en permanence malade, avec notre propre corps qui s'auto attaque constamment.

Quand on parle du temps que cela prend pour récupérer d'une transplantation (de moelle osseuse), je pense qu'il faut bien distinguer deux choses: le temps que cela prend de récupérer du dommage hallucinant créé par le traitement, dommage qui est presque incompréhensible puisqu'il est interne et invisible mais qui équivaut bien à se prendre un bus dans la figure, entre six mois et un an je dirais, et le temps qu'il faut pour que le GVHD se calme ensuite, entre 6 mois de plus et plusieurs années suivant les gens. D'ailleurs, on récupère beaucoup plus vite d'une transplantation autologue (ou l'on reçoit ses propres cellules), justement parce qu'il n'y a pas de GVHD.

En mai dernier, je commençais à vraiment me sentir mieux, on était en train de diminuer ma dose d'immunosuppresseurs, et je me disais qu'en gros, après l'été, je serais à nouveau sur pied... Et puis le GVHD est arrivé, avec le cortège de symptômes, d'emmerdements, de fatigue... Mais c'est une autre histoire!

N'hésitez pas à me dire si cela n'est toujours pas clair, je ferais un dessin!

9 commentaires:

  1. C'est très clair !
    Et une fois de plus, tu m'épates par ton courage et ton humour, Loïc !
    Bravo :-)

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  2. Comme Charlotte, je trouve moi aussi que tes explications sont très claires, et en plus, j'adore tes analogies avec les supporters de football !
    Cécile (from the sunny south of France)

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  3. C'est très clair Loïc ! Des mots simples pour une situation bien complexe... Tu nous scies. Des bisous avec toute notre tendresse à vous deux.

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  4. Parfaitement clair maintenant ! Des exemples concrets et simples pour expliquer des situations aussi complexes, tu devrais écrire un bouquin style "La Greffe de Moelle Osseuse pour les Nuls" !

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  5. Merci à vous!

    L'humour, meme noir, c'est quand même un peu tout ce qui nous reste hein! :)

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  6. Très clair... au fait, après-demain j'ai un rendez-vous médical, première étape pour l'inscription dans le registre des donneurs de moelle, donc si ça se trouve mon système immunitaire ira refaire le décor chez quelqu'un un jour ou l'autre. Grâce à toi...

    Florence

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  7. ça fout les miquettes quand même...
    Et "on" n'a même encore commencé !

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  8. tes explications sont "limpides", et j'ai ré-appris le GVHD..grâce à toi!
    bon WE

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  9. Merci pour tes explications plus que limpides !!!

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