Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

jeudi 21 juin 2012

Prendre en main son traitement I

Je participe régulièrement à un groupe de support pour transplanté et il y a un concept qui revient régulièrement quand nous accueillons de nouveaux malades qui nous demandent des conseils sur comment gérer leur maladie.

Il faut prendre en main son traitement.

C'est une petite phrase de 7 mots qui recouvre une multitude de concepts que j'aborderai progressivement. Aujourd'hui je voudrais parler particulièrement du rapport avec le personnel soignant et le traitement "médical".

L'arrivée à l'hôpital est très traumatisante. C'est un peu comme ce que l'on ressent lorsque l'on doit déclarer ses impôts dans un pays étranger (ou dans son propre pays!): c'est un monde à part, avec son vocabulaire spécifique, ses codes, une masse d'information terrifiante qu'il faut acquérir très rapidement. Au début, on se sent complètement submergé, et on a envie de se laisser guider par le personnel soignant, d'être pris en charge, que quelqu'un nous chante "Soft Kitty" en nous faisant un thé chaud...

Sauf qu'on est dans le monde réel, pas dans celui des bisounours, si on veut augmenter ses chances de survivre (puisque c'est ce dont il s'agit, il faut être clair), il faut y mettre du sien. 

Le premier pas, c'est d'apprendre le vocabulaire médical spécifique, et autant que possible sur sa maladie. Il est impératif de comprendre au moins dans les grandes lignes ce qui se passe autour de nous pour aux moins  quatre raisons:
  • Il faut pouvoir expliquer ses symptômes, ses douleurs, ses allergies, bref communiquer efficacement avec les médecins pour que rien ne leur échappe
  • Il faut pouvoir communiquer ses préférences et ses besoins spécifiques (certains préfèrent se passer d'anxiolytiques, d'autres ne veulent pas souffrir, c'est votre choix et vous devez le faire connaitre et le faire respecter).
  • Il faut pouvoir détecter (et faire corriger) les erreurs inévitables (et la plupart du temps excusables, ce ne sont pas des machines!) du personnel soignant 
  • Il faut bien comprendre ce qui va se passer pour pouvoir prévoir la suite des évènements, et malheureusement parfois, prendre les dispositions qui s'imposent 
Dans un domaine qui nous est inconnu, nous avons en général tendance à accepter l'autorité du médecin et à ne pas oser manifester notre mécontentement, enfin à par quelques spécimens particulièrement redneck qu'on entend bramer comme des porcelets qu'on égorge à la moindre frustration, c'est à dire toutes les cinq minutes), à respecter l'avis du médecin, à hésiter de poser des questions... Une attitude bien plus ancrée qu'on ne peut le penser: la génération de mes grands-parents à été habituée à suivre le mot du médecin comme si c'était Dieu le père... Mais ce n'est pas dans notre meilleur intérêt, et entrer dans la conversation, intelligemment bien sûr, est important.

Il faut bien comprendre que nous sommes tous différents, nous avons tous nos limites, nos  peurs, des réactions différentes aux médicaments. Nous connaissons tous notre corps mieux que personne (enfin, ça dépend des gens...). Il faut pouvoir communiquer toutes ces choses efficacement à l'équipe soignante, sous peine d'en chier plus que nécessaire. Si un médicament vous donne la nausée, il y en a probablement un autre équivalent qui ne vous conviendra mieux. Si vous avez mal au foie, il y a probablement un truc important à investiguer.

Quelques exemples issu de mon vécu? 

Peu après la transplantation, alors que j'étais retourné à la maison, j'ai commencé à être pris de vomissements et à avoir mal au ventre. Il y avait trois diagnostics possibles: des effets secondaires de la chimio, une crise de GVHD aigüe du système digestif, ou la consommation de certains aliments irritants. J'étais absolument convaincu, depuis les premiers symptômes, que c'était du GVHD. Pourquoi? Difficile de vous dire. J'avais déjà eu mal au ventre à cause de la chimio ou à cause de repas irritants, et la sensation était différente.Là, j'avais une douleur nouvelle, une sensation claire que quelque chose n'allait pas.

Nous avons donc rapporté ces symptômes au médecin. Problème: en général le GVHD du système digestif s'accompagne de diarrhées (désolé, la maladie c'est pas propre), et pour moi, tout allait bien de ce coté là. Autre problème, le jour ou j'ai vu le médecin, j'allais parfaitement bien, pas de douleur, pas de nausée, nada. Il a donc décidé d'attendre. Forcément le lendemain, je vomissais mes tripes, le surlendemain lors de la consultation, j'étais "frais" comme un gardon, et le jour d'après j'étais chargé d'oxycodone jusqu'au yeux tellement j'avais mal au ventre.

De fil en aiguille, Il a fallu deux semaines avant que l'on décide, à mon insistance, de faire une gastroscopie. Rien à signaler visuellement, un estomac impeccable. Le médecin nous informe donc qu'il n'y a pas de signe de GVHD, mais qu'ils vont quand même vérifier la biopsie. Vous vous doutez de la conclusion: au microscope, il était clair qu'il y avait du GVHD au niveau de mon estomac. Banco. 

Remarquez bien que j'aurais parfaitement pu avoir tort... Mais je me connais suffisamment bien pour que quand j'ai ce genre de prémonition (et surtout ce genre de douleurs, on n'est pas dans le fantasme), cela mérite une investigation. Plus récemment, j'ai eu la même expérience avec ma peau: la biopsie de mes plaques rouges n'indiquait pas formellement de GVHD et cela aurait aussi bien pu être un effet secondaire d'un médicament... Et puis on m'a envoyé chez le dentiste, qui a regardé dans ma bouche et qui a été sans équivoque devant les lésions de mes muqueuses: je faisais (et fais encore d'ailleurs) une crise modérée mais bien réelle (et plus flippant, en progression) de GVHD.

J'ai des dizaines d'anecdotes de ce genre, comme une prescription d'anti-douleur qui me rend super nauséeux: il m'a suffit de le faire savoir pour que l'on me donne autre chose de beaucoup plus agréable. Sans parler du diagnostic de la leucémie, où je savais dès le début que quelque chose n'allait pas du tout mais où j'ai minimisé mes symptômes pendant un mois avant d'aller chez le médecin.

J'ai bien sûr des expériences inverses ou j'ai tort (mais on se rappelle moins de celle là ;) ). Mais il est, je pense, important de faire remonter ce que l'on ressent et de s'assurer que le médecin investigue bien le problème. La cause est peut-être complètement différente de ce que vous pensez: si vous avez mal quelque part, ce n'est peut-être pas que vous avez attrapé la mort, c'est peut-être psychologique... Ce qui n'empêche que cela doit être vérifié, et que même si c'est psychologique, il y a surement quelque chose à faire.

(à suivre, "Qu'est ce qu'on peut faire en plus du traitement conventionnel").

3 commentaires:

  1. Bien vu ! C'est encore vrai que pour beaucoup de gens (même instruits) toutes générations confondues, le médecin possède le savoir et donc le pouvoir sur ses patients.
    Avec l'âge, les expériences de la vie ou la maladie on apprend à écouter son corps, et ça beaucoup de médecins, ceux des anciennes générations et les jeunes imbus d'eux-mêmes, ont du mal à le comprendre et à tenir compte de nos ressentis. Pour eux c'est une interférence dans leurs prérogatives. Mais de quoi se mêle-t-on ? Il y aura encore des toubibs pour te dire "le Médecin, c'est moi" et tu n'as pas intérêt à lui expliquer son boulot... une catégorie à fuir de toute urgence, c'est une question de vie ou de mort !
    Mais qui peut nous connaître mieux que nous-mêmes ? Le seul hic quand on survit à une maladie grave, c'est que le moindre bobo prend vite des allures de catastrophe (dans sa tête) Toute médaille à son revers...

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    1. Je ne suis pas complètement d'accord sur la fin de ton message.

      J'etais un peu hypocondriaque avant cette maladie, beacoup moins maintenant. Je suis habitué au pire et donc les trucs sans conséquences ne me font pas vraiment chier.

      Enfin, sauf mes phobies que j'ai acquis pendant la transplant, mais j'en reparlerais;à

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  2. en ayant vecu la mm chose ces dernieres 72h, je suis d'accord avec toi, il faut poser les questions et s'exprimer c'est primordial. Mon mari refusait d'aller aux ER depuis chz le medecin traitant, le medecin traitant a pu faire des pieds et des mains, et on a saute les Urgences grace a lui en etant admis directement dans le service - evitant 6 a 7h d'attente aux ER avec tests non necessaires. J'ai pense a toi Loic seul avec ta femme ds ce pays. j'ai la chance d'avoir ma belle-famille tout pres (1h de route) comme support.

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