Comme prévu, après l'
arrêt des stéroïdes, je me suis effondré de fatigue. Mon corps s'est pris de plein fouet le contre-coup de la chimio et des deux semaines passées à ne dormir que cinq heures par jour. Du jour au lendemain, je me suis mis à faire des nuits de douze heures, en plus de mes siestes de l'après-midi.
Et j'ai commencé à déprimer.
J'ai passé deux semaines dans un état second, un peu comateux, à n'avoir envie de rien, à faire des crises d'angoisse, à gamberger sur la mort et tout ce qui ne s'ensuit pas. Bref, deux semaines à filer un bien mauvais coton.
Paradoxalement, j'allais plutôt bien physiquement, si l'on occulte la fatigue. Et paradoxalement, je crois que c'est ça qui m'a fait lâcher la barre et partir à la dérive. Tout allait bien, plus de douleurs, plus de nausées, plus de problèmes administratifs, bref plus rien de tangible à affronter, du coup la tension s'est relâchée et je me suis effondré.
Le pire c'est que ce n'est pas très spectaculaire, ce genre de dépression. Tu ne te réveilles pas la nuit en pleurant. Tu passes juste tes journées à regarder dans le vide avec une vague angoisse qui te tenaille les tripes que tu calmes à coup de Temesta. Et tu gamberges, tu te demandes comment tu vas faire pour sortir de cet état, car rien ne te fait envie, tout te fait peur.
Alors un week-end, j'ai décidé de prendre les choses en main. De faire un truc fun et excitant, sortant de l'ordinaire. On a immédiatement pensé à un tour d'hydravion. Le problème c'est que j'avais peur de l'hydravion, une certaine peur de l'amérissage notamment, exacerbée par mon état dépressif.
Et puis merde, je me suis dit. On ne vit qu'une fois, et certains moins longtemps que d'autres, alors faut en profiter un peu. Et à la surprise de Celia qui pensait devoir me forcer la main, j'ai réservé un tour d'hydravion au dessus de Seattle.
Comment commencer à vous décrire à quel point c'est magique un tour en hydravion?
Tu montes dans l'habitacle, le capitaine lâche les amarres et pousse l'avion du quai, prend son élan et saute à bord. Il met les gaz et s'engage sur le Lake Union. Nous passons à coté d'un voilier en bois, un kayak nous coupe la route, on vogue tranquillement près d'un yacht où une famille se prélasse.
Soudain le capitaine discerne une piste de décollage et envoie les gaz. En quelques secondes nous sommes en l'air, dans un virage ébouriffant qui nous emmène vers le lac Washington. Quelques minutes plus tard, nous sommes au dessus de Safeco Field et l'on pourrait presque voir le score du match qui est en train de s'y jouer. Je suis tellement occupé à regarder partout que je ne réalise pas que nous sommes en train de passer à coté de la Space Needle.
C'est déjà le moment d'atterrir. L'hydravion fonce vers le lac et on se demande bien où il va pouvoir se poser: c'est un dimanche magnifique et le lac est noir de monde. J'ai beau regarder, je ne vois pas d'espace, mais le capitaine n'a pas l'air inquiet. Au dernier moment, petit virage et l'avion se pose entre les bateaux dans un couloir qui s'est formé momentanément.
Nous descendons de l'avion les jambes un peu tremblantes, il faut bien l'avouer, comme après avoir fait un tour de montagnes russes à la fête foraine.
C'est en arrivant à la maison que je me rend compte que quelque chose a changé dans ma tête. En affrontant une petite peur, j'ai repris le dessus, je ne suis plus angoissé maladivement. Retrouver le moral prendra encore un certain temps, mais le premier pas est fait.
(plus de photos sur facebook, et vous pouvez retrouver des vidéos sur le site des Seattle Seaplanes)