En ce moment, je traverse ce genre de phase où l'on ne sait pas très bien ce qui cause mes symptômes. Je suis traité depuis un an pour du GVHD chronique, et il y avait des signes objectifs indéniables l'année dernière: ulcères sur les gencives, douleurs à l'estomac, diarrhée, éruptions cutanées. Depuis, mes symptômes se sont modifiés de façon substantielle et se sont éloignés du GVHD traditionnel. Je souffre de douleurs chroniques dans toutes les articulations, en particulier les chevilles et les genoux, qui peuvent aller jusqu'à m'empêcher de monter des escalier, et qui pourraient être aussi dues aux GHVD. Sauf que l'on verrait alors typiquement une perte de mobilité et un épaississement de la peau autour des articulations, alors que je reste hyperlaxe. Cela peut aussi être un début de nécrose du aux stéroïdes, mais il parait un peu douteux que cela touche toutes mes articulations à la fois. Enfin, c'est un effet documenté de la chimiothérapie (une TKI, Tyrosine Kinase Inhibitor, équivalente au gleevec) que je prend dans le cadre d'une étude visant à déterminer si celle-ci a un effet diminuant le risque de rechute, qui est particulièrement élevé pour la leucémie qui m'a touché.
Ces symptômes sont atypiques donc, et de toute façon, la cause de mes douleurs est probablement multifactorielle : on sait avec certitude que je fais du GVHD, on sait que les TKI ont des effets secondaires et en particulier des arthralgies, on sait que les stéroïdes aussi, et donc mes douleurs sont probablement issues du télescopage de tous ces facteurs. Ajoutons à tout ceci que mon taux de créatinine est trop élevé et qu'au lieu de baisser, il a augmenté depuis qu'on m'a passé du tacrolimus au sirolimus (dommage, c'était l'un des but, justement, de faire baisser ma créatinine), et que l'on souhaite forcément diminuer la prednisone le plus vite possible pour épargner mes os, qui sont réduit en véritable gruyère par le traitement de choc que l'on m'administre.
Récapitulons, donc. Si c'est du GVHD, alors, il est justifié de détruire mes os avec la prednisone afin de calmer mon système immunitaire, car c'est la seule solution. Dans ce cas, pourquoi est ce que ma fonction rénale est élevée? Est-ce à cause de la TKI? Ou du sirolimus? Si c'est le sirolimus, on peut difficilement changer le régime actuel. En revanche, si c'est la TKI, on peut diminuer ses doses, et augmenter mes doses de sirolimus, ce qui permettrait de baisser les doses de prednisone et ainsi d'épargner mes os.
En revanche, si ces douleurs sont un effet secondaire des TKI alors il n'y a pas de raison de continuer à me gaver de stéroïdes comme on le fait et de me ronger os, muscle et cerveau au rythme ou on le fait : il faut juste baisser les TKI, sachant que justement on ne sait pas si elles ont réellement un effet préventif contre le retour de la maladie. Mais, si justement elles avaient un effet préventif et qu'en les diminuant, voire en les stoppant, la maladie revenait, ce qui me mettrait très gravement en danger? Je préfère de très loin vivre avec mes douleurs chroniques et les limitations qu'elles m'imposent que de mourir d'une leucémie foudroyante et même si la vie n'est pas rose tout les jours, je suis sacrément heureux de vivre depuis la transplantation, ostéoporose ou pas, douleur ou pas.
Et le problème c'est que la réponse à toutes ces questions, n'existe pas. Personne n'en sait rien. Le traitement est trop nouveau, la maladie trop rare, mes symptômes trop atypiques. Et pour tous les autres patients c'est pareil, il y a toujours des variations qui rendent chaque cas unique et qui font qu'il est très difficile voire impossible d'avoir des réponses certaines. On est en permanence dans l'hypothèse, parfois on tombe juste, parfois on se trompe. Et quand on se trompe, les conséquences sont parfois dramatiques.
Pendant que certains couples se disputent en choisissant la couleur du stratifié de leur nouvelle cuisine IKEA, elle veut vert et lui veut rouge, nous discutons de savoir s'il est justifié d'avoir aussi peur du retour de la maladie au bout de deux ans par rapport au risque de cancer secondaire du à un système immunitaire affaibli par les immunosupresseur, en mitigeant l'argumentation par l'effet délétère des corticostéroïdes sur l'humeur et les os. Et ne croyez pas que c'est quelque chose de ponctuel, que de temps en temps on a ce genre de questions à se poser et qu'ensuite cela va, on est paré. La santé d'un patient est en évolution permanente et toutes ces questions se reposent périodiquement de façon plus ou moins différente Suivant les périodes, les réponses ne sont pas forcément les mêmes, ce qui demande beaucoup d'adaptabilité et de plasticité mentale pour ne pas s'enfermer dans des schémas qui ne fonctionnent plus et pour accepter des changements importants dans des traitements que l'on subit depuis longtemps et qui ont un aspect "rassurant" par leur coté routinier.
J'avoue qu'en ce moment je suis fatigué, usé, par ces retournements de situation perpétuels. J'aurais plus de facilité à les absorber si je n'étais pas crevé par mes symptômes, d'ailleurs. C'est un peu un cercle vicieux, malheureusement la maladie nous demande énormément de faculté d'adaptation mais nous prive d'une ressource très importante: l'énergie nécessaire pour se fondre dans le changement de façon détendue. Car cela demande de l'énergie que de s'adapter continuellement.
Cette plasticité, ce lâcher prise et l'énergie que cela demande, on en reparlera, promis. Je ne voudrais pas que vous croyez que je suis stressé, par exemple, alors que c'est complètement le contraire, et que je "lâche" énormément de choses. Je suis juste tellement fatigué par moments, vous ne pouvez pas savoir.