Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

jeudi 27 juin 2013

Dilemmes cornéliens

L'une des choses les plus épuisantes et dont on parle assez peu, il me semble, quand on parle de cancer, c'est que tout au long du traitement de ce genre de maladie on est confronté à des dilemmes cornéliens. Le plus simple pour vous donner une idée de ce que je veux dire, c'est comme d'habitude d'illustrer en utilisant mon vécu, alors c'est parti :

 En ce moment, je traverse ce genre de phase où l'on ne sait pas très bien ce qui cause mes symptômes. Je suis traité depuis un an pour du GVHD chronique, et il y avait des signes objectifs indéniables l'année dernière: ulcères sur les gencives, douleurs à l'estomac, diarrhée, éruptions cutanées. Depuis, mes symptômes se sont modifiés de façon substantielle et se sont éloignés du GVHD traditionnel. Je souffre de douleurs chroniques dans toutes les articulations, en particulier les chevilles et les genoux, qui peuvent aller jusqu'à m'empêcher de monter des escalier, et qui pourraient être aussi dues aux GHVD. Sauf que l'on verrait alors typiquement une perte de mobilité et un épaississement de la peau autour des articulations, alors que je reste hyperlaxe. Cela peut aussi être un début de nécrose du aux stéroïdes, mais il parait un peu douteux que cela touche toutes mes articulations à la fois. Enfin, c'est un effet documenté de la chimiothérapie (une TKI, Tyrosine Kinase Inhibitor, équivalente au gleevec) que je prend dans le cadre d'une étude visant à déterminer si celle-ci a un effet diminuant le risque de rechute, qui est particulièrement élevé pour la leucémie qui m'a touché.

Ces symptômes sont atypiques donc, et de toute façon, la cause de mes douleurs est probablement multifactorielle : on sait avec certitude que je fais du GVHD, on sait que les TKI ont des effets secondaires et en particulier des arthralgies, on sait que les stéroïdes aussi, et donc mes douleurs sont probablement issues du télescopage de tous ces facteurs. Ajoutons à tout ceci que mon taux de créatinine est trop élevé et qu'au lieu de baisser, il a augmenté depuis qu'on m'a passé du tacrolimus au sirolimus (dommage, c'était l'un des but, justement, de faire baisser ma créatinine), et que l'on souhaite forcément diminuer la prednisone le plus vite possible pour épargner mes os, qui sont réduit en véritable gruyère par le traitement de choc que l'on m'administre.

Récapitulons, donc. Si c'est du GVHD, alors, il est justifié de détruire mes os avec la prednisone afin de calmer mon système immunitaire, car c'est la seule solution. Dans ce cas, pourquoi est ce que ma fonction rénale est élevée? Est-ce à cause de la TKI? Ou du sirolimus? Si c'est le sirolimus, on peut difficilement changer le régime actuel. En revanche, si c'est la TKI, on peut diminuer ses doses, et augmenter mes doses de sirolimus, ce qui permettrait de baisser les doses de prednisone et ainsi d'épargner mes os.

En revanche, si ces douleurs sont un effet secondaire des TKI alors il n'y a pas de raison de continuer à me gaver de stéroïdes comme on le fait et de me ronger os, muscle et cerveau au rythme ou on le fait : il faut juste baisser les TKI, sachant que justement on ne sait pas si elles ont réellement un effet préventif contre le retour de la maladie. Mais, si justement elles avaient un effet préventif et qu'en les diminuant, voire en les stoppant, la maladie revenait, ce qui me mettrait très gravement en danger? Je préfère de très loin vivre avec mes douleurs chroniques et les limitations qu'elles m'imposent que de mourir d'une leucémie foudroyante et même si la vie n'est pas rose tout les jours, je suis sacrément heureux de vivre depuis la transplantation, ostéoporose ou pas, douleur ou pas.

Et le problème c'est que la réponse à toutes ces questions, n'existe pas. Personne n'en sait rien. Le traitement est trop nouveau, la maladie trop rare, mes symptômes trop atypiques. Et pour tous les autres patients c'est pareil, il y a toujours des variations qui rendent chaque cas unique et qui font qu'il est très difficile voire impossible d'avoir des réponses certaines. On est en permanence dans l'hypothèse, parfois on tombe juste, parfois on se trompe. Et quand on se trompe, les conséquences sont parfois dramatiques.

Pendant que certains couples se disputent en choisissant la couleur du stratifié de leur nouvelle cuisine IKEA, elle veut vert et lui veut rouge, nous discutons de savoir s'il est justifié d'avoir aussi peur du retour de la maladie au bout de deux ans par rapport au risque de cancer secondaire du à un système immunitaire affaibli par les immunosupresseur, en mitigeant l'argumentation par l'effet délétère des corticostéroïdes sur l'humeur et les os. Et ne croyez pas que c'est quelque chose de ponctuel, que de temps en temps on a ce genre de questions à se poser et qu'ensuite cela va, on est paré. La santé d'un patient est en évolution permanente et toutes ces questions se reposent périodiquement de façon plus ou moins différente Suivant les périodes, les réponses ne sont pas forcément les mêmes, ce qui demande beaucoup d'adaptabilité et de plasticité mentale pour ne pas s'enfermer dans des schémas qui ne fonctionnent plus et pour accepter des changements importants dans des traitements que l'on subit depuis longtemps et qui ont un aspect "rassurant" par leur coté routinier.

J'avoue qu'en ce moment je suis fatigué, usé, par ces retournements de situation perpétuels. J'aurais plus de facilité à les absorber si je n'étais pas crevé par mes symptômes, d'ailleurs. C'est un peu un cercle vicieux, malheureusement la maladie nous demande énormément de faculté d'adaptation mais nous prive d'une ressource très importante: l'énergie nécessaire pour se fondre dans le changement de façon détendue. Car cela demande de l'énergie que de s'adapter continuellement.

Cette plasticité, ce lâcher prise et l'énergie que cela demande, on en reparlera, promis. Je ne voudrais pas que vous croyez que je suis stressé, par exemple, alors que c'est complètement le contraire, et que je "lâche" énormément de choses. Je suis juste tellement fatigué par moments, vous ne pouvez pas savoir.

lundi 24 juin 2013

Alarme à incendie

La nuit dernière, nous avons eu la désagréable surprise d'être réveillé à 2h du matin par une sonnerie stridente. Comme l'exige la loi (et comme tout le monde devrait avoir, loi ou pas) nous avons un détecteur de fumée dans notre chambre, et comme il est déjà arrivé qu'il tombe en rade et qu'il nous réveille en pleine nuit, je me suis levé en sursaut, j'ai grimpé sur une chaise, et j'ai arraché la pile... Pour constater perplexe que cela continuait de sonner.

Je vous jure, il y a un moment de latence quand même quand on est tiré du sommeil en plein milieu de la nuit, pour se rendre compte que ce coup-ci c'est du sérieux. On a un espèce de moment de résistance, quand on sent que l'on est potentiellement dans l'un de ces instants où notre réalité peut basculer complètement. Alors comme le sujet de la préparation personnelle m'intéresse (cf cet article que j'avais écrit pour le blog de VolWest), je vais analyser nos réactions et les enseignements que j'en retire avant de vous raconter ce qui s'est passé exactement (pédagogie!).

Ma première réaction a donc été de sortir Celia du lit, en m'assurant qu'elle ai bien compris que c'était sérieux et en lui demandant de s'habiller. J'ai sauté dans mes fringues, j'ai attrapé mon téléphone, et je suis monté sur le toit (nous sommes au dernier étage), avec dans l'idée de déterminer la gravité de l'incident et sa localisation éventuelle. Ne voyant rien, je suis redescendu aussi sec et j'ai demandé à Celia de mettre dans un sac à dos nos passeports et documents d'immigrations ainsi que notre réserve de cash. Pendant ce temps, j'ai attrapé les sacs de transports pour les chats... Avant de me rendre compte qu'elles s'étaient toutes les deux terrées sous le canapé, et que nous n'arriverions jamais à les faire sortir de leur cachette, et encore moins à les faire rentrer dans un sac. J'ai laissé tombé, j'ai attrapé ma sacoche, et nous sommes sorti en nous précipitant dans l'escalier. J'ai laissé Celia partir devant, et je me suis arrêté à chaque étage pour voir si je pouvais voir quelque chose, dans l'idée d'éventuellement pouvoir donner des infos aux pompiers. Arrivé en bas, ceux-ci étaient déjà sur place (il faut dire que l'on habite en face de la caserne, il faut bien que cela serve de temps et temps) et il s'est rapidement avéré que c'était une fausse alerte (je vous explique en détail après).

Je suis plutôt mécontent de notre "performance" sur cette évacuation. De la planification théorique au drill en grandeur réelle, par surprise, réveillé en pleine nuit, avec les sirènes qui vous vrillent les oreilles et le cerveau, il y a un fossé considérable, et quand les "survivalistes" insistent sur la nécessité d'un entrainement préalable et d'avoir des kits tout prêts, on comprend tout de suite pourquoi après une nuit pareille. Si cela avait été un tremblement de terre par exemple, je me serais retrouvé à la rue avec juste une dose de mes médicaments, une situation vraiment pas optimale si les hôpitaux sont saturés: sans prednisone pendant plus de deux jours, je suis super mal. J'ai perdu du temps à monter sur le toit et à chercher un sac pour les chats, pour rien. J'ai un extincteur dans l'appartement, que je n'ai pas réussi à atteindre car j'ai coincé la porte du placard dans la précipitation du moment. Celia est sortie en chemisier, alors bon, on crève de chaud en ce moment, mais si l'on pense tremblement de terre, si tu as juste ton chemisier, tu es mal. Nous avons aussi mis du temps à rassembler les papiers importants, qui sont pourtant centralisés, mais en vrac, dans un coffre à l'épreuve du feu, l'idée étant que s'il y a un incendie en notre absence, on espère que cela leur donne une chance de survie en attendant l'arrivé des pompier. Aucun des trucs que j'avais prévu pour être à porté de main en cas d'urgence (lampe torche, notamment), n'était à sa place.

 Pour moi cet incident illustre de façon très claire la nécessité absolue d'avoir un plan, que l'on a répété à l'avance, et d'avoir le matériel correct à sa place.

Volwest a fait une longue série sur le sac d'évacuation et c'est toujours quelque chose que j'ai remis à plus tard. L'idée, c'est un sac tout près, avec tout ce qu'il faut pour survivre pendant 3j en autonomie totale. Kit de premier soin, vêtements, documents administratifs, nourriture, eau, dans mon cas, médicaments... Le but est de ne pas se poser de question: en cas d'incendie ou de tremblement de terre, on attrape le sac, et on dégage sans se poser de question en sachant que l'on a tout ce qu'il faut. Franchement, je vais nous en confectionner deux, parce que là, on était vraiment à la ramasse. Pas forcément besoin de se prendre la tête dans un premier temps: un sac poubelle, quelques barres protéinées, une bouteille d'eau, un kit de soin, une lampe, un couteau, une polaire et des chaussettes et on est déjà bien. Il faut en particulier que je prévoie une semaine de médicaments dans le kit, pour ne pas avoir ce souci, ainsi qu'une clef usb avec tous nos documents administratif (le pire, c'est que l'on a cette clé, elle est juste dans un tiroir). Nous allons aussi rassembler tous nos papiers d'immigration dans une enveloppe, pour ne pas avoir à chercher: on attrape l'enveloppe, on la fourre dans le sac, et c'est parti.

Parmi les considérations inattendues, la sirène d'alarme s'est avérée être un véritable problème: elle est tellement sonore  que cela empêche littéralement de penser, cela a un effet débilitant majeur. Nous avons tout les deux pensé à nous munir de bouchons d'oreilles, à mettre à coté des lampes torches d'urgence. Si on est entrainé, pas besoin de communiquer, et on sera plus efficace si l'on arrive à penser.

Pour les chats, je ne sais pas quoi faire. Je vais acheter un autocollant à mettre sur la porte, qui prévient les pompiers qu'il y a des animaux à l'intérieur. Je pense aussi que j'ouvrirais une fenêtre en enlevant la moustiquaire (c'est instantané): si jamais ça crame vraiment, je préfère qu'elles tentent leur chance par la fenêtre que de bruler vives, après tout, on a déjà vu des chats survivre à des chutes de 6 étages.

J'ai normalement des lampes torches dans l'entrée et près de mon lit, mais la routine aidant, elles n'étaient pas à leur place: nous n'en avons pas eu besoin mais cela aurait pu. Dorénavant, elles seront à leur emplacement précis, que l'on ne perde pas de temps à les chercher. De même, je vais sortir l'extincteur et le placer dans l'entrée, cela sera moins esthétique, mais au moins en cas d'urgence on ne risque pas de le manquer.  Niveau logistique, j'ai aussi réalisé que mon téléphone était quasiment déchargé. En temps normal, je le recharge quand j'ai besoin, à partir de maintenant je le brancherais tous les soirs pour être sur qu'il soit toujours à bloc.

Dernière chose à réfléchir: et si, en ouvrant la porte de notre appartement, nous nous étions retrouvé face à un brasier? Fred Perrin, que les connaisseurs reconnaitront, m'avait un jour parlé d'avoir chez soi corde et baudrier d'escalade. On peut en cas d'urgence amarrer une corde à une table et descendre en moins de 10 secondes en rappel par une fenêtre. L'investissement est minime, il faut un peu d'entrainement, le seul problème étant qu'évidement on ne peut pas tester en conditions réelles. Franchement, cela peut sembler farfelu, mais il vaut mieux ça, ou mourir connement cramé? A méditer.

Bon et donc qu'est ce qui s'est vraiment passé?

Et bien figurez-vous que c'était une fausse alerte: une chinoise, parlant très mal anglais, ne trouvais pas comment ouvrir la porte d'entrée de l'immeuble pour laisser rentrer une de ses amies (il suffit d'appuyer sur la poignée, et cela s'ouvre tout seul... mais bon vous allez voir, apparemment son cerveau a été livré poste restante). Donc, au bout d'un moment plutôt que de se poser et de réfléchir, elle a eu l'idée lumineuse de tirer sur l'alarme incendie en se disant que cela allait ouvrir la porte... Sans percuter que cela allait aussi faire sonner toutes les sirènes de l'immeuble, appeler automatiquement la caserne des pompiers et une dizaine de personnes gérant l'immeuble, et bien sur réveiller deux cent personnes.

Le truc marrant, c'est que dans l'immeuble d'en face, qui appartient au même manager, ils ont eu récemment des problèmes avec des clochards tirants les alarmes pour s'amuser... L'homme à tout faire de la résidence (que je connais bien à force et qui est pratiquement un ami), rusé, a commencé à en avoir marre, et il a piégé toutes les alarmes en mettant des cartouches d'encre indélébile, qui vous aspergent quand vous tirez l'alarme. Apparemment, il est arrivé sur les lieux et à trouvé la nana, les mains couvertes d'encre, en pleine crise de panique, complètement terrorisée... J'aurais bien aimé voir ça, franchement, autant je comprend que cela ne soit pas facile dans un pays étranger quand on parle mal la langue, autant les alarmes incendie c'est plus ou moins universel. Comme la bêtise.

En tout cas, c'était une excellente, quoique exténuante, piqure de rappel, et même si c'était heureusement une fausse alerte, cela nous a bien remis les idées en place sur la nécessité de se préparer à ce genre d'incident à l'avance. Cela n'arrive pas qu'aux autres, et personnellement je crains particulièrement les incendies, en 2008, j'habitais au premier d'un immeuble de 10 étage, et un soir je suis rentré pour découvrir que le 8ème avait cramé... Un court-circuit dans un sêche-cheveux, et plusieurs familles ont tout perdu (sauf le plus important!). Cela fait réfléchir.

(Edit: il y a un commentaire qui trouve que je suis dur avec la chinoise et qui trouve que je fais preuve d'une intolérance "typiquement française". Je vous invite à lire ma réponse. Oui, je suis mal luné ce matin).

mardi 18 juin 2013

La rétention d'eau et ce que l'on peut faire pour la combattre

La rétention d'eau, c'est avec la modification du comportement, et l'ostéoporose, et l'immunosuppression, l'un des effet secondaires les plus pénibles des corticostéroïdes. Euh, attendez, en me relisant, je viens de vous faire toute la liste des effets secondaires... Bon soyons clair en gros les corticostéroïdes, c'est une liste d'effets secondaires longue comme le bras, tous plus pénibles les uns que les autres, mais avec un avantage majeur: cela vous empêche de crever, donc bon, mieux vaut les prendre.

La rétention d'eau donc, c'est en fait l'un des effets secondaires les plus bénins de ces médicaments (l'ostéoporose et le risque de nécrose avasculaire des articulations par exemple, c'est nettement plus grave, particulièrement chez les enfants car cela peut les affecter à vie, en altérant leur croissance notamment), par contre c'est celui qui m'impacte le plus au jour le jour en terme de qualité de vie car c'est douloureux en quasi-permanence.

D'ailleurs, lors de ma première chimio, où l'on m'a donné des doses massives de dexomethasone (un corticostéroïde surpuissant, le médicament le plus horrible que j'ai jamais eu à prendre qui me rendait littéralement suicidaire), lors des premiers jours je n'arrivais pas à dormir tellement j'avais mal aux jambes...  Et quand j'arrivais à dormir je faisais des cauchemars absolument horribles. Je ne savais pas pourquoi, et je croyais que c'était une conséquence normale et inévitable de la chimio, jusqu'à ce que je découvre que je pouvais demander à l'infirmière des médicaments pour gérer la douleur. D'ailleurs, on en reparlera peut-être mais pour moi c'est très important de bien gérer la douleur, car dans des moments pareil on a besoin de toute son énergie, physique et mentale, pour ne pas avoir à la gâcher parce qu'on a mal aux gambettes à cause d'une bête rétention d'eau. N'hésitez pas à vous informer auprès des infirmières et des médecins de ce que sont vos options, et d'insister! Mais revenons à nos moutons. Donc, j'avais les pieds qui avaient tellement enflé qu'en sortant de l’hôpital je ne pouvais même pas rentrer dans mes chaussures, a tel point que l'on m'a acheté des sabots spécial chimio en pointure 46 (je fais du 42 normalement).

Au quotidien maintenant, c'est loin d'être aussi grave, la dose de stéroïdes que je prend étant nettement moins importante que lors de ces cycles de chimios. Par contre, c'est tous les jours depuis une année, et une année c'est un peu long, quand on y pense. En gros, imaginez l'inconfort que vous pouvez ressentir quand vous passez 10-15h assis en avion, et bien moi c'est ça de base en me levant le matin, et ça empire graduellement en cours de journée. Ce n'est pas une douleur qui est extrême, mais c'est une douleur usante de par sa constance.

Alors qu'est ce qu'on peut faire? Et bien pleins de trucs!

La première chose, celle qui marche le mieux, c'est une séance de massage par un professionnel. Étant donné le prix, c'est aussi l'un des trucs qu'il est impossible de faire tous les jours, moi j'en fais un par mois pour remettre les compteurs à 0, c'est vraiment très efficace, je dis souvent au masseur que j'ai l'impression qu'il "m'enlève des couches de douleur" à chaque mouvement.

Ensuite, il faut faire extrêmement attention à l'alimentation et manger le moins salé possible. C'est moins pénible qu'il n'y parait, car c'est un peu comme un thermostat. Au début tout parait fade, puis on se réhabitue à une alimentation salée normalement et cela s'inverse: dès que l'on mange un truc industriel, on trouve cela immangeable tellement c'est salé. Il y a vraiment un curseur à repositionner vers un niveau plus bas, plus normal. Personnellement je sens une différence considérable entre les jours ou je fais attention et les jours ou je m'autorise des excès (comme de m'enfiler un paquet de nachos), je le sens très clairement dans mes arpions les jours suivants. Comprenez: je douille à mort. C'est pour moi le paramètre le plus important sur lequel vous pouvez influer.

Dans la série des choses purement physiques, il parait que de dormir avec les pieds surélevé aide beaucoup. Moi, j'ai du mal, ça m'empêche de dormir d'avoir les pieds en l'air, je n'aime pas du tout, du coup je n'ai jamais trop testé mais apparemment c'est un truc bien connu des femmes enceintes. Dans le même genre, les tables d'inversion, ça a l'air assez fun, et en plus assez bon pour le dos et la colonne vertébrale, mais nous n'avons pas la place dans notre appartement. 

A tout seigneur tout honneur, l'un des trucs qui marche le mieux pour moi c'est les bas de contention. Enfin, pour faire un peu moins femme enceinte, on va appeler ça des "chaussettes de contention" si vous voulez bien, j'aurais moins l'air d'une mamie. J'ai la chance énorme d'avoir une amie, Charlotte de son petit nom, que je remercie encore au passage, punaise tu peux pas savoir ce que ça me change la vie,  qui bosse pour Sigvaris et qui m'a envoyé des chaussettes de contention médicalisées faites à mes mesures. Et autant vous dire que cela n'a absolument rien à voir avec les prétendues chaussettes de contention que l'on trouve dans les aéroports, c'est un autre monde, c'est ce qu'est une Ferrari face à une Clio. A l'heure actuelle je ne peux plus vivre sans ces chaussettes, et je les mets tous les jours sans exception, du lever au coucher. J'en redemande même à Charlotte parce que je les porte tellement que je les troue aux talons! Pour vous donner une idée, quand je ne les met pas et que je met des chaussettes normales, voilà ce qui se passe. Je n'ai pas de photo avec, puisque avec, j'ai les jambes "presque" normales.



En France, ces chaussettes médicalisées peuvent êtres prescrites par un médecin et sont remboursables à 60% voir à 100% suivant les pathologies, c'est vraiment une piste à explorer si vous avez des problèmes de rétention d'eau dans les jambes. Dans mon cas, cela m'a vraiment changé la vie.

Voilà, si vous avez d'autres trucs à partager, n'hésitez pas!

dimanche 9 juin 2013

Une soirée avec Ursula K. Le Guin II

(ce post est la suite de Une soirée avec Ursula K. Le Guin).

Après la présentation de la genèse du livre de Gheorghe Săsărman Squaring the Circle, nous avons eu le droit à la lecture de plusieurs nouvelles par Le Guin en anglais, et par Rodríguez en espagnol, ce qui nous a permis de comparer un peu les versions du texte (en tout cas à moi, qui comprend les deux langues), puis nous avons pu poser des questions. Alors je vous avoue que je suis complètement égoïste dans ce genre d'évènement, quand on me file la parole, je ne la lâche pas, estimant que mes questions sont en général plus intelligentes que la moyenne. Et, comme on est toujours le con d'un autre, je démontre: pour vous donner une idée, on a pu poser 5 questions. J'en ai posé deux sur les 5, et une des questions posée par quelqu'un d'autre était: "Est-ce que vous avez pensé à vendre les droits d'adaptation à une chaine de TV"... Ursula K. Le Guin a soupiré avec une exaspération visible, en répondant: "Ce sont des descriptions de villes... J'ai du mal à voir comment l'on peut en faire une série TV!". Bref, quand j'entends des questions comme ça, cela me fait disparaitre mes scrupules, on me donne la parole, je la garde, et puis c'est tout. Une série TV. Non mais allo, quoi.

D'ailleurs, je vais commencer par la question la plus intéressante, car j'ai vraiment envie que vous lisiez la réponse de Le Guin. L'une des choses les plus immédiatement frappantes quand on regarde la couverture de "Squaring the Circle", c'est qu'il s'agit d'une sélection des textes originaux. La question brûle les lèvres: pourquoi est-ce une sélection, combien de textes manque-il et pourquoi?

La première raison de la traductrice est purement esthétique, si l'on veut. Sur la trentaine de nouvelles d'origine, elle n'a traduit que ses préférées, et certaines n'ont pas été sélectionnées simplement parce qu'elle ne lui plaisaient pas assez. C'est une démarche que je peux comprendre: je traduis moi-même sur mon temps libre des textes pour des amis, et c'est vraiment un travail ingrat! Il y a plutôt intérêt à aimer le texte d'origine, sinon c'est vraiment très pénible. Pour autant, je suis partagé sur la question: je trouve que lorsque l'on s'intéresse à un auteur et que l'on trouve que son œuvre a une valeur et une signification, on a un certain devoir de la transmettre de la façon la plus pure possible... Surtout dans le cas d'un livre qui a été censuré au cours de son histoire. Les deux opinions se défendent, donc. Est-ce qu'il vaut mieux qu'il soit diffusé largement en anglais, même coupé, ou qu'il reste dans l'oubli? Je pense que pour Săsărman, la réponse est très claire, et qu'il est super content d'être traduit même si ce n'est qu'une sélection, mais en temps que lecteur, j’éprouve une frustration certaine à ne pas avoir une vision globale de son œuvre.

L'autre raison est complètement différente: Ursula K. Le Guin n'a pas traduit certains textes car ils présentaient une vision de la femme qui la choquaient profondément. Il faut savoir qu'elle est quand même connue pour des thèmes ayant trait aux genres et au féminisme, et je ne suis globalement pas surpris qu'elle ai des vues radicalement différentes de celles d'un auteur roumain de 1975. Mais je ne sais pas vous, mais moi, ce qui me vient immédiatement à l'esprit, c'est que c'est une forme de censure: ce texte ne correspond pas à ma vision du monde, je ne le publie pas. Et je suis très étonné que Le Guin, qui nous racontait quelques minutes avant avec émotion comment elle avait sauvé de la "censure communiste" (je caricature un peu, mais à peine) ce livre, ne réalise pas qu'elle reproduit exactement le même schéma.

Le plus impressionnant dans tout cela c'est que l'audience, probablement à 95% constituée d'américains et environ comptant environ 200 personnes, a accepté cette réponse sans sourciller... Alors qu'avec un ami (turc), nous nous sommes regardés, effarés. Je conçois tout à fait que les roumains (et roumaines) aient des rapport hommes-femme qui soient probablement assez différents de ceux des français et donc probablement encore plus des américains: les cultures slaves sont très différentes des cultures latines et encore plus des cultures anglo-saxonnes... Par contre, ce n'est pas parce que nous ne fonctionnons pas de la même manière que c'est mieux: c'est juste différent, et d'ailleurs en temps qu'expat, c'est quelque chose que nous constatons souvent.  C'est une erreur très communément faite (par moi y compris, mais j'en suis conscient) de croire que certaines cultures ou idées sont supérieures à d'autres (bon, il y a aussi des vraies idées de merde, mais c'est un autre débat). C'est quelque chose qui est très présent chez les américains que de penser que leur modèle de démocratie est le meilleur du monde et qu'il illumine la planète de sa lumière bienfaisante (je n'exagère pas, c'est presque mot pour mot la fin d'un discours de Mitt Romney lors de l'élection) et que tous les peuples seraient plus heureux en l' "adoptant" (tiens, adopte ma démocratie à grand coup de fusil d'assaut dans ta tronche -mais je m'égare-). Il suffit pourtant de regarder 5 minute de tv réalité et de suivre le dernier scandale d'espionnage massif du peuple américain (et du reste du monde) par son gouvernement pour se rendre compte qu'il y a probablement d'autres façons de vivre qui ont autant de valeur, sinon plus, et qu'il y a plein de cultures qui aimeraient bien qu'on leur foute un peu la paix et qui sont tout à fait heureuses dans leur coin. Je digresse très légèrement, cela n'a que peu a voir avec Ursula K. Le Guin.

En fait, cette réaction d'Ursula Le Guin montre quelque part la puissance du conditionnement culturel auquel nous sommes soumis, de croire que notre système occidental est le meilleur. Je vous avoue que je ne lui ai pas fait remarquer la contradiction. J'ai failli: quand je suis parti, c'est parfois difficile de m'arrêter, au cas ou vous n'auriez pas remarqué dans le paragraphe précédent... Mais j'ai pensé aux quatre bouquins que j'avais à faire dédicacer, et je me suis dit que je n'allais pas prendre le risque de la fâcher. Un peu égoïste sur le coup, je l'avoue, mais que voulez-vous, pour moi ce genre d'évènement c'est une fois dans ma vie, donc je n'allais pas le gâcher en criant à la malhonnêteté intellectuelle. Même si ce faisant je me rend moi-même coupable de malhonnêteté intellectuelle. Tant pis. D'ailleurs, laissons lui quand même le bénéfice du doute: peut-être que ces textes sont vraiment très dégradants pour les femmes et qu'elle a raison de ne pas les traduire, mais comme justement, ils ne sont pas traduit, et ben je ne peux pas vérifier (ce qui est justement le principe de la censure, notez bien: "croyez-moi sur parole, les idées de ce livre sont nocives"... hum), donc en fait, non. (D'ailleurs, EDIT: Mariano a laissé un commentaire éclairant ce point, voir plus bas).

Deuxième question, toujours liée à la traduction: je sais d'expérience qu'il est difficile, voir parfois impossible de traduire certains concepts d'une langue à l'autre, et je me demandais donc comment s'est passé la traduction d'une traduction, surtout que du roumain à l'espagnol on reste dans des langues latines, mais à l'anglais, on change de famille (anglo-saxon)... Et c'était une difficulté dont ils avaient en effet bien conscience. Au départ, ils voulaient trouver un traducteur roumain-anglais, mais ils n'en ont pas trouvé aux US (quand je vous disait que ce n'était pas évident), donc ils ont travaillé à 3: Le Guin traduisait de l'espagnol vers l'anglais, puis Rodríguez vérifiait la traduction par rapport à la version espagnole ET la version roumaine, et Săsărman faisait aussi une passe d'édition en comparant la version anglaise à la version roumaine. Contre-intuitivement donc, cette version qui devrait être doublement dégradée est de l'avis même des traducteur probablement supérieure à la version espagnole, étant donné l'implication de l'auteur.

Finalement, une question que j'ai posé en privé à Le Guin, pendant la séance de dédicace. Elle a traduit le Dao De Jing, et comme le sujet m'intéresse 'un peu', je me demandais les raisons de cette traduction et comment elle s'y était prise, notamment si elle était versée en chinois et si elle pratiquait un art taoïste. 

Apparemment, c'est un texte sur lequel elle est tombée pendant son adolescence et qui lui a toujours beaucoup plus parlé que les autres grands textes religieux, d'où son envie à un certain point de le traduire. Par contre, elle ne parle absolument pas chinois, et sa traduction est composée à partir de plusieurs traductions anglaises, avec en support le texte original et sa traduction mot à mot, afin d'avoir un repère fixe... Et c'est malheureusement ce que je craignais. Sa traduction est magnifique, le verbe est superbe, comme toujours avec elle, mais on peut tout à fait douter de sa pertinence. Il faut savoir que le Dao De Jing, comme tout texte religieux d'ailleurs, est incroyablement difficile à traduire. Les caractères chinois qui le composent ont changé de sens au cours de ses 3000 ans d'existence (sans compter les erreurs intentionnelles ou non de copie) et à part des linguistes très pointus, il y a assez peu de monde capable de vraiment traduire le texte: si vous le donnez à quelqu'un parlant mandarin moderne, c'est incompréhensible, même si les idéogrammes sont connus. De plus c'est un manuel de pratique taoïste, qui explique des concept qui n'ont pas de sens pour un non pratiquant: certaines traductions, comme les premières traductions des classiques taoïstes en français par les jésuites, sont ainsi incroyablement mauvaises: les pauvres bougres essayaient de coller leur vision du monde sur ce qu'ils traduisaient (ce qui est pratiquement impossible) et ne comprenaient pas la moitié des concepts, ne les ayant jamais rencontré. Ils ont ainsi expurgé tout ce qui faisait référence au chi, par exemple, comme étant de la superstition... Vidant ainsi le texte de son sens. C'est pareil pour la Bible, notez bien, qui est une traduction de traduction de [poursuivez environ 250 fois] traductions et de copies plus ou moins exactes... D'ailleurs, si je puis me permettre, quand vous rencontrez quelqu'un qui vous cite un texte sacré mot à mot dans une langue qui n'est pas la langue d'origine, et base sa réflexion sur cette citation, c'est que cette personne a une compréhension très étroite de sa tradition. Pratique très courante chez les Born-Again, notez.

Enfin bref, cela a confirmé mes suspicions, mais je n'ai pas eu le courage de lui dire ce que j'en pensais, d'une part à cause du respect que je dois à une personne de son âge et de sa stature (quoi que l'on me faisait remarquer que justement, cela lui aurait peut-être plû de se voir un peu remise en question, cela ne doit pas lui arriver souvent), et puis elle était en train de signer mes livres, j'avais envie de les récupérer, encore une fois! ;).

(à suivre)

jeudi 6 juin 2013

Une soirée avec Ursula K. Le Guin

Il y a quelques semaines je suis allé à une conférence organisée conjointement par ma librairie locale et la bibliothèque centrale de Seattle à l'occasion de la parution d'une traduction par Ursula K. Le Guin de Squaring the Circle, un recueil de nouvelles d'anticipation  par l'auteur roumain Gheorghe Săsărman. C'était une soirée extrêmement intéressante, d'une part parce que le livre en question est excellent et a une histoire fascinante, mais aussi parce que j'ai eu l'occasion de poser pas mal de questions, ce qui a amené, comme vous allez le voir, à un moment tout à fait surprenant.

Il faut commencer par présenter Ursula K. Le Guin, pour ceux qui ne recadrent pas. Née le 21 Octobre 1929, mariée à un français (d'où la consonance familière de son patronyme) et vivant depuis 1953 à Portland, c'est surtout une légende vivante de la littérature américaine. Rendez-vous compte: elle est l'auteur ayant gagné le plus de prix Hugo et Nebula, les deux prix les plus prestigieux pour la littérature de SF américaine, ce qui n'est pas rien quand on sait que c'est quand même un genre très largement dominé par les hommes. Ses distinctions sont trop nombreuses pour que je les énumère ici, sachez par exemple que la librairie du Congrès l'a classé "Légende Vivante". Pour une fois, ce n'est pas moi qui le dis! Elle se distingue par l'utilisation du fantastique pour l'exploration de thèmes sociologiques et psychologiques, et il faut aussi remarquer qu'elle écrit remarquablement bien, ce qui est assez rare dans le genre, il faut bien l'avouer. Prenez quelqu'un comme Larry Niven, par exemple: il a des idées novatrices et les couche sur le papier de façon efficace, point. Le Guin, par contraste, a des idées tout aussi novatrices, mais en plus elle écrit magnifiquement bien, ce qui la range dans une catégorie vraiment à part, au coté des plus grands. Parmi ses livres les plus connus, on peut citer (difficile de n'en prendre que deux, dans une bibliographie aussi fournie!) La Main gauche de la nuit, et Terremer (Terremer étant d'ailleurs probablement son cycle le plus fameux).

Petit aparté: Comme ce n'est pas tous les jours que l'on a l'occasion de voir l'équivalent de Victor Hugo en chair et en os, je ne vous fais pas un dessin, j'étais bien "excité". Il y a des gens qui sont tout fous de rencontrer Nabila, personnellement c'est l'intelligence qui "m'excite", chacun son délire (non je ne suis pas aigri de la stupidité ambiante, pas du tout!).

Lors de cette soirée, Ursula K. Le Guin était donc venue présenter la traduction d'un livre roumain, "Squaring the Circle", et ce en la compagnie de la fille de l'auteur, et du traducteur de la version espagnole. Vous allez comprendre pourquoi.


Ce livre est un recueil de nouvelles très courtes, qui sont toutes des descriptions de villes imaginaires. On est vraiment dans le mode de la nouvelle, avec des textes percutants, des chutes souvent inattendues, une écriture magnifique (probablement encore embellie par le talent de la traductrice), et surtout avec très souvent une forme de critique sociale très pertinente et actuelle plus ou moins dissimulée sous couvert de science-fiction (comme très souvent, notez bien). Petit problème: ce livre a été publié en 1975, en Roumanie, sous Ceaușescu... Il a donc été très violemment censuré par le régime à sa sortie, ce qui à considérablement freiné sa diffusion. Paradoxalement, il faut savoir qu'à l'époque, en Roumanie, la science-fiction était considérée comme une sous-littérature, et que la censure ne s'y intéressait que peu... Sauf que Săsărman voulait être reconnu par ses pairs et avait donc publié son livre sous une étiquette de litérrature classique. Comme quoi, l'égo, ce n'est pas toujours bon!

Le livre a quand même été traduit par un éditeur français quelques temps plus tard. Manque de bol, celui-ci a fait faillite quelques temps après sa publication, et le bouquin est retombé dans l'oubli aussi sec. Il faut bien comprendre un truc: c'est difficile pour un livre roumain de sortir de ses frontières: il y a plein de roumains qui parlent français ou anglais, mais en l’occurrence pour qu'un bouquin soit traduit, le monde est ainsi fait qu'il faut un français ou un anglais qui parle Roumain, et qui soit traducteur, et qui veuille traduire ce livre précisément. Autant vous dire que c'est rare. Entre alors en scène un espagnol, Mariano Martín Rodríguez, qui va jouer un rôle décisif. Il faut savoir que les espagnols adorent la SF et ne considèrent pas que cela soit de la littérature de seconde zone (pour une fois!), et qu'ils cherchent donc toujours des nouveautés. Rodríguez, donc, traducteur à l'UE de son état, tombe sur ce bouquin par hasard, le trouve génial, et décide de le traduire lui-même. C'est déjà un grand pas, mais même si l'espagnol est la 3ème langue du monde, cela reste un petit éditeur castillan et cela ne garanti en rien que ce livre ne retombe pas dans l'oubli... Il décide donc de tenter sa chance: il sait que Le Guin fait beaucoup de traductions, et il lui envoie une longue lettre avec une copie du bouquin.

Or, vous savez surement qu'il est extrêmement rare que des livres de science-fiction "étrangers" soient traduits en anglais sur le marché américain, car celui est déjà complètement saturé par sa production interne. Ce n'est même pas du protectionnisme primaire, c'est juste que la concurrence étant déjà impitoyable entre auteurs américains, il n'y a absolument aucune raison pour un éditeur de payer un traducteur et de publier un livre qui sera nettement moins rentable que les 10 autres qui se pressent au portillon.  Rodríguez a donc eu la bonne idée: il n'y a à peu près que comme cela, en tapant dans l’œil d'une légende vivante, qu'il y a une chance de se faire éditer. D'ailleurs, des mots même de Le Guin, qui reçoit fatalement des tonnes de courrier de ce genre, le livre a failli finir, comme les autres, dans un tiroir. Et puis par un mystère de la vie, un jour, elle l'a ouvert, elle a lu une nouvelle, puis une autre, puis une autre, et l'évidence s'est imposée: il faillait qu'elle le traduise.

Pour l'auteur, Gheorghe Săsărman, c'est un peu l'accomplissement d'une vie. La traduction de son livre du roumain, langue obscure parlée par environ 25 millions de personnes, à l'anglais, parlé par 500 millions de natifs et probablement quelques milliards en seconde langue, garanti sa diffusion et son intégration au patrimoine culturel de l'humanité. De plus, traduit par une personnalité comme madame Le Guin, cela assure que l'on en parlera forcément pendant un certain temps (la preuve, ce post, par exemple). C'est d'autant plus émouvant pour lui étant donné son historique de censure et de faillite des éditeurs... Ce livre a mis presque 40 ans à véritablement prendre son envol, c'est quand même assez dingue et c'est vraiment mérité car encore une fois les nouvelles sont vraiment magnifiques, pertinentes et très actuelles. C'est d'ailleurs un livre très court, que vous pouvez probablement finir en une petite heure, ce qui de temps en temps est une qualité!

A suivre: la séance de questions-réponses et mon échange avec Ursula K. Le Guin, et son issue étonnante. (désolé de toujours faire des "à suivre", mais j'ai encore à peu près la même quantité de texte pour la deuxième partie, donc...)

mardi 4 juin 2013

Une histoire de limites II

Ce post est la suite d'Une Histoire de limites.

Donc, arrivée à Van City vers 19h30, complètement explosé. Bonne surprise,  l'appartement que j'ai trouvé sur AirBNB est super bien situé, décoré avec beaucoup de goût, et surtout d'une propreté étincelante. J'ai prévenu mon hôte que je suis immunosupprimé pour qu'elle ne me trouve pas trop bizarre quand je sors tout mon attirail, et elle est absolument charmante, très compréhensive et sympathique. Nous passons d'ailleurs une excellente soirée dans un petit restaurant de la rue avec une de ses amies, il y a quand même une ambiance très différente à Vancouver, très détendue, plus européenne avec des gens en terrasse dans la rue qui prennent le temps d'apprécier un verre entre amis par exemple. Ce n'est pas pour rien que Vancouver domine le classement des villes les plus agréables à vivre du monde, on s'y sent immédiatement bien.

on note que le symbole de cambie village, c'est un verre de pif :)

Seul petit soucis: mon hôte tousse. Dans l'absolu, tant qu'elle met sa main devant sa bouche, ce qu'elle fait, pas de problème, même si à chaque fois, cela me met un peu sur les nerfs tellement c'est quelque chose que je suis habitué à repérer et à fuir. Le problème c'est qu'elle ne se lave pas les mains après avoir toussé, et qu'elle persiste à vouloir me servir des tasses de thé avec ses mains qui, dans ma tête, sont marquées comme étant "contaminées". Je suis pris entre mon éducation et la politesse que je dois à mon hôte et mes névroses (qui n'en sont pas puisqu'elles sont en parties justifiées). Je choisis de ne pas lui faire remarquer, ce qui est probablement un tort, car j'aurais pu résoudre en deux minutes ce qui va être une source constante de stress pour moi lors des deux jours suivants. C'est le genre de chose simplissime qui est très difficile à vivre pour moi: et si je tombe malade? Au Canada? Tout seul? Et si je tombe malade et que le GVHD s'emballe? Et si? La machine à penser s'emballe vite, en général j'arrive assez facilement à l'empêcher de démarrer en l'interrompant dans l’œuf (il suffit de reconnaitre ce type de pensées pour ce qu'elles sont d'une part, et à éviter les sources de stress d'autre part, en se lavant les mains par exemple), mais la répétition constante dans un contexte où je suis fatigué et hors de mon élément ne m'aide pas du tout.

Je passe néanmoins une excellente nuit et la rencontre le lendemain est juste à un bloc de l'appartement, j'y vais donc à pied et j'y passe d'ailleurs une excellente mais épuisante journée. Pour vous donner une idée des trucs pénibles qui m'impactent de manière idiote, à midi, tout le monde va s'acheter un sandwich dans les divers fast-food qui nous entourent. Sauf que j'ai déjà une confiance extremement limitée dans ce type de restaurant en temps normal, alors étant immunosupprimé, vous imaginez bien que je les évite absolument. Solution, je vais au Safeway du coin, je me trouve des plats surgelés (c'est d'ailleurs à peu près la seule utilité que je voie à ces trucs), et je demande au rayon traiteur de me les réchauffer au micro-onde. C'est immonde, mais c'est stérile, et c'est malheureusement le plus important. Vous voyez, cela semble trivial, mais pour moi une journée comme cela, c'est une succession de jalons, d'étapes, ou il faut tenir bon, jusqu'au soir, un peu comme un marathonien qui franchi le Mur, et chaque étape supplémentaire ajoute à l'énergie nécessaire pour arriver au bout de la journée. Souvent, c'est vraiment une affaire de volonté pure, je suis parti dans un truc et je continue jusqu'à ce que j'ai fini, puis, je m'effondre. En l’occurrence, ce soir là, je finirais ma journée chez mon hôte vers 18h, complètement vanné, vidé, et j'éteindrais les feux très tôt.

Le lendemain matin, je me lève avec une angoisse diffuse qui m'oppresse. J'ai passé une très mauvaise nuit, je sens dans tout mon corps le GVHD qui se réveille, comme un monstre, vous savez, comme Smaug sous le Mont Solitaire, qui ne dors que d'un œil... J'ai passé une partie de la nuit aux toilettes (manger n'importe quoi, cela a mis en vrac l'équilibre fragile de mon système digestif), toute ma peau me fait mal, me tire, vous savez comme quand vous avez une allergie alimentaire à des fruits de mer (en tout cas, moi ça me fait ça), mon visage me brûle, mes muqueuses me démangent... Cela m'inquiète beaucoup, car je suis en pleine baisse des doses d'immunosuppresseurs et de part le passé, la fatigue a toujours été un déclencheur important et avec la fatigue cumulée des deux journées précédentes... Bref, j'ai peur qu'en faisant une journée de plus, je sois incapable de me reconduire moi-même chez moi, surtout le lundi qui est férié et qui risque d'être une redite du vendredi.

Le jour précédent, quelqu'un m'a dit: "C'est bien de dépasser ses limites, encore faut-il les connaitre!"...  Et c'est un des problèmes avec moi, les limites sont assez floues, difficiles à cerner mais paradoxalement très tranchées: en général quand on tape dedans, il est trop tard. C'est d'ailleurs quelque chose que j'ai appris au tout début de ce parcours contre la leucémie: il faut absolument savoir écouter le corps, il a toujours raison. Je décide donc de petit-déjeuner et de rentrer immédiatement pendant que je suis encore frais, sans même aller me promener dans Vancouver et en ratant bien entendu la deuxième partie de la rencontre à laquelle je suis venu assister. Bien m'en prend: il n'y a personne sur la route, et je ne met que 2h45 à rentrer (dont 2mins chrono à la frontière, un exploit). Pour la petite anecdote, je vais ensuite dormir une bonne partie de mon dimanche après-midi et de mon lundi, où je ne ferais strictement RIEN.

Alors quel bilan?

Quelqu'un m'a demandé si je l'avais vécu comme un échec. En fait, non. C'est un mélange complexe. C'est à la fois un succès incroyable, et j'ai éprouvé une joie énorme à être tout seul à me débrouiller loin de chez moi, "en vacances", à faire ce que je veux au dernier moment sans trop de plans, et en même temps comme j'ai l'esprit de compétition et que je n'aime pas quand je n'arrive pas à terminer quelque chose, et que là j'ai été obligé d'abandonner... Cela m'agace de façon assez prodigieuse, soyons bien clair. Il y a aussi eu un coté un peu traumatisant dans cette expérience. Je me suis fait très peur, sur la route notamment où j'ai vraiment cru que j'allais me planter, et quelque part, je n'ai vraiment pas envie de revivre ça. Paradoxalement donc, après m'être un peu "libéré" de mes "tensions" lors du voyage en France, j'en ai remis une couche en faisant un peu n'importe quoi avec ce voyage à Vancouver. J'ai eu le tort de me comporter "comme avant", comme si je n'avais plus de limites, alors que ce n'est pas vrai. Je suis passé d'un extrême à l'autre, un peu stupidement. Je dois trouver un curseur entre les deux, arriver à faire des choses, à évoluer librement dans le monde, mais en le préparant de façon suffisamment soigneuse pour ne pas me retrouver dans une situation un peu trop extrême à mon goût. C'est un équilibre délicat à trouver. 

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