Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs d'un Français expatrié puis revenu des Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de mon combat contre la leucémie, les séquelles de la greffe de moelle osseuse et le cancer secondaire apparu en Janvier 2024...

mercredi 30 septembre 2015

La loi des plaines, chapitre 13: Le destin de Yahnee

Tabbaquena vit Wakaree et Yanhee se précipiter sur le kʉtsʉtoya. Il savait qu'ils allaient mourir, mais son cœur était heureux que le jeune brave le fasse avec honneur et non pétrifié comme un couard de citadin. Il descendit de cheval. Sa propre monture n'était pas aussi Douée que Wakaree, il ne réaliserait pas vraiment que  son cavalier était mort, alors le chaman gifla sa croupe et le renvoya vers le reste du troupeau. Il serait peut-être en mesure de se sauver.

La horde se refermait sur les humains. Ils couraient vite, beaucoup trop vite. La tribu ne serait jamais capable de s'échapper. Il devait gagner du temps. Il se tourna vers ses esprits pour leurs demander de l'aider dans ce dernier combat. Il sortit son tambour et commença à jouer un rythme dur, un rythme violent et agressif, le rythme le plus fort qu'il avait en lui. En se perdant dans les vibrations du tambour, il sentit ses esprits venir à lui et lui prêter leurs pouvoirs. Il commença à sentir que tout était possible et en quelque sorte c'était vrai. Il était un Ami du vent, comme Towasi, mais beaucoup plus puissant. Alors il rassembla toute la puissance qu'il avait en lui, toute la puissance des esprits qui marchaient avec lui, et dans un déploiement de volonté titanesque, il manifesta la vision qu'il avait en lui, une tornade colossale qui balayerait les Morlocks de côté.

Les vents commencèrent à augmenter, à hurler et à crier leur colère devant la présence blasphématoire des Morlocks. Les monstres furent balayés, certains chutèrent et entrèrent en collision les uns avec les autres. Pendant un instant, la ligne de créatures se précipitant vers les fuyards fut perturbée et des combats éclatèrent dans leurs rangs alors que les vents jetaient les plus léger contre les plus grands. Tabbaquena vit les perturbations qu'il avait causé et il en fût heureux. Peut-être qu'il réussirait à les ralentir suffisamment après tout. Malheureusement, il ne le saurait jamais. Tout d'un coup une fatigue harassante l'accabla et il tomba à genoux. La magie était très exigeante, ce qui en faisait une chose très dangereuse. Il y avait toujours un prix à payer pour façonner la réalité et plus l'exploit était grand, plus le prix l'était aussi.

La création d'une tornade était un très grand exploit.

Tabbaquena sentit des perles de sang goutter de son nez et de ses yeux. Sa vision devint floue, les sons étouffés. Il n'entendait que son cœur, son cœur battant comme un tambour contre ses oreilles. Il ne vit que vaguement ses compagnons se précipiter à la rencontre du gigantesque animal leur faisant face.

Yahneequena et Wakaree s'écrasèrent contre le kʉtsʉtoya avec toute la force qu'ils pouvaient rassembler. Ils avaient des années d'expérience de la chasse et au dernier moment, Wakaree sauta sur le côté, permettant à son cavalier de transpercer la bête avec sa courte lance. Yahneequena savait qu'il n'avait droit qu'à un seul essai. En temps normal les chasseurs portaient à leurs proies de multiples coups mais il était seul. Alors il saisit son unique chance de faire tomber le monstre: il enfonça sa lance dans l'œil le plus proche de lui. C'était une petite cible, mais il la frappa miraculeusement de tout son poids et celui de son cheval combinés. Une frappe aussi puissante aurait pu embrocher un homme et traverser l'os et c'est ce qu'elle fit. La lame en forme de longue feuille creva l'œil de l'animal comme s'il n'était pas là, détruisit son orbite puis se logea finalement dans son cerveau.

Yahneequena aurait crié sa victoire mais la force de l'impact était trop grande. Il percuta le manche de sa lance, se cassa quelques côtes et fut jeté à terre. Il essaya d'amortir sa chute avec un bras, mais il tombait beaucoup trop durement. L'os se brisa et il s'écrasa au sol. Étourdi et à peine vivant, le corps traversé par une douleur atroce, il réussit cependant à lever son visage de terre et à regarder son ennemi.

L'animal avait été tué sur place, ses jambes avaient cédé sous lui et il était tombé lourdement. Son cavalier n'avait toutefois pas été jeté au sol. Le cœur de Yahnee se serra. Il avait espéré  le blesser, au moins, mais la seule chose qu'il avait réussi à faire, c'était d'encore plus l'enrager. La horde se referma sur eux. Le chef des morlock se laissa glisser à bas de sa monture, presque gracieusement. Il commença à marcher vers Yahnee, une rage brûlante faisant briller les étranges anneaux d'or qui lui encerclaient les yeux. Il était presque sur le jeune guerrier quand une puissante rafale le projeta à genoux, juste à côté de Yahnee. Le jeune Nʉmʉ rit et cracha du sang au visage de son ennemi.
«Notre chaman est plus fort que toi, démon!" dit-il d'une voix rauque.
Le morlock se releva, debout envers et contre les vents violents. Il se tourna vers Tabbaquena et balaya l'espace devant lui du bras en grognant.
"Non."
À l'horreur de Yahnee, les vents s'apaisèrent. Il toussa plus de sang et cria "Qu'est-ce que tu es, monstre?"
Il n'avait jamais entendu de morlock dire un seul mot auparavant. Ils étaient censés être à peine plus intelligent qu'un cheval! Enfin, il commença à réaliser.
"Nous n'avons jamais eu aucune chance, hein?"
"Non." dit une fois de plus le morlock sans lèvres de son étrange voix gutturale.
Il commença à nouveau à marcher vers Yahnee. Autour d'eux, la horde avançait toujours, mais elle évitait son leader et glissait autour de lui comme l'eau qui coule autour d'un rocher. L'étrange morlock saisit  une épée d'obsidienne noire ("les morlocks n'ont jamais leur propre épée" pensa Yahnee frénétiquement) et la souleva, pointe vers le bas, s'apprêtant à la plonger dans le corps du garçon.

Un hennissement assourdissant le força à reculer de quelques pas. Wakaree avait fait volte-face et était revenu protéger son frère. Il se cabra et essaya de frapper le comparativement petit morlock de ses sabots. Mais leur ennemi était trop rapide, beaucoup trop rapide. Il recula, juste assez pour éviter la frappe mortelle et avant que les pattes de Wakaree n'aient le temps de toucher le sol, la sombre créature courut vers l'alezan, sauta et lui décrocha un coup de poing d'une violence inouie sur la tempe. Wakaree tomba comme une pierre, les jambes secouées de spasmes d'agonie.
"Non!" cria Yahnee. "Non, Wakaree, non!"
Il ne pleura pas son ami longtemps. Le morlock plongea son épée dans le cœur du jeune brave, puis la retira.
Yahneequena s'écroula. Dans ses derniers instants, alors que la vie s'écoulait de sa poitrine, il  essaya de se retourner, afin d'atteindre et de presque toucher la crinière de son frère.
«Frère Wakaree, je t'aime," eu-t-il la force de dire à son ami.
«Frère Yahnee. Heureux," répondit faiblement le cheval.
Puis, ils s'éteignirent tous les deux.

Tabbaquena le chaman vit l'étonnante frappe délivrée par Yahnee sur la monture du morlock. Ce fut sa dernière vision. Son esprit avait mis toute son énergie dans son dernier acte magique et il n'en avait pas assez pour continuer à vivre, alors il mourut, comme une bougie soufflée par le vent. Il mourut fier de son frère de clan et il ne le savait pas, mais lui et Yahnee moururent comme des guerriers, leurs dos loin de l'ennemi. Il était à genoux, mais il était tenait toujours sa lance et la pointait vers les morlocks, comme il se doit.

1 commentaire:

  1. Hâte de lire la suite ! mais ne te presse pas, hein, j'attendrai.... :-)

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