Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs d'un Français expatrié puis revenu des Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de mon combat contre la leucémie, les séquelles de la greffe de moelle osseuse et le cancer secondaire apparu en Janvier 2024...

dimanche 24 mai 2015

La loi des plaines, chapitre 7: Le morlock aux yeux d'or

Sous forme d'esprit, il explora autour du train. Il ne restait plus aucun humain de vivant. Apparemment, tout le monde avait soit réussi à monter à bord du Veronica, soit était mort, et gisait dans l'herbe. Aucun signe des Elites, ce qui signifiait qu'ils étaient probablement en vie. La locomotive avait rapidement gagné de la vitesse, son moteur à vapeur tournant à plein régime, une chose rare pour un train Eolien. Le charbon était une denrée rare que l'on ne brûlait pas à moins d'y être vraiment contraint. Certains morlocks tentaient de monter à bord, mais le train était bien conçu et les sas résistaient à leurs tentatives de pénétrer à l'intérieur. Des lances sortaient de meurtrières stratégiquement placées et tuaient implacablement les impudents, puis des pointes sortirent des axes des roues afin d'empêcher les autres d'approcher. Bientôt, le train eu distancé la horde et s'éloigna à toute vapeur.

Quel soulagement!

Yahnee décida de rester juste assez longtemps pour compter le nombre approximatif de morlocks avant de rejoindre sa tribu et de leur ordonner de se déplacer. En temps que scout, il était habitué à estimer rapidement la taille d'une horde de pʉetʉyai ou d'un troupeau de kʉtsʉtoya. Son travail était de fait un peu plus difficile parce que les monstres avaient encerclé les douze compartiments du train et avaient tenté de le rattraper, de sorte qu'ils étaient vraiment étalés. Après quelques secondes, il se rendit compte que même s'ils étaient vraiment éparpillés, il y avait probablement plus d'un millier de têtes et au moins deux cents morts de plus, la puanteur de leur sang infâme souillant l'herbe de la plaine. A un endroit, il trouva une zone circulaire entourée de cadavres. Il devina que c'était le lieu où il avait vu l'explosion. Quel que soit qui s'était passé ici, la force avait été colossale et avait réussi à projeter le cadavre du kʉtsʉtoya qui bloquait les rails à plusieurs centaines de mètres de là.

Attends...

Non, ce cadavre, il se déplacait... Donc... Ce n'était pas un cadavre!

L'esprit de Yahnee se rapprocha.

Quand il comprit enfin ce que ses yeux lui montraient, il fut si terrifié qu'il en oublia de réintégrer son corps.

Un grand morlock à l'air presque humain et qui était vêtu d'un patchwork de pièces d'armure disparates, probablement volées sur des cadavres, se tenait au-dessus de l'animal géant. Ce dernier était bien vivant et semblait complètement apprivoisé. Lentement, la horde éparse se rassembla autour de lui.

Cela n'avait pas de sens. Les pʉetʉyai n'étaient pas assez intelligents pour apprivoiser les sauvages kʉtsʉtoya. Ils n'avaient pas non plus de chef, juste des alphas qui étaient plus forts et plus violents que la moyenne... Si c'était possible. Yahnee savait qu'il n'aurait pas dû, il savait qu'il devait partir et le signaler à Kanaretah et Tabbaquena, mais c'était trop inhabituel. Curieux comme un chat, le jeune Nʉmʉ se rapprocha afin de mieux voir.

C'est alors que le morlock frissonna et se tourna vers lui.

Sa peau était couleur de cendres, un gris blanc sans vie. Chaque pouce visible de celle-ci était couverte de cicatrices. Il avait l'air encore plus esquinté qu'un morlock ordinaire, un exploit considérant le fait que les monstres se battaient constamment entre eux pour établir la dominance.

Il avait une bouche sans lèvres, qui semblait être une cicatrice de plus fendant son visage. Ses yeux se verrouillèrent sur ceux de Yahnee, comme s'il avait vraiment été là. Sa bouche s'ouvrit dans une parodie de sourire, révélant une rangée de dents acérées triangulaires.
Son regard était malveillant, maléfique et pire que tout, c'était le regard d'un être muni d'une intelligence mauvaise. Mais plus que tout,  ce qui fit sursauter Yahnee d'effroi, c'était qu'il avait les mêmes yeux noirs que le sombre guerrier, un anneau d'or entourant un iris d'un noir de jais.

La créature gronda. L'anneau lumineux commença à brûler d'un feu écarlate.

Yahnee tenta de s'enfuir, il essaya frénétiquement de déplaçer les pieds de son corps réel, ce qui était le plus sûr moyen d'être
propulsé dedans et de revenir à lui. Rien.

Rien.
Rien!

Il voulut crier mais rien ne sortit de ses poumons fantomatiques. Il essaya de tourner sur lui-même, mais il ne voyait qu'une chose, le cercle de feu rouge qui grandit, grandit et grandit encore et remplit son esprit. "Wakaree! Wakaree, aide-moi! Wakaree!" cria-t-il, mais rien ne se passa. Le cercle rouge grandit encore, transperçant et implacable. Il voulait courir, s'envoler pour fuir ce fantôme maléfique mais il avait l'impression d'être englué, comme s'il marchait dans des sables mouvants. Chaque mouvement était lent et douloureux.
"Wakaree!" cria-t-il à nouveau, mais sa voix était étouffée, une toute petite voix, comme le couinement d'une souris devant une immense
prédateur remplissant le ciel.

Désespéré, sachant que la seule issue était la mort, il arrêta d'essayer de s'échapper, rassembla son courage et saisit sa lance de combat. Elle n'était pas vraiment là bien sûr, mais son esprit la recréa dans ses mains. Il imagina chaque détail de son manche, les gravures et les franges décoratives, les plumes et les perles, son poids rassurant, sa longue lame de fer météorique, et tout à coup elle fut là. Il hurla son cri de guerre et sa voix n'était plus étouffée, c'était le fier cri de guerre des Nʉmʉ, la promesse d'une mort certaine pour leurs ennemis.

Un rugissement assourdissant lui répondit et tout à coup, le morlock aux yeux d'or fut juste à côté de lui, le chargeant avec une lame noire de roche volcanique. Yahnee eu juste le temps d'être surpris, les morlocks n'utilisaient généralement pas d'armes... Très brièvement, il lui vint une fois de plus à l'esprit que le morlock n'aurait pas dû le voir sous sa forme d'esprit, encore moins l'attaquer. Puis il arrêta complètement de penser, et il para frénétiquement la frappe avec le manche de sa lance. Celui-ci ne se rompit pas, bien sûr, car il était aussi solide que la volonté de Yahnee, mais son esprit ressenti l'impact. Il se lança immédiatement à l'offensive avec un coup vicieux au visage de son adversaire. Il avait l'avantage de l'allonge, mais pourtant le morlock esquiva le coup sans effort et riposta par une estocade étonnamment puissante vers l'intestin de Yahnee. Une fois de plus, il para de sa lance, une fois de plus l'impact secoua son esprit et sa santé mentale vacilla. Pendant quelques secondes, la douleur l'aveugla. Ils ne se battaient pas vraiment bien sûr, c'était un concours de v olonté que l'esprit de Yahnee traduisait en mouvements de combat réel.

Frénétiquement, il essaya de reculer, sans effet. Son esprit était coincé, comme une abeille prise dans de la mélasse. Il frappa de nouveau, une feinte vicieuse vers ce qui aurait dû être l'angle mort de la bête... Mais les esprits n'avaient pas d'angle mort.

Le morlock attrapa la lame de la lance à mains nues et laissa tomber son épée. Puis, avec un hurlement furieux, il s'élança et saisit la gorge du jeune guerrier. Il avait des griffes au lieu d'ongles, des griffes d'ivoire acérées qui s'enfoncèrent profondément dans la chair de Yahnee, faisant jaillir du sang éthérique. Yahnee lutta, tenta d'enfoncer ses doigts dans les yeux d'or du morlock mais le monstre était incroyablement loin. Il sentit son corps spectral être déchiré par la mortelle emprise, la douleur submergea son esprit, l'amenant aux portes de la folie. Le morlock se mit à rire, un rire odieux et terrible qui sonnait comme la démence incarnée.

Yahnee perdit soudain conscience. La dernière chose qu'il ressentit fut un cri de rage à glacer le sang, alors que la proie échappait au
prédateur.

Wakaree tremblait de peur. Il sentit son frère se tordre de douleur sur sa croupe, crier son nom à plein poumon, hurler son cri de guerre, gémir de douleur et de terreur. Le fier cheval continuait à appeler le nom de son cavalier. «Frère Yahnee. Wakaree peur. Wakaree aime Frère Yahnee. Frère Yahnee venir chevaucher avec Wakaree. chevaucher. Ensembles. Peur. Frère Yahnee!". Il craignait pour la vie de son ami plus qu'il n'avait jamais craint pour la sienne propre. Le pauvre cheval ne pouvait pas formuler ces pensées complexes, bien sûr, mais il aurait volontiers donné sa vie dix fois juste pour entendre son compagnon dire son nom et cesser de souffrir. Mais son désir et son amour pour le jeune brave, aussi grands qu'ils étaient, ne mirent pas fin à la douleur. Yahnee continuait de crier, de hurler, encore et encore, sa douleur inondant l'esprit de son pauvre destrier. Et puis plus rien. Le corps de Yahnee devint subitement flasque et son esprit disparut. Il était toujours là, mais très faible, oh si faible, plus faible que l'esprit évanescent d'un rêveur. Par miracle, il était resté en selle, les mains crispées sur la crinière du cheval, les jambes si tendues contre les flancs de Wakaree qu'il était resté stable.

Désespéré, le cheval fit la seule chose qui lui vint à l'esprit: il ramena son frère vers la tribu, au chamane qui guérissait les corps et les esprits des humains aussi bien que ceux des chevaux. Il commença à trotter, aussi précautionneusement que possible, aussi vite qu'il osait sans laisser tomber son frère. Son désespoir alimentait ses muscles, tous ses sens aiguisés par sa peur de perdre sa personne la plus importante dans le monde entier. Il projeta ses pensées aussi loin qu'il le pouvait, son pauvre esprit de cheval tremblant sous la tension d'une mesure aussi désespérée. Il essayait d'atteindre l'esprit de Pisunii ["Petite Etoile"], sa sœur, une fière jument aussi Douée que lui. Soudain, il la sentit et commença à crier la seule chose à laquelle il pouvait penser. «Au secours! Au secours! Au secours!" tant et plus. Il sentit Pisunii lui répondre et il fut submergé par le soulagement. Puis la connexion se rompit. Il était trop fatigué et son travail était accompli. Pisunii amènerait la tribu à Yahnee. Il arrêta de courir, il était trop fatigué pour penser, il essaya juste de garder son frère sur son dos. Au pas, il commença la longue route vers les leurs.

lundi 18 mai 2015

Un monde post-apocalyptique

Depuis longtemps je suis fasciné par les mondes post-apocalyptiques, au sens large du terme. La sortie du nouveau Mad Max: Fury Road me donne l'occasion de vous parler un peu de cette source d'inspiration majeure pour le monde de mon roman en cours d'écriture, "Les citées assiégées de Yaghan".

Quelques exemples de mondes célèbres:
- Waterworld, un film avec Kevin Costner où les calottes glacières ont fondues, recouvrant la terre d'eau et où l'humanité survit sur des bateaux de toute sorte
- Les films de zombies et en particulier "Dawn of the Dead" mais aussi the Walking Dead (qui vient d'une BD avant d'être une série), ou World War Z (idem, c'était un livre avant de devenir un film tout à fait moyen
- Le jeu de rôle Bitume qui se passe en France après qu'elle ai été dévastée par un passage un peu trop proche de la Comète de Halley
- Le jeu de rôle Wasteland où le monde a été dévasté par des humains génétiquement modifiés devenus hors de contrôle
- Les films Mad Max, bien évidement, mais aussi la trilogie Matrix, Terminator, ou la série Resident Evil...
- L'excellente série de jeu vidéos "Fallout"
- Le livre "Ravages" de Barjavel...

Vous savez peut-être que je m'intéresse aussi au survivalisme, qui dans sa version intellectuelle et non paranoïaque désigne un mouvement de gens se préparant à faire face à des crises de toutes envergures, que cela soit un incendie de domicile, un accident de voiture, un tremblement de terre ou une inondation, jusqu'à, pour les plus motivés, une crise financière majeure provoquant un effondrement de la société.

J'ai un peu peine à savoir ce qui me fascine dans ce sujet (de façon connexe, l'univers carcéral me fascine aussi). Je crois que cela tient à mon questionnement concernant la "réalité" que nous expérimentons tous les jours et que nous prenons comme un du: que ce passe-t-il lorsque nous perdons l'accès à toutes nos ressources, à la technologie, à notre médecine? Toutes ces choses nous semblent couler de source, nous avons l'impression qu'elles ont toujours existé, qu'il est normal de rentrer du boulot en se mettant sur un canapé en acier et en contreplaqué, en allumant toutes les lumières de l'appartement et en mettant le chauffage, tout en réchauffant un plat au micro-onde dans une assiette en céramique et en dévorant une glace à la mange en regardant "Transformers" sur un écran plat dernier cri... La technologie qui sous-tend toutes ces choses, l'énergie nécessaire pour les faire fonctionner, l'origine de nos aliments, tout cela est tout bonnement impossible à reproduire pour un humain seul, voir même un groupe d'humain, même possédant les connaissances théoriques, même possédant des outils basique du genre forge... De nos jours, il est impossible de concevoir un ordinateur sans avoir un autre ordinateur pour le faire, par exemple.

Bref, tout ceci me fascine, encore une fois, et cela rejoins un intêret pour l'écologie: comment faire pour vivre en harmonie avec l'environnement, pour que nous ne perdions pas tout ce confort que nous avons pris des siècles à pouvoir concevoir par négligence, en détruisant la planète...

Je ne sais pas si vous me suivez, je suis un peu confus.. Toujours est-il que j'ai toujours adoré ce genre d'univers, de part les questions qu'ils posent, et c'est donc naturellement que lorsque j'ai commencé à écrire, j'ai situé mon histoire dans un monde post-apocalyptique. D'ailleurs, le monde "est" l'histoire: je n'ai pas d'intrigue à proprement parler, comme on peut en avoir une dans, par exemple, une enquête policière. Mon monde est l'histoire, celle-ci naît toute seule lorsque je fais évoluer mes personnages et que je les confronte aux problématiques posées par leur environnement.

Je m'inspire énormément des sources que j'ai mentionné, et récemment je me suis posé une question existentielle. Souvent les univers post-apo sont noirs, violents, désespérés, et c'est bien normal. Pourtant, j'ai du mal à insuffler cette ambiance sur Yaghan. J'ai du mal à écrire un univers crade, malsain, où l'homme est un loup pour l'homme. J'ai du mal à écrire des humains qui sont de vraies pourritures ou des gros cinglés psychopathes comme on peut en trouver dans Mad Max. Oh, tout n'est pas rose, sur Yaghan, comme la nouvelle "La loi des plaines" va vous démontrer. La mort n'est jamais bien loin et l'humanité lutte constamment contre les prédateurs vicieux et sanguinaires que sont les morlocks. Mais les humains sont globalement des gens biens, qui essayent de s'en sortir, qui coopèrent pour reconstruire, qui aident leur prochain.

Cela me turlupinais pas mal, il y a quelques semaines. Je passais par une phase de découragement: à quoi bon écrire un univers post-apo si cet univers est rempli de "gentils"? J'avais l'impression d'écrire le post-apo de "Mon petit Poney", si vous voyez ce que je veux dire, d'écrire un monde post-apo version "Joséphine ange gardien"...

Et puis en discutant avec une amie, elle m'a fait prendre conscience que c'était ma vision de la chose et qu'elle avait autant de valeur que les autres. J'ai foi en l'être humain, je suis fondamentalement optimiste, lorsque je tombe sur un problème, je vois avant tout l'opportunité de trouver une solution... Et cela se ressent dans mon univers. C'est un monde dur et violent, mais marqué par le courage et la résilience de ses habitants. Ce sont mes valeurs, c'est ma marque et je l'imprime sur mon monde. Cela reste du post-apo, mais à ma façon, à ma sauce. Un post-apo à la Jules Vernes, où l'homme explore une planète largement vierge, dangereuse mais terriblement belle, ou il fait face avec courage à l'adversité. Plutôt que d'essayer de le noircir afin de coller aux canons du genre, j'ai décidé de le laisser vivre sa vie dans mon esprit, et je vais continuer à l'explorer avec fascination sans plus me prendre la tête pour essayer d'écrire quelque chose qui ne me correspond pas.

Bonne lecture :)

vendredi 8 mai 2015

La loi des plaines, chapitre 6

Voici la suite de la "Loi des Plaines", ma nouvelle située dans le monde du roman que j'écris, "Les citées assiégées de Yaghan", en anglais "The besieged cities of Yaghan". Dans le chapitre précédent, Yahnee, sous forme d'esprit, assiste à l'attaque du train éolien "Veronica" par une horde de morlocks, et à sa défense par les guerriers magiciens d'élite de Gond. 

«Frère Yahnee. Peur. Dents pointues. Peur. Dents pointues. Combat.
Frère Yahnee".

Le cri de Wakaree sortit Yahnee de sa fascination, le renvoyant instantanément dans son corps. Sous lui, il sentit les muscles de sa monture frissonner de tension. C'était un mélange de peur et d'agression, la réponse naturelle d'un cheval face à un prédateur. Wakaree était parfaitement entraîné et rompu au combat, d'où le relatif calme de sa réaction, mais Yahnee compris immédiatement le danger. Pour un chasseur aguerri, les mouvements brusques des longues herbes de la plaine ne laissaient aucun doute quand à la menace qui planait sur eux.

"Des carnirats. Wakaree, tu as bien fait de m'appeler" dit Yahnee. Les oreilles du cheval étaient droites et légèrement tournées vers son
cavalier, en attente d'instructions.

Un bruit derrière eux, un cri aigu. Yahnee tenta d'atteindre son arc, mais Wakaree était bien plus rapide que lui et d'une ruade, il écrasa la tête du premier carnirat assez fou pour essayer de lui mordre les jarrets. Yahnee fit voler une flèche, accompagnée d'un claquement de la corde faite de tendons de son arc et en tua un autre. Les carnirats étaient l'autre fléau des plaines, des animaux de la taille d'un gros chat qui vivaient dans des terriers et chassaient en meute, en infligeant des centaines de blessures à des proies beaucoup plus grandes qu'eux grâce à leurs dents acérées. Les Nʉmʉ les haïssaient avec passion et détruisaient chaque nid qu'ils rencontraient. Comme les Morlocks, ils étaient des adversaires redoutables pris individuellement, mais c'était en large nombre qu'ils devenaient vraiment mortels. Une horde pouvaient submerger n'importe animal, même le roi des
plaines, l'imposant kʉtsʉtoya. Heureusement, ce soir là, ce n'était qu'une petite meute. Yahnee hurla le cri de guerre des Nʉmʉ, un cri
aigu à vous glacer le sang, perçant et lancinant, tellement terrifiant que même les carnirats eurent un moment de recul en l'entendant.

Comme s'il attendait ce signal, Wakaree s'élança. Il piétina plusieurs rats et rompit momentanément leurs rangs mais les petits diables se lancèrent bientot allaient à sa poursuite. Ils essayèrent à nouveau de lui lacérer les talons, mais Yahnee était plus rapide et les tua l'un après l'autre avec des flèches bien placées. Quand enfin il se trouva à court de munitions, il saisit sa lance courte, prêt à embrocher les rats les plus proches. Il n'eu finalement pas à le faire car les rats cessèrent rapidement leur poursuite: une proie ripostant si violemment n'en valait pas la peine.

En temps normal Yahnee aurait rebroussé chemin et tué les traînards ainsi que tous les rats qu'il pouvait trouver, mais il était seul, et
seul, on savourait la victoire du jour et on ne tentait pas le diable. C'était une petit meute mais d'autres pouvaient se cacher aux
alentours, potentiellement trop nombreux pour que Yahnee puisse leur faire face. Le jeu n'en valait pas la chandelle. Se fiant à sa vision perçante, ils revinrent sur leurs pas, afin que Yahnee puisse récupérer autant de flèches que possible. Il ne les trouva pas toutes, les rats blessés s'étaient probablement faufilé dans un terrier pour mourir.

Ses pensées se tournèrent à nouveau vers le train et il se demanda s'ils avaient réussi à échapper à la horde de morlocks. Il regarda dans la direction de la bataille, quant il fut soudain aveuglé par une énorme explosion. Il était à des dizaines de kilomètres de là, mais malgré la distance il sentit tout de même l'onde de choc.

"Wakaree, je dois savoir ce qui se passe" dit Yahnee. «C'est bien mon ami, tu restes alerte, les carnirats sont probablement encore proche. Tu me protéges, Wakaree. Je serais bientôt de retour". Le fier  alezan brillait de sueur. Il ne réussit pas à répondre, il était trop excité, les images formées par son esprit étaient floues et incohérentes. Malgré tout, Yahnee était confiant, Wakaree finirait par se détendre. Il connaissait bien
son partenaire.

Il ferma les yeux et une fois de plus, s'imagina debout à côté du train, il visualisa tous les détails de la scène, puis "poussa". Sa conscience se déplaça vers ce point et juste comme ça, il fut hors de son corps. Presque instantanément, il se retrouva là-bas, à quelques
dizaines de mètres devant la locomotive, tel un fantôme planant au-dessus de la douce herbe des plaines.

mercredi 6 mai 2015

La loi des plaines, chapitre 5

Soudain, il remarqua plusieurs silhouettes différentes de celle d'un civil typique. Ils étaient habillés et équipés comme des guerriers, ils se déplaçaient avec une vitesse et une agilité surnaturelle et leurs armes semblaient être une extension d'eux-mêmes. Ils réussissaient à tenir tête aux morlocks, il semblait même qu'ils s'en débarrassaient avec une relative facilité. Les misérables humains pervertis par Tanasi-pʉetʉyai étaient plus grands et plus forts qu'un homme normal, mais cela n'avait pas d'importance. Ils avaient des lames osseuses saillant de leurs bras ou les crocs d'un carnirat, certains avaient des griffes tranchantes comme des rasoirs en lieu et place d'ongles, mais cela aussi n'avait pas d'importance. Pour les plus étranges d'entre eux, ils avaient de longues queues préhensiles terminées par un dard acéré, mais cela n'avait pas d'importance non plus... Chaque pʉetʉyai était une parodie d'être humain unique, chacun d'entre eux était plus étranger et plus effrayant que son voisin, chacun était une machine à tuer enragée et vicieuse mais contre ces guerriers, rien de tout cela ne semblait avoir d'importance. Ils ripostaient avec une violence inouïe et leurs exploits et leur courage étaient presque plus monstrueux que les pʉetʉyai eux-mêmes.

L'un d'eux, un soldat grand et sec aux cheveux sombres vêtu d'une armure de cuir cloutée noire, se précipita à l'aide de deux passagers qui avaient été acculés par les morlocks. Malheureusement, les bêtes furent plus rapides que lui et mirent en pièces les pauvres gens avant qu'il n'ait eu le temps de les rejoindre. Comme d'habitude, ils commencèrent à se battre entre eux pour les restes de leurs proies. Le regard du soldat aux cheveux sombre sembla se vider pendant un instant, juste assez longtemps pour que Yahnee puisse le dévisager complètement. Il n'était que légèrement plus âgés que le jeune brave, mais il dégageait quelque chose de spécial, une forme d'intensité rare, même chez les plus grands chamanes des tribus. Il semblait plus «réel» que son environnement, si cela a un sens. Puis Yahnee remarqua ses yeux: ses iris étaient noirs comme la nuit, mais il y avait autre chose. Un anneau d'or entourait ses pupilles et alors que la colère commençait à monter en lui, cet anneau changea de couleur et se mit à briller d'un rouge ardent.

Soudain, quelqu'un se mit à appeler à l'aide à l'avant du train. Le sombre guerrier fit volte-face et commença à courir dans cette direction. Intrigué, Yahnee le suivit.

Malheureusement, une fois de plus le soldat arrivait trop tard: un autre civil, un garçon pas âgé de plus de 14 révolutions était immobilisé sous un pʉetʉyai et hurlait de douleur. Yahnee se rendit tout de suite compte que rien ne pouvait plus le sauver à présent, il était trop grièvement blessé. Le soldat noir ne s'arrêta même pas. Il passa devant le terrible spectacle en courant et lança un poignard qui se ficha jusqu'à la garde dans le crâne du pauvre garçon, comme si l'os avait été mou comme du beurre. En un éclair, Yahnee compris pourquoi: le sombre guerrier était en fait un chaman, ou, comme on disait à Gond, un Sculpteur. Il était béni par le plus grand Don qui soit: il pouvait modifier la réalité autour de lui, ce qui expliquait probablement comment il avait fait pour rendre ses dagues et ses épées aussi incroyablement aiguisées. On avait expliqué à Yahnee que ses propres Dons fonctionnaient globalement selon le même principe, mais il n'y avait jamais cru. Il était juste un jeune brave qui aimait chevaucher dans les plaines et faire la guerre aux pʉetʉyai.


Yahnee reprit ses esprit. Il avait dérivé pendant un instant et avait été presque renvoyé dans son corps. Être le témoin d'un tel Don était si incroyablement exceptionnel que malgré la sauvagerie de la bataille, Yahnee était émerveillé. A la vitesse de la pensée, il gagna du terrain sur le sombre guerrier. L'homme avait atteint l'avant du train et, une lame dans chaque main, s'était lancé sur une masse de morlocks qui avait acculé un autre combattant contre la proue du train. Un kʉtsʉtoya mort gisait en travers des rails.

Cela expliquait tout, voilà pourquoi le train s'était arrêté! Satisfait d'avoir élucidé au moins ce mystère, il se retourna pour regarder les Élites se battre. Ce qu'il vit dépassa tout ce qu'il avait pu imaginer au sujet de ces célèbres soldats. Les Nʉmʉ n'étaient pas des lâches. Au contraire, ils avaient la réputation d'être des combattants redoutables, parmi les tous meilleurs de la planète. Yahnee lui-même pensait qu'il était un guerrier valeureux  ... Mais ces deux hommes étaient dans une catégorie complètement à part.
L'homme en noir bougeait si vite que l'œil ne pouvait pas suivre ses mains. Ses lames tranchaient chair et os comme s'ils ne étaient pas là, quasiment chacun de ses frappes tuait ou mutilait un morlock. Son compagnon, un géant avec un mohawk délirant en guise de coiffure, était tout aussi redoutable, peut-être même plus. Chacun des coups de son énorme marteau abattait un pʉetʉyai et l'envoyait valdinguer, en renversant plusieurs autres. Peu importe que cela soit un petit démon affamé et hurlant ou un monstre de 7 pieds de haut, ils semblaient tous légers comme des plumes. Malgré sa force terrifiante, il avait semblé en danger d'être submergé par le nombre de monstres, mais grâce à l'aide du guerrier aux cheveux noirs, il arrivait maintenant à repousser la masse des assaillants. C'était impossible!

Une fois de plus, Yahnee réalisa qu'il devait partir afin d'avertir sa troupe, maintenant qu'il savait ce qui se passait. Les passagers du train arriveraient ou pas à échapper aux pʉetʉyai, cela n'avait pas d'importance pour lui. Son devoir était de s'assurer que la tribu était en sécurité. Peut-être que les braves mèneraient une expédition punitive. Ils iraient trouver et détruire les bêtes, afin de laver la pureté des plaines de ce mal immonde. Telle était la Loi des Plaines: d'abord s'assurer de la survie de soi et des siens. Si vous surviviez assez longtemps pour voir un autre jour, vous pouviez toujours venger les morts.


Une fois de plus, ses pensées furent interrompues. Le sombre guerrier avait ramassé une lanterne qui éclairait la scène et l'avait jeté loin dans la masse de morlocks. Celle-ci avait explosé dans une énorme boule de flammes. En temps qu'esprit, Yahnee n'aurait pas dû sentir la chaleur, mais pourtant si. Pis que cela, il sentait que le tissu même de la réalité était mutilé; il était tiré, poussé, cisaillé, frappé, étranglé... Il sauta en arrière, se propulsant haut dans le ciel, loin au-dessus des nuages. C'était une erreur commune chez les Marcheurs, le mouvement se produisait à la vitesse de la pensée et un mouvement brusque dû à la peur pouvait vous envoyer n'importe où. Yahnee se calma et plongea vers le train. Le guerrier venait d'utiliser une magie très puissante, il avait transformé la petite flamme de la lanterne en dizaines de fantasmatiques esprits du feu qui sautèrent d'un morlock à l'autre, les brûlant horriblement. Ce bref moment de répit permit aux deux guerriers d'aider un civil qui se cachait derrière le dos immense du guerrier au mohawk de regagner la sécurité du train.


Au dessus d'eux, dans le poste de pilotage, Yahnee entendit quelqu'un aboyer des ordres. L'équipage du train avait en grande partie réintégré la sécurité de l'acier des compartiments et avait commencé à faire pleuvoir des projectiles sur les morlocks. Une fumée noire s'échappait de la cheminée du train. Mohawk se précipita vers l'énorme cadavre de kʉtsʉtoya qui barrait la route du train. Il était à moitié dépecé, l'équipage avait apparemment été occupé à l'équarrir afin de pouvoir libérer la voie, et de la nourriture, en particulier de la viande, n'était jamais gaspillée sur Yaghan, ce qui expliquait probablement pourquoi ils étaient arrêtés depuis si longtemps. Une fois de plus Yahnee senti le tissu de la réalité trembler, mais à une échelle bien moindre que lorsque le soldat noir avait créé une explosion. Le grand guerrier s'attela à la tâche titanesque de déplacer ce qui restait de la carcasse. Cela aurait du être impossible, les restes du cadavre massif devaient probablement toujours peser au moins autant que quelques chevaux, mais ces hommes n'étaient pas soumis aux lois de la réalité et pouce par pouce, la dépouille de l'animal bougea hors du trajet du train.


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