Il fait un temps magnifique. Après trois mois passés à hiberner cela fait un bien fou. Malgré la température plus que clémente, je me couvre chaudement, blouson, écharpe, bonnet. Je suis extrêmement sensible au froid. Je me tartine de crème solaire indice 50 (le soleil est malheureusement devenu quelque chose dont je dois particulièrement me méfier) et je me met en marche.
Vendredi 16h
Je descend University Avenue. Les gens dans les magasins sont comme des poissons rouges dans un aquarium. Ils passent leur temps à manger et à regarder dans le vide comme s'ils ne voyaient pas le monde qui vibre de vie autour d'eux.
Vendredi 16h30
Je passe devant un bouquiniste, le seul du quartier chez qui je ne suis jamais rentré. La vitrine ne contient que des livres bizarres qui ne m'ont jamais attiré. J'entre pourtant, pris d'une impulsion subite. J'erre sans but pendant un temps indéterminé dans le dédale de livres. Je commence à fatiguer, et quand je fatigue je marche doucement, comme une personne âgée, la propriétaire doit se dire que je suis un peu attardé. Je commence à désespérer de trouver quelque chose d'intéressant quand mon regard se pose sur un livre que je cherche depuis plusieurs semaines, à un prix défiant toute concurrence. Tiens donc.
Vendredi 16h45
J'ai décidé de finir ma balade dans le parc de l'Université, de me trouver un banc légèrement à l'ombre pour pratiquer une méditation au nom sympathique: "Regarder les oiseaux"... J'aperçois un banc très chouette, je me hâte avec lenteur mais une dame me prend de vitesse et s'installe en plein milieu du banc. On pourrait être à deux sur ce banc, mais elle occupe farouchement tout l'espace. Bon, ce n'était donc pas le bon banc. Je continue à marcher au hasard.
Vendredi 17h
J'ai fait tout mon possible pour me perde, et j'arrive au parc des cerisiers en fleur. Cet endroit, je ne le trouve pas quand je le cherche, alors il suffit de ne pas le chercher et il vient à moi, il suffit de bouger les pieds en cadence. Il y a un banc parfait, légèrement à l'ombre des cerisiers. Une dame est assise à gauche et prend le soleil, je m'assied à sa droite. C'est comme ça que je préfère méditer, dehors, au soleil, dans un parc avec les enfants qui courent et qui braillent, les chiens qui viennent te renifler, les étudiants qui font une séance de photo... Je regarde les bourgeons de fleurs de cerisier pousser.
Dimanche 17h
Il fait à nouveau un temps magnifique alors nous sommes allés nous balader dans Fremont. Il y a un marché tous les dimanches qui est agréable et ou ce n'est pas la cohue. Comme d'habitude, sans prévenir, comme un marathonien au 30ème kilomètre, je me prend le Mur en pleine figure, et nous devons rentrer. Sur le chemin qui rejoint la voiture, je reparle à Celia des débuts de ma leucémie. A l'époque, j'ai en effet senti dès le début qu'un truc clochait. Je peux dire très exactement quand ma maladie à débuté, mais j'ai mis quatre semaines à m'inquiéter suffisamment pour aller voir le médecin. Je ressasse, me demandant ce qui aurait pu se passer si j'avais réagi plus vite.
Soudain Celia bifurque et coupe au travers du parking d'une station service. Quand je suis fatigué comme cela, je n'aime pas ce genre de "surprise", il me faut plusieurs secondes pour percuter qu'elle a changé de direction et la suivre. Je maugrée, surtout qu'il faut enjamber un parterre de fleurs... Dans lequel est planté ce panneau.
Léonor Wood, 2 ans, survivant d'une leucémie |
C'est comme si le monde, avec un énorme doigt cosmique, m'avait tapé sur l'épaule. T'as fini de râler? Je suis pétrifié, sidéré. Il me faut un temps certain pour reprendre mes esprits et digérer l'information.
T'as raison, faut que j’arrête de rouspéter.
Le monde sourit.