Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs d'un Français expatrié puis revenu des Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de mon combat contre la leucémie, les séquelles de la greffe de moelle osseuse et le cancer secondaire apparu en Janvier 2024...

mardi 27 mars 2012

Balades de printemps

Vendredi 15h

Il fait un temps magnifique. Après trois mois passés à hiberner cela fait un bien fou. Malgré la température plus que clémente, je me couvre chaudement, blouson, écharpe, bonnet. Je suis extrêmement sensible au froid. Je me tartine de crème solaire indice 50 (le soleil est malheureusement devenu quelque chose dont je dois particulièrement me méfier) et je me met en marche.

Vendredi 16h

Je descend University Avenue. Les gens dans les magasins sont comme des poissons rouges dans un aquarium. Ils passent leur temps à manger et à regarder dans le vide comme s'ils ne voyaient pas le monde qui vibre de vie autour d'eux.

Vendredi 16h30

Je passe devant un bouquiniste, le seul du quartier chez qui je ne suis jamais rentré. La vitrine ne contient que des livres bizarres qui ne m'ont jamais attiré. J'entre pourtant, pris d'une impulsion subite. J'erre sans but pendant un temps indéterminé dans le dédale de livres. Je commence à fatiguer, et quand je fatigue je marche doucement, comme une personne âgée, la propriétaire doit se dire que je suis un peu attardé. Je commence à désespérer de trouver quelque chose d'intéressant quand mon regard se pose sur un livre que je cherche depuis plusieurs semaines, à un prix défiant toute concurrence. Tiens donc.

Vendredi 16h45

J'ai décidé de finir ma balade dans le parc de l'Université, de me trouver un banc légèrement à l'ombre pour pratiquer une méditation au nom sympathique: "Regarder les oiseaux"... J'aperçois un banc très chouette, je me hâte avec lenteur mais une dame me prend de vitesse et s'installe en plein milieu du banc. On pourrait être à deux sur ce banc, mais elle occupe farouchement tout l'espace.  Bon, ce n'était donc pas le bon banc. Je continue à marcher au hasard.

Vendredi 17h

J'ai fait tout mon possible pour me perde, et j'arrive au parc des cerisiers en fleur. Cet endroit, je ne le trouve pas quand je le cherche, alors il suffit de ne pas le chercher et il vient à moi, il suffit de bouger les pieds en cadence. Il y a un banc parfait, légèrement à l'ombre des cerisiers. Une dame est assise à gauche et prend le soleil, je m'assied à sa droite. C'est comme ça que je préfère méditer, dehors, au soleil, dans un parc avec les enfants qui courent et qui braillent, les chiens qui viennent te renifler, les étudiants qui font une séance de photo... Je regarde les bourgeons de fleurs de cerisier pousser.

Dimanche 17h

Il fait à nouveau un temps magnifique alors nous sommes allés nous balader dans Fremont. Il y a un marché tous les dimanches qui est agréable et ou ce n'est pas la cohue. Comme d'habitude, sans prévenir, comme un marathonien au 30ème kilomètre, je me prend le Mur en pleine figure, et nous devons rentrer. Sur le chemin qui rejoint la voiture, je reparle à Celia des débuts de ma leucémie. A l'époque, j'ai en effet senti dès le début qu'un truc clochait. Je peux dire très exactement quand ma maladie à débuté, mais j'ai mis quatre semaines à m'inquiéter suffisamment pour aller voir le médecin. Je ressasse, me demandant ce qui aurait pu se passer si j'avais réagi plus vite.

Soudain Celia bifurque et coupe au travers du parking d'une station service. Quand je suis fatigué comme cela, je n'aime pas ce genre de "surprise", il me faut plusieurs secondes pour percuter qu'elle a changé de direction et la suivre. Je maugrée, surtout qu'il faut enjamber un parterre de fleurs... Dans lequel est planté ce panneau.

Léonor Wood, 2 ans, survivant d'une leucémie

C'est comme si le monde, avec un énorme doigt cosmique, m'avait tapé sur l'épaule. T'as fini de râler? Je suis pétrifié, sidéré. Il me faut un temps certain pour reprendre mes esprits et digérer l'information.

T'as raison, faut que j’arrête de rouspéter.

Le monde sourit.




lundi 19 mars 2012

7ème semaine de sensibilisation au don de moelle osseuse

Cette semaine (du 19 au 25 mars), c'est la 7ème semaine de sensibilisation au don de moelle osseuse.

Tout au long de cette semaine, vous pouvez participer à un court métrage web en vous connectant sur le site de Don de moelle osseuse Français, et c'est aussi l'occasion d'en parler autour de vous, de twitter comme des fous, de partager le lien de l'agence (et de mon blog, ahah) sur Facebook.

Vous pouvez retrouver sur le site toutes les infos sur le don ainsi que toutes les étapes pour s'inscrire au registre des donneurs de moelle osseuses (qui en France s'appelle fièrement, car il faut en être fier, les veilleurs de vie).

J'ai aussi écrit un post expliquant à quoi sert le don de moelle osseuse, ainsi qu'un autre qui explique comment se passe le don en pratique.


Il faut savoir une chose, c'est que des pays ayant un registre de donneurs de moelle, la France a l'un des plus petits registre: 200 000 donneurs pour 65 millions d'habitants. Cela fait 1 donneur pour 325 personnes. En Allemagne, c'est à peu près un donneur pour 40 habitants; aux US c'est 1 pour 75. Il semble que le registre Français soit de meilleure qualité (moins de désistements), mais bon, la taille du registre est quand même un facteur important vu les probabilités d'avoir un individu compatible (estimée à  un sur un million). Pour un des pays ayant la meilleure médecine du monde, voir la meilleure médecine du monde, on peut vraiment mieux faire, il faut mieux faire!

Si vous avez un tant soi peu été touché par mon parcours, je compte sur vous pour faire le maximum pour vous mobiliser durant cette semaine, et pourquoi pas en profiter pour vous inscrire? Dans notre société de plus en plus individualiste, c'est l'occasion de faire un vrai geste de solidarité, de vraiment sauver une vie. Ce n'est pas comme donner 10 euros au Téléthon, dont vous ne saurez jamais s'ils sont vraiment utilisés pour la recherche. C'est concret: vous êtes compatible avec un malade, vous lui sauvez la vie. C'est simple. C'est aussi une occasion utile de dépasser vos peurs.

Pour conclure ce post, permettez moi d'être cru et franc: si je n'avais pas eu de donneur, je serais probablement mort aujourd'hui, à 32 ans. Je n'ai que 2 donneurs compatibles dans le monde. Certains n'ont pas ma chance et meurent faute de don, il suffit de lire quelques blogs de malades pour s'en rendre compte. Je ne vous mettrais pas de lien parce que je ne peux pas lire cela personnellement, cela me touche trop; mais je vous laisse chercher si vous voulez être convaincu.

Bonne mobilisation!

mercredi 14 mars 2012

Des hauts et des bas

Bon on nous avait prévenu, après la transplantation, il faut s'attendre à des hauts et des bas.

Je suis actuellement à 6 mois post transplantation et j'ai toujours des périodes de creux, comme en ce moment. Je suis claqué, j'ai mal au crâne, j'ai froid, j'ai envie de vomir, j'ai mal au bide. Une journée standard dans le monde des transplantés., faut pas s'inquiéter. Dans 2 ou 3 jours, je serai à nouveau sur pied.

Je n'ai pas super envie d'écrire du coup, comme vous pouvez vous en douter. Du coup, je voudrais en profiter pour vous recommander le blog de Victoria, une américaine originaire de Seattle expatriée à Paris.

Cela fait un moment qu'on se connait par blog interposé, et l'été dernier elle est venue, à l'occasion de vacances passées dans sa ville natale, me rendre visite à l’hôpital et ce malgré le temps limité dont elle disposait.

Son blog est franchement génial, avec une réflexion profonde sur l'immigration, l'expatriation, la citoyenneté, l'émigration... Honnêtement, si deux trois de nos politiques pouvaient lire son blog et en prendre de la graine! (A mais non, j'oubliais, la moitié de notre gouvernement ne sait pas lire pardon, lire l'anglais -).  D'ailleurs parfois je lui en veut, car elle écrit avant moi ce que j'ai dans le crane :).

Bon allez, je retourne comater, portez vous bien.

jeudi 8 mars 2012

Le soignant

Aujourd'hui, cela fait un an jour pour jour que l'on m'a diagnostiqué une leucémie.

Je vais bien, aussi bien que l'on puisse l'espérer pour quelqu'un ayant subit une transplantation de moelle osseuse. Fatigué, essoufflé, mais globalement en bonne santé.

J'aurais beaucoup à dire sur ce que m'inspire cet étrange anniversaire, mais c'est en réalité l'occasion parfaite de parler d'autre chose que de moi et de casser cette habitude d'être centré sur ma petite personne, ce qui est au passage un des pièges de ce type de maladie.

Aujourd'hui donc, je voudrais vous parler de mes "soignants". J'utilise ce terme car je ne sais pas comment on dit en français. Pour tout vous avouer, c'est une traduction Google Translate du mot anglais "caregiver", que nous utilisons pour décrire ce rôle dans notre espèce de franglais quotidien.

Si l'on traduit littéralement, "giver" veut dire "celui qui donne", et care peut vouloir dire: "soins", "attention", "souci", "surveillance", "responsabilité", "inquiétude", mais aussi "s'occuper de", "se soucier", "faire attention", "aimer", "désirer" suivant le contexte.

"Donneur de soins" est la traduction la plus littérale de ce mot que l'on utilise pour parler d'une personne, souvent un ou des membres de la famille du patient, qui s'occupe de lui au quotidien. C'est intéressant de connaitre tous les sens de "care", car cela nous montre bien la profondeur et la multitude des rôles de cette (ou ces) personne(s).

Je ne suis pas certain qu'il y ai un mot en français qui aie exactement la même signification. "Soignant" me semble inadapté, puisque l'on ne parle pas de personnel médical. Garde-malade me semble étrange aussi. Bref, je veux vous parler de mes "caregivers".

Au cours de ma maladie, j'ai eu plusieurs "caregivers". Certains pour juste une soirée (Can, Emre et Santhosh, qui sont venu faire les gardes-malade pour permettre à Celia de prendre du temps pour elle). Certains plus longtemps: mes parents, mon frère, mon beau-père, ont fait le voyage à différent moments.

Mais mon caregiver, vous vous en doutez, c'est avant tout ma femme.

C'est vraiment un rôle de l'ombre, et un rôle ingrat, que celui de "caregiver". Tout le monde s'inquiète du malade, lui envoie des messages, des cadeaux, prend de ses nouvelles... Mais très rarement on s'inquiète du "caregiver" alors que c'est le rôle le plus difficile dans cette bataille (bon, à part la partie où tu risques de crever, faut avouer).

On m'a déjà dit que j'étais courageux face à la maladie. C'est peut-être vrai, mais je n'ai pas beaucoup de mérite: je n'ai pas le choix et c'est mon boulot à plein temps.

Ma femme, par contre, elle a du mérite. Quand je suis tombé malade, elle a assumé du jour au lendemain l'intégralité des taches du foyer (cuisine, ménage, courses, factures, litière du chat), et ce en passant une semaine par mois à dormir à l’hôpital, voire un mois entier durant la transplantation, en m'accompagnant aux transfusions (elle me rejoignait après le boulot, certaines se sont terminées vers une heure du matin). Elle a aussi changé mon pansement chaque semaine, une tache délicate car il faut évidement que cela soit fait de la façon la plus stérile possible, elle m'a fait mes deux injections quotidiennes de facteur de croissance jusqu'à ce que j'apprenne à les faire moi-même, a pris soin de moi alors que j'étais complétement explosé par le fentanyl après chaque aspiration de moelle osseuse... Je pourrai continuer la liste longtemps!

D'ailleurs, ne croyez surtout pas que cette liste soit exhaustive. Au début de mon traitement, j'ai par exemple failli perdre mon travail et par conséquent mon assurance santé à cause d'une formalité administrative. Qui est-ce qui a tout fait pour que je garde mon travail, sans rien me dire pour ne pas m'inquiéter? Des exemples comme ça, j'en ai assez pour écrire un bouquin (tient c'est une idée ça, si vous êtes éditeur...).

Et pendant tout ce temps, elle a continué à travailler!

Je ne sais pas si vous arrivez à vous imaginez ce que cela représente. Pour être plus précis, je sais que si vous n'avez pas eu ce genre d'expérience (et heureusement pour vous d'ailleurs, je ne vous le souhaite pas) vous ne pouvez pas vous imaginer ce que cela représente. No offense, comme on dit.

Et vous savez, elle, contrairement à moi, elle a le choix. Du jour au lendemain, elle peut décider qu'elle en a marre de toute cette merde, prendre ses cliques et ses claques et partir voir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs. Bon, soyons réaliste, je doute qu'elle retrouve un mari ayant mes talents (hin hin), mais elle a le choix, et elle a tenu le coup, contre vents et marrées. C'est ça le vrai courage.

Vous me direz peut-être, c'est normal, c'est ta femme... Et bien non. Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre d'histoire que j'ai entendu où le conjoint soit vit dans le déni, soit se barre purement et simplement. Une infirmière nous a dit un jour, "Vous verrez, cela rendra votre mariage plus fort"... Oui, surement, à condition qu'il ne soit pas détruit d'abord par tout ce stress, cette fatigue, cette angoisse, qui a envahi nos vies.

Aujourd'hui, je sais que ma Celia, elle est fatiguée. Cette maladie lui a aussi causé des blessures qui mettront du temps à cicatriser. J'essaie comme je peux de m'occuper d'elle. Pas facile avec mes limitations physiques et mes propres phobies, pour certaines choses, je suis encore obligé de me reposer entièrement sur elle. Mais j'essaie.

Et en ce jour d'anniversaire, quoi de plus approprié que de lui dire merci. Si je suis en vie, en aussi bonne santé, et heureux, c'est en grande partie grâce à elle.

Merci.

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