Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs d'un Français expatrié puis revenu des Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de mon combat contre la leucémie, les séquelles de la greffe de moelle osseuse et le cancer secondaire apparu en Janvier 2024...

mardi 20 janvier 2015

La responsabilité de tous

Il y a un post qui mûrit dans ma tête depuis un bon moment qui prend un nouveau sens avec les évènements récents. Je vais l'écrire comme je l'aurais écrit il y a quelques semaines... Puis j'ajouterai quelques choses à la fin.

Depuis plusieurs semaines donc, je me dis qu'en fait, nous sommes tous coupables, mais que nous rejetons toujours la responsabilité sur un "autre" sans visage. Vous allez comprendre.

Vous savez, lorsque l'on critique les américains moyens qui se jettent sur les vitrines des magasins lors de Black Friday... "Les gens" sont cons, n'est-ce pas? Par contre la cohue à la Fnac Saint Lazare avant noël, la marée humaine des soldes à laquelle nous participons allègrement... Plus lourd, quand la France va en guerre au Chad pour sécuriser les approvisionnements d'Uranium, c'est horrible, non? Pourtant on laisse toutes nos lumières allumées, pire on met des lumières de Noël un peu partout... Moins chargé politiquement? On se plaint de la malbouffe et des conditions horribles d'élevage des animaux et du "poulet aux hormones"... Pourtant on préfère se payer une nouvelle TV tout les 3 ans plutôt que d'accorder un budget conséquent à ce que l'on ingère, cautionnant de fait les raccourcis infâmes des industriels...

Plus généralement, j'entends parfois depuis que je suis rentré des trucs du genre "Les Français sont cons", "On vit dans un pays d'immobilisme" etc, etc. Mais nous, bien sûr, nous ne sommes pas comme les autres nous ne sommes pas gagne-petit, nous ne sommes pas réfractaire au changement, nous ne sommes pas pessimiste... Mais alors qui sont ces autres? En fait ce sont tous ces gens sans visage que nous ne connaissons pas, qui sont à la périphérie de notre cercle social. Nous excluons inconsciemment nos amis, notre famille...

Pourtant, nous sommes tous responsable. Nous nous croyons tous exceptionnels, mais nous sommes tous pareils (sauf moi), d'ailleurs il suffit de s'intéresser un peu aux sciences du comportement pour constater à quel point une majeure partie de nos réactions sont automatiques et quasiment les mêmes pour 80% de la population. Nous sommes tous une composante de ce qui ne tourne pas rond, même si la pub nous vend que nous sommes exceptionnels.

C'est un truc qui était encore plus flagrant aux US. A la TV on voit un reportage sur quelqu'un, qui nous est présenté comme un homme modèle, père de famille, travailleur, avec la bonne petite famille américaine, honnête, heureuse avec des enfants magnifiques... L'archétype du bon et du bien, de la Liberté avec un grand "L".

Et puis lorsque l'on regarde de plus prêt, on trouve dans le garage deux voitures énormes qui sucent en une heure l'énergie qu'utilise un somalien en un an, des télés dans chaque chambre, des bouteilles de Coca plein le frigo... Un mode de vie où cette famille consomme 9 fois plus d'énergie que la moyenne mondiale (en France, c'est 6 je crois) et consomme a des prix cassés que leur propres producteurs ne peuvent pas se payer (chocolat?). Conséquence, dépendance au pétrole, contrôle des US sur le moyen-orient, guerre diverses pour l'approvisionnement énergétique, spéculation sur les matières premières...

Je vais encore attaquer le problème sous un autre angle. En Mongolie, le chamanisme a été interdit sous la domination communiste et a survécu en secret malgré l'oppression. En 94 lorsque la Mongolie s'est ouverte à l'extérieur et au capitalisme, il restait 30 chamanes. En 20 ans, l'occident s'est intéressé à ces traditions anciennes, et les mongols à l'occident. Aujourd'hui, il y a 3000 chamanes en Mongolie, l'immense majorité étant des chamans bidons qui singent la tradition et la dilue et la pervertisse. Pendant ce temps, les vrais chamanes, des éleveurs de rennes qui vivaient une vie heureuse dans les steppes où ils ne manquaient de rien, découvrent les téléphones portables, les télés, et veulent tenter leur chance à la ville pour pouvoir se payer des biens qui ne leur manquent que depuis qu'ils en connaissent l'existence. La plupart galèrent et sombrent dans la pauvreté et les vices de la société moderne alors qu'ils avaient une vie riche, heureuse, et saine. Le capitalisme arrive à faire en quelques années ce que le communisme n'a jamais réussi à faire. Une destruction insidieuse d'une culture, où tout le monde est persuadé de faire le "bien".

Je suis écœuré par les événements récents et plus encore par la réponse des médias et des politiques. Les causes de la monté des intégrismes est connue, c'est la misère sociale et plus encore l'inégalité entre les classes sociales. Sans compter l'influence néfaste des politiques occidentales un peu partout dans le monde (lisez Persépolis, ou l'histoire de la déstabilisation d'une démocratie naissante par les USA... Pas besoin de lire des livres d'histoire!). Pourtant, la réponse législative consiste en des mesures sécuritaires, avant de s'attaquer aux causes. Et l'occident s'offusque de 12 morts quand des populations de pays du tiers-monde sont génocidées dans l'indifférence générale. Et ebola, vous vous rappelez d'ebola? Non, hein?

C'est déprimant car notre société, pour la première fois de son histoire, dispose des solutions pour évoluer vraiment. Les technologies sont de plus en plus à même de nous apporter une indépendance énergétique qui soit propre, les traditions spirituelles s'ouvrent au monde, la médecine peut quasiment tout soigner (sauf la bêtise), l'outil informatique permet des avancées considérables et des choses impensables auparavant (monnaies décentralisées, vote participatif, par exemple) qui permettraient l'émergence d'une vraie société démocratique.

Mais non, on nous a vendu un modèle sociétal comme étant "le Bien et la Liberté", contre les méchants d'en face... Et on y croit, sans voir que nos "démocraties" commettent des crimes abominables tous les jours.

Honnêtement, je n'ai pas la solution. A Seattle, nous avions la possibilité de payer notre électricité plus cher pour qu'elle soit garanti provenant de sources renouvelables. C'est un premier pas. Au quotidien, j'essaie de travailler sur moi-même, mais je suis comme tout le monde: j'aime bien avoir une TV écran plat, et prendre la voiture quand je suis crevé. J'essaie de réparer les choses cassées, mais mon civisme s'arrête là. En fait il y a une forme d'abandon lorsque l'on constate que l'on se bat contre un moulin à vent, mais si la prise de conscience est globale, peut-être que des modèles différents naîtrons, qui sait?

Dans l'intervalle, je crois qu'il est important de prendre conscience que nous faisons partie du problème, que les cons ne sont pas les autres, que nous avons du sang sur les mains et de réfléchir à des solutions. Nous arriverons tous à des réponses différentes, certains deviendront écolo, d'autre s'investirons dans des assos caritatives, je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que tant que nous croirons que nous sommes les "meilleurs", les plus "libre", les plus "gentils"... Nous irons droit dans le mur.



mardi 6 janvier 2015

Bonne Année 2015

Bon j'avoue je ne savais pas bien quoi vous écrire pour vous souhaiter la bonne année 2015. J'ai un peu tout fait déjà, y compris me la péter comme je viens de le faire en quelques mots, et c'est dur de trouver une approche originale.

Ce matin je me suis levé vraiment déprimé, au fond du trou. Ça arrive. Et je ne sais pas pourquoi j'ai cherché cette vidéo, dont je vous avais peut être déjà parlé... Je ne me rappelais pas de la fin. Je vous laisse la regarder à nouveau.


Comme vous le savez, je ne crois pas aux coïncidences. Je suis persuadé que si l'on regarde assez attentivement, le monde nous fait signe en permanence. Et cette vidéo, qui fini par une révérence du personnage principal dans sa maison de Seattle, me parle, là tout de suite étant donné ce que je suis en train de vivre. Seattle, je tire ma révérence et te quitte avec beaucoup de nostalgie et d'amour dans le cœur pour écrire une nouvelle page.

2014 aura été une des pires années de ma vie. La pire, je crois bien. Pire que l'année du diagnostic, je pense car l'année du diagnostic était aussi une année d'espoir, de rassemblement, de courage... Cette année 2014 par contraste a été une année de solitude, de deuil, de douleur. La mort d'un frère d'école, Henry. La mort du Warrior (sa femme l'a tellement appelé par ce nom qui lui va si bien que j'ai toujours du mal à me souvenir de son prénom). La mort de Katy, diagnostiquée après moi et partie avant, que j'avais interviewé ici, qui avait bien compris comme tous les membres de notre petite communauté, que le bonheur se conjugue au présent. La rechute de Kristina, après 7 ans sans maladie, un truc de dingue qui n'arrive jamais. La rechute du fils d'un de mes amis, diagnostiqué un an après moi de la même maladie, qui va subir le seul traitement qui a un espoir de le sauver, la thérapie par lymphocytes reprogrammés.

Et puis pour terminer, la mort de ma grand-mère, ce 22 décembre. Il faut que je vous raconte, brièvement. Elle était à hôpital, suite à une chute, relativement stable. Nous avions décidé de tous nous retrouver le 22 dans notre maison de famille, pour la première fois tous ensemble depuis une dizaine d'année. Et puis le 21, coups de fils en catastrophe, nous sommes venus un jour plus tôt, sa condition empirant rapidement. Cela peut vous sembler dramatique, une mort avant noël, mais la plus grande hantise de ma mère était que la sienne parte seule dans une chambre hôpital, et cela a été un grand soulagement pour elle que de pouvoir l'accompagner jusqu'à son dernier souffle.

C'était la meilleure configuration possible pour cette mort: toute la famille réunie dans cette maison qui vivait une dernière fois un de ces rassemblements que notre grand-mère aimait tant. Les plus vieux des petits enfants pour gérer l'intendance pendant que les parents s'occupent des obsèques, et qui s'occupent aussi de leurs plus jeunes cousins. La famille soudée comme elle ne l'a jamais été.

J'ai parlé à l'enterrement, très brièvement, j'ai raconté l'anecdote suivante. Nous marchions en famille il y a une vingtaine d'année, je traînais à l'arrière avec ma grand-mère et un de mes petits cousins, bien plus jeune que moi, qui tout à coup demande "Mamie, qu'est ce qu'on devient quand on meurt". J'ai haussé l'oreille, et sa réponse m'a marqué à vie. Elle a dit, "Quand on est quelqu'un de méchant, personne ne se souvient de vous, mais quand on est quelqu'un de bon et de gentil, on devient des jolis souvenirs dans la mémoire des gens qui nous ont aimé". Et c'est vrai que lorsque je pense à elle, la première image qui me vient c'est son visage souriant alors qu'elle se penchait vers nous pour nous écouter, toujours très attentivement.

Il y a aussi eu des bons moments, comme la guérison de Sean, une personne très chère pour moi, que j'ai accompagné à l'hosto pendant sa deuxième transplant. J'ai bien cru qu'il allait claquer, ce con, mais non. Il est même de retour au taff avant moi. 2014, cela a aussi été l'année de l'indépendance, l'année où je peux à nouveau faire des trucs tout seul, comme un voyage à NYC en solitaire, où, coïncidence délirante, deux membres de ma famille se trouvaient en même temps.

2014, c'est aussi l'année où tout les aspects pratiques s’emboîtent correctement. Cela aurait pu être une année géniale s'il n'y avait pas eu les deuils et la douleur, car tout ce qui devait aller bien a fonctionné. Enfin presque tout.

Je disais dans un autre post que j'étais heureux d'être rentré et c'est vrai. Mais Seattle me manque aussi, je vous avait dit que ce n'était pas blanc ou noir. J'ai adoré cette ville, j'y ai vécu des choses incroyables et inoubliables qui ont changé ma vie d'une façon que je n'appréhende pas encore totalement. Mais la vie est un mouvement perpétuel et les vagues me poussent ailleurs.

C'est marrant, parfois des gens ou les médecins, me disent, "vous devez apprendre à lâcher prise" ou des variantes de la même chose. Sans se rendre compte que c'est à eux qu'ils se parlent, en s'imaginant à ma place avec les mêmes poids. Car s'il y a bien une qualité dont je ne manque pas, c'est justement le lâcher prise. J'ai vécu des joies et des peines qui dépassent tout ce que j'aurais pu imaginer. Pourtant je me rends compte de la chance que j'ai, tous les jours, et au quotidien, je souris plus souvent que je ne pleure, et j'ai vraiment compris je crois que le plus important c'est toujours de lâcher les peurs, les colères, les rancœurs, les douleurs et les peines. Refuser la peur et lâcher la colère, et accepter d'aimer et d'être aimé. D'avancer dans le monde en gardant un regard émerveillé, toujours disponible pour le bonheur. De laisser de jolis souvenirs dans la mémoire des gens.

Je vous souhaite une très bonne année 2015, et je vous laisse en musique.





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