Carnets de Seattle: Patchwork d'impressions et d'humeurs de deux Français expatriés aux Etats-Unis. Depuis mars 2011, ces carnets sont aussi le journal de notre combat contre la leucémie.

mercredi 26 mars 2014

Dépression post leucémie, 3 ans plus tard...

Cela va faire maintenant quelques semaines que je n’ai rien posté.

Rassurez-vous, tout va presque bien, c’est juste que j’ai atteint une espèce de point de saturation et que j’ai besoin de décompresser. Je pourrais écrire des posts sur Seattle et l’expatriation, mais en fait pour la petite histoire, j’ai commencé à écrire une nouvelle de science-fiction pour m’amuser et me changer les idées (et en anglais, histoire de pimenter le jeu), et je me suis tellement pris au jeu que c’est en train de devenir un vrai bouquin : j’en suis à environ 80 pages, en 3-4 semaines. Cela me passionne et je m’amuse tellement que j’ai du mal à faire autre chose que d’écrire ce bouquin ou me documenter et faire des recherches pour enrichir mon monde. C’est simple, j’y pense tout le temps, j’écris tous les jours et je m’éclate comme un petit fou.

C’est très amusant d’ailleurs, car il y a un processus un peu étrange : quand j’écris, je ne sais jamais trop ce qui va venir et où l’histoire va m’emmener. J’avais une idée très simple au début, qui s’est rapidement enrichie. Maintenant, j’ai globalement un plan du début à la fin, avec une idée de la structure globale (qui peut encore complètement changer, d’ailleurs), mais je ne sais absolument pas ce qui se passe après le chapitre que je viens d’écrire. Je me suis couché hier, après avoir terminé un chapitre, en disant à Celia : « J’ai hâte d’être à demain pour savoir ce qui se passe ensuite ! », parce que c’est vraiment comme cela que ça marche : je découvre l'histoire au fur et à mesure que les idées me viennent et s’assemblent. C’est très étrange et très sympa comme processus.

Je vais peut-être créer un blog et partager les premiers chapitres histoire d’avoir un retour et de vous montrer de quoi il retourne, mais je suis pas encore bien sur. Je suis partagé entre le désir de faire lire mon bébé (je le montre et je soule tous mes amis avec ça), et, forcément, la crainte de la critique ! :) Et puis cela m’embête un peu aussi parce que cela ne serait pas un travail complètement terminé, avec des incohérences qui ne sont pas encore éliminées même si je les ai déjà repérées, etc... Bref, je vais voir.

Sinon, comment je vais... Et bien assez moyennement en fait. Figurez-vous que je suis dépressif (modérée, pas grave), fallait bien que ça finisse par m’arriver. La fin de l’année a été très dure (mort de plusieurs amis, entre autres), et cela m’a salement amoché le moral. Vous savez, c’est un des trucs qui est peut-être difficile à comprendre quand on a affaire à des malades de longue durée comme nous : au fur et à mesure que le temps passe, on ne va pas forcément mieux. Oh, physiquement, c’est en voie d’amélioration surtout depuis que j’ai arrêté dasatinib ; même si les effets positifs tardent à se faire sentir, il y a un peu de mieux et cela va continuer à s'améliorer dans les semaines qui viennent. Mais il faut bien comprendre que psychiquement, c’est très dur de garder le cap sur une durée aussi longue : à force d’être fatigué et d’encaisser des coups durs, on finit par épuiser les réserves de bonne humeur. Cela n’a pas été arrangé par la hernie discale, qui m’a empêché de partir en vacances et de me changer un peu les idées... Du coup cela fait en gros un an que je ne suis pas sorti de mon appartement, et je commence à saturer sévère. C’est aussi cela qui m’a poussé à arrêter dasatinib, d’ailleurs : la constatation qu’à force d’en baver, je risquais de mettre en péril ma « santé mentale », ce qui impacte aussi mon couple et tout le reste.

C’est aussi une des raisons pour lesquelles je ne blog pas trop en ce moment : j’ai toujours voulu être un message d’espoir, et comme ce n’était pas la super forme ces dernières semaines, autant que je m’abstienne. Je pense qu’il est important que je rende compte aussi de la galère, qu’on n’ait pas l’impression que de guérir d’une leucémie c’est une balade, mais il vaut mieux que je le fasse quand je suis bien portant, afin de ne pas noircir le tableau inutilement.

En ce moment, je suis suivi de très près, à ma demande, par toute une équipe (psychiatre et psychologue), je prends des antidépresseurs, je vais chez le kiné pour renforcer mon dos, qui s'est d'ailleurs malheureusement rebloqué ce week-end, je suis à nouveau coincé, mais cela à l’air de se remettre plus vite que la dernière fois, bref, après une période d’intense fatigue et de laisser-aller (ce qui est normal, il faut toujours un moment pour se rendre compte que l’on a plongé), j’ai repris la barre et je suis fermement décidé à aller mieux. Aujourd’hui, je suis plutôt heureux, je vais me remettre à écrire mon bouquin de SF dès que j’ai fini ce post ce qui m’excite terriblement. Ma femme est toujours aussi jolie et formidable et j’en profite pour l’embrasser bien fort.

Au passage, je crois que la fille de Biquette a toujours besoin de vos votes, elle est en finale. Son texte est très touchant!

Voilà, je ne peux pas vous promettre de reprendre un rythme de publication régulier, j’ai besoin de souffler, de me vider la tête, mais je vais revenir en forme, promis !

vendredi 7 mars 2014

J'arrête

Ça y est, la décision est prise, j'arrête ce foutu médicament qu'est le dasatinib.

Je vous résume l'histoire. Le dasatinib est un inhibiteur de tyrosine kinase, un médicament qui cible spécifiquement le mode d'action de la leucémie qui me touche et qui empêche les cellules malades de se reproduire. C'est un médicament absolument révolutionnaire, qui a complètement changé le pronostic des malades atteint de la même maladie que moi (leucémie aiguë lymphoblastique.

J'ai reçu ce médicament avant la transplantation, puis j'ai été intégré à un protocole de recherche où l'on donne ce médicament après la transplantation pour voir s'il diminue le risque de rechute de la leucémie. Ce protocole spécifiait que je devais continuer à prendre ce médicament pendant 5 ans après la transplantation. Ce chiffre de 5 ans étant arbitraire et probablement du au fait qu'en général on considère les gens comme tirés d'affaire au bout de 5 ans.

J'ai donc pris, comme un bon petit soldat, ce médicament pendant plusieurs années. Au début, sans problème, puis les mois passant, j'ai commencé à avoir de plus en plus d'effets secondaires, en particulier des oedèmes, une fatigue chronique absolument terrible, et surtout des douleurs chroniques dans toutes les articulations et les muscles qui n'ont fait que s'amplifier au cours des années.

Durant l'année qui vient de s'écouler, je suis passé de 5mg de morphine par jour à plus de 100, pour vous donner une idée de l'escalade de la douleur, qui n'a fait que s'amplifier (bon il faut aussi prendre en compte que je suis devenu progressivement plus tolérant à la morphine). Je vais peut-être vous surprendre, mais je suis plus faible physiquement aujourd'hui que je ne l'étais l'année dernière le même jour: la douleur m'a sédentarisé, m'a empêcher de m’entraîner autant que je le faisais, j'ai grossi (bon j'ai de la marge hein, mais c'est la première fois de ma vie que je grossi), j'ai mal partout, je suis essoufflé, mes jambes me tuent...

Depuis quelques mois, les médecins essayent de me convaincre d'arrêter dasatinib avant la fin du protocole. Tout simplement parce que on ne sait absolument pas si c'est véritablement utile que je prenne ce médicament, et que je souffre peut-être pour rien. Mais je résiste: entre souffrir et le risque de rechute, je préfère souffrir: si jamais ce médicament à un pouvoir protecteur, je veux en profiter: mieux vaut cette existence de souffrance, où je suis malgré tout heureux, grâce notamment à l'amour de ma femme, le soutient de ma famille et de mes amis, ma passion pour l'écriture et la musique, et les chat, que de rechuter et de mourir.

J'ai tenu 1 an comme cela, cette existence de torture permanente. Avec en filigrane quelque chose que vous ne pouvez pas voir, qui est la lutte constante contre la dépendance à la morphine, l'équilibre précaire qu'il y a entre usage sain contre la douleur, et usage malsain du à la dépendance extrêmement forte. J'en suis parfois venu à souhaiter avoir mal pour pouvoir avoir plus de morphine, si vous arrivez à imaginer le paradoxe de ce genre de situation complètement merdique.

Pendant un an, j'ai pesé le pour et le contre: risque de rechute, contre douleur et sur-médication de l'autre coté.

Et puis samedi, nous avons participé à une marche contre la leucémie avec des amis. J'ai mis 1h30 pour finir mes 5km, complètement épuisé, ayant mal partout, ayant du mal à sourire tellement j'avais mal, me forçant à sourire à l'organisatrice qui me connait parce que cela fait 3 ans que nous participons, mais alors qu'au fond je souffrais le martyr.


Et puis le lendemain, je me suis retrouvé avec les jambes super gonflées, qui me faisaient un mal de chien. Je vous laisse vous rendre compte par vous même
notez l'espèce de pente abrupte au niveau de la marque de la chaussette...


Depuis quelques temps, j'avais pris la décision d’arrêter dasatinib. J'avais décidé d'arrêter le 1er mars, et puis le jour venu, je n'avais pas réussi à m'y résoudre. Et si la maladie revenait?

Mais dimanche, quand j'ai vu mes pieds défigurés, déformés par l’œdème, quand j'ai crié de douleur en enlevant mes chaussettes, j'ai décidé que j'en avais assez. J'ai enduré sagement, patiemment, pendant 2 ans. J'ai souffert tous les jours de ces deux dernières années comme vous n'imaginez probablement pas. Je me suis levé tous les matins en ayant des douleurs qui pour la plupart des gens sont du domaine de l'insupportable. J'ai souri tristement, un jour, alors que Celia s'était gravement blessée et qu'elle me disait qu'elle avait très mal... En lui disant que je comprenais, que pour moi c'était pareil mais tous les jours.

Mais c'est fini. J'en ai marre. J'arrête.

Depuis dimanche, j'ai arrêté le dasatinib. C'est l'heure de la renaissance.

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